Journal de la marine marchande: Quel est votre point de vue sur la conjoncture de l’assurance maritime?
Mathieu Daubin: L’activité de l’assurance maritime est en repli depuis quelques années, en particulier en raison de la baisse des volumes transportés résultant de la crise. La conjoncture du transport maritime est aujourd’hui plus favorable, mais les assureurs ont aussi souffert d’une surcapacité de l’offre du marché de l’assurance, avec de nouveaux entrants, ce qui a poussé les prix vers le bas. Ils ont donc été pris en étau entre cette surcapacité de l’offre d’assurance, la baisse d’activité du transport maritime et de la valeur des matières premières transportées, les primes dépendant en partie des valeurs des biens assurés. L’encaissement mondial a baissé de 10 % en 2016, puis de 9 % en 2017. Pour la première fois depuis quinze ans, les Lloyd’s ont été fortement déficitaires en 2017, affichant pour la seule assurance maritime une perte de 469 M£ (534,3 M€). Cela donne une indication forte de la tendance, car il s’agit-là du premier acteur mondial du secteur.
JMM: Qu’en est-il du nombre de sinistres en 2017?
M. D.: Nous avons connu en 2017 une forte sinistralité, davantage sur les marchandises transportées que sur les corps. Cela s’explique par les nombreuses catastrophes naturelles, les ouragans Harvey, Irma et Maria en particulier. Ils impactent les marchandises en transit dans les ports, mais aussi les installations portuaires, qu’il s’agisse des marinas de plaisance ou des grues des ports de commerce. En assurances corps et machines, nous avons constaté en 2017 une baisse de fréquence de la sinistralité pour les navires. Les pertes totales ont été plus limitées, en raison du rajeunissement de la flotte, mais aussi d’une meilleure formation des équipages, d’une meilleure communication et aussi de meilleures pratiques de gestion du risque. Les pertes totales en 2017 ont touché 0,13 % de la flotte mondiale, mais seulement 0,05 % du tonnage mondial.
Ceci signifierait que les navires les plus grands sont aussi les plus sûrs?
M. D.: C’est trop tôt pour en tirer des conclusions, mais les pertes totales concerneraient davantage les petits tonnages. Nous sommes préoccupés en revanche par l’augmentation des valeurs assurées, qui touche aussi bien les porte-conteneurs que les navires de croisière. Dans un marché mondial de l’assurance maritime qui pèse 30 Md$ (25,43 M€), une perte totale pourrait atteindre ou même dépasser une valeur d’un milliard dans le cas d’un porte-conteneur géant de 20 000 EVP ou d’un navire de croisière de 5 000 passagers. C’est pour nous un point de vigilance, car le risque est de plus en plus concentré avec des navires de plus en plus grands et des ports dont la taille s’accroît également. Le même phénomène existe d’ailleurs dans le transport aérien avec des avions du type de l’A380.
JMM: Quelle particularité y a-t-il à assurer ces géants des mers, et quelle réponse peuvent apporter les assureurs à cette concentration des risques?
M. D.: On pourrait y répondre par une augmentation des primes, mais ce n’est pas possible car le marché est en surcapacité. Les armateurs trouveraient donc ailleurs une autre offre pour couvrir leurs valeurs, aussi fortes soient-elle. D’ailleurs, le danger ne vient pas seulement du risque de perte totale, mais aussi de la gestion des avaries communes, avec une situation d’autant plus complexe qu’il y a un grand nombre de chargeurs. Par exemple, en cas d’incendie dans un conteneur qui se propagerait à la rangée, l’intervention est d’autant plus complexe sur un porte-conteneur géant car la pile est plus haute et l’équipage est en proportion du nombre de boîtes plus réduit. Suite à une avarie, le réacheminement des conteneurs est aussi beaucoup plus complexe. Si nous ne pouvons que nous réjouir de la diminution du nombre de pertes totales, nous faisons face à une complexité accrue de la gestion des sinistres en cas d’avaries sur un navire de grande taille. La concentration des valeurs ne concerne pas que les navires mais aussi les ports et les zones de navigation les plus fréquentées. En 2017, 40 % des pertes totales ont eu lieu dans le Sud-Est asiatique. Si la Manche par exemple est très surveillée, d’autres zones très fréquentées par les navires le sont moins. Ainsi, malgré tous les systèmes d’aide à la navigation, la collision reste une des causes principales de sinistre.
Les navires récents sont non seulement plus grands, mais aussi plus connectés et automatisés. Les nouvelles technologies font-elle peser un risque plus grand sur les navires?
M. D.: Les navires plus anciens sont moins sensibles au risque technologique que les navires récents, bénéficiant de techniques plus avancées. Les instruments de navigation, par exemple, peuvent être interconnectés avec la base, ce qui fait courir le risque d’un détournement à distance par exemple. Un virus peut aussi rendre inopérant un système de navigation pendant quelques temps: sans conséquence au large, mais critique si cela survient pendant une phase sensible de navigation. La perte de données est un autre risque identifié. Touché par le virus Wanna Cry, l’armateur Maersk a perdu des données, ce qui a entraîné d’importants retard dans la livraison des marchandises. Mais ce problème n’est pas propre à l’industrie maritime et peut concerner toutes les branches d’activité. Le transport maritime n’est encore que peu touché par des sinistres liés à la cyber-sécurité. La réponse n’est pas qu’assurantielle mais relève aussi de la prévention et de la gestion du risque: nous encourageons les transporteurs au partage des informations de façon à élaborer des scénarii qui permettent d’y faire face. Le risque cyber n’est pas un risque isolé et spécifique au domaine maritime, il est identique à celui couru par d’autres industries.