Le gaz naturel liquéfié (GNL) était au centre de toutes les attentions lors du « shipping day », rendez-vous annuel d’Armateurs de France, qui s’est tenu le 10 avril 2018 à Paris, avec en ouverture une table ronde sur le carburant GNL. Une alternative au fuel pour respecter la réglementation de l’OMI sur les émissions polluantes des navires. Avec la commande, fin 2017, de neuf porte-conteneurs géants (22 000 EVP) fonctionnant au GNL, qui seront construits dans deux chantiers de China State Shipbuilding Corporation (CSSC), l’armement français CMA CGM fait figure de pionnier. Les navires de 400 m de long pour 64 m de large (24 rangées de conteneurs) auront en soute 18 600 m2 de GNL stockés sous le château avant, ce qui permet un aller et retour entre l’Europe et la Chine, ligne sur laquelle ces navires seront exploités à partir de 2020, avec un seul soutage dans les ports nord-européens.
Le stockage du gaz, qui utilise deux fois plus de volume de soute que le fuel, aura été une des questions importantes dans la conception des navires. Autre point d’importance: l’avitaillement. « Il y a aujourd’hui très peu d’avitailleurs GNL, déplore Ludovic Gérard, vice-président exécutif de CMA Ships, mais notre commande aura rompu la chaîne de la poule et de l’œuf pour savoir qui commence, et cela va favoriser le développement du GNL. Aujourd’hui, la livraison augmente de 25 % le coût de l’avitaillement GNL. Plus les navires seront nombreux et plus ce coût va réduire. Nous ne pouvons donc qu’encourager nos concurrents à faire comme nous! »
La question du soutage GNL
La logistique grève donc le prix du soutage, malgré un prix du GNL inférieur à celui du fuel. Mais une plus grande diffusion du GNL devrait résoudre le problème. « La clé, c’est la logistique de l’avitaillement, avec la construction d’avitailleurs méthaniers, confirme Luc Gillet, vice-président de Total Shipping. Mais un tel navire coûte dix fois plus cher à construire qu’un avitailleur classique ». Un projet de barge d’avitaillement GNL est en préparation à Marseille, et pourrait aboutir d’ici deux à trois ans. « L’accélération sur le GNL est intéressante, et elle s’auto-alimente car avec les barges d’avitaillement le prix de la logistique va baisser », se félicite Christine Cabau-Woehrel, directrice générale du port de Marseille, qui précise que des scrubbers équipent 65 % des navires escalant à Marseille et que les émissions de soufre y ont déjà baissé de 40 % depuis 2010. L’utilisation de scrubbers pour laver les gaz d’échappement, facile à installer sur une construction neuve et avec un délai de rentabilité de quelques années, est intéressante à court terme pour respecter la nouvelle réglementation OMI, alors que le GNL nécessite des investissements de long terme.
« CMA, pionnier dans le GNL, n’est pour l’instant pas suivi par les autres armateurs qui se donnent le temps de la réflexion pendant encore au moins un an. Sauf pour les ferries où l’on investit plus facilement dans les technologies vertes », note Alexandre Amedjian, directeur du secteur maritime à la Société générale, qui souligne que « le passage au GNL représente un surcoût à la construction, assorti d’une incertitude économique quant à l’évolution du prix du GNL par rapport aux autres carburants disponibles ».
« Les clients veulent des navires plus propres, mais sans augmentation des frets », ironise Antoine Person, secrétaire général de Louis Dreyfus Armateurs, qui précise n’avoir pas fait le choix du passage au GNL « car les quelques navires construits récemment l’ont été pour faire des trafics à la demande, vers des ports où nous ne savons pas à l’avance si nous trouverons du gaz ». Pour CMA CGM, Ludovic Gérard pose l’équation économique du GNL: « un délai de rentabilité plus long qu’avec le scrubber, mais une économie bien réelle à long terme. Les clients soutiennent notre démarche et sont de plus en plus demandeurs de navires verts ». CMA CGM n’a cependant pas d’autre projet GNL « pour l’instant ».
300 000 tpl
Total va fournir chaque année pendant dix ans 300 000 t de GNL pour l’avitaillement en carburant des neuf porte-conteneurs CMA CGM en construction. Le marché mondial actuel du soutage GNL est estimé à 400 000 t par an pour 100 navires fonctionnant au gaz.