Le droit social des marins en perpétuel mouvement

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« Le travail humain sous toutes ses formes (…) doit pouvoir trouver sa place au rang des atomes du droit ». Alors que le droit maritime semble être un droit assez conservateur, où l’on applique des règles et des principes dégagés il y a plusieurs siècles, le droit social maritime, tout comme les atomes qui se déplacent, est un droit en mouvement, un droit vivant, dont les solutions s’adaptent aux évolutions de la société.

Même si les développements qui suivent sont loin d’être exhaustifs, essayons de revenir sur les différents flux et reflux qu’a connus ce droit au cours de l’année qui vient de s’écouler.

L’affiliation à l’Enim des marins étrangers

Le phénomène des « travailleurs détachés » a toujours existé dans le monde maritime. Un armateur emploie des marins étrangers pour tenter d’échapper à la réglementation sociale normalement applicable. Les pouvoirs publics ont décidé de réglementer cette pratique.

Les employeurs doivent désormais se soumettre au décret n° 2017-307 du 9 mars 2017 relatif à l’affiliation des gens de mer, résidents en France et embarqués sur un navire battant d’un État étranger.

L’armateur qui emploie un marin, quelle que soit sa nationalité, dont le lieu de résidence stable et régulier est en France devra donc toujours affilier celui-ci à l’Enim si ce dernier ne relève pas d’un autre régime de protection sociale d’un État européen (membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen) ou d’État étranger lié par un accord ou une convention internationale dont le régime est au moins équivalent à celui prévu par le Code de la sécurité sociale; ce code consacrant la conception française de la solidarité nationale qui exige a minima une prise en charge universelle des frais de santé, des allocations vieillesse, des prestations d’accidents du travail et de maladies professionnelles.

L’armateur ne peut plus se réfugier derrière le pavillon du navire pour échapper à la réglementation sociale. Cette nouvelle loi réside ici dans le fait que la France, qui a ratifié la convention du travail maritime (MLC) de 2006, a mis fin à l’exclusivité du critère de rattachement de l’État du pavillon retenu jusqu’à présent. L’État du pavillon peut bien entendu continuer de fournir une protection sociale, comme l’État dans lequel réside l’employeur lorsque l’embauche se fait par l’intermédiaire d’une société de manning. Lorsque ce n’est pas le cas, le marin sera rattaché au droit social français dès lors qu’il réside en France.

La faute inexcusable de l’employeur

Longtemps, les gens de mer ont été privés du droit d’agir contre leur employeur en raison de sa faute inexcusable en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

Le droit a changé à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 6 mai 2011 qui a considéré que les dispositions légales applicables au régime d’assurance des marins ne pouvaient être interprétées comme « faisant, par elles-mêmes, obstacle à ce qu’un marin victime, au cours de l’exécution de son contrat d’engagement maritime, d’un accident du travail imputable à une faute inexcusable de son employeur puisse demander, devant les juridictions de la Sécurité sociale, une indemnisation complémentaire ». Le droit maritime s’est donc aligné sur le droit terrestre. Les textes réglementaires ont été adaptés afin de tenir compte de cette évolution.

La faute inexcusable de l’employeur est retenue dès lors que celui-ci manque à son « obligation de sécurité de résultat ». Cette notion est interprétée de manière très large. Par exemple, dans l’arrêt Monte-d’Oro, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a considéré que la chute d’un marin au travers du parquet de la salle des machines d’un navire relevait de la faute inexcusable de l’employeur, quand bien même un tiers, qui était intervenu sur cette zone en ôtant plusieurs tôles du parquet litigieux, aurait pu contribuer à cet accident.

S’il peut difficilement invoquer le fait d’un tiers, il sera aussi délicat pour l’employeur du marin de se réfugier derrière la faute de la victime. Dans l’arrêt Vent-Divin du 15 juin 2007, la Cour suprême a rejeté le pourvoi de l’Enim qui considérait que la faute inexcusable de l’armateur ne saurait être retenue à la suite du décès d’un marin qui n’avait pas de contrat de travail et qui avait embarqué clandestinement à bord d’un chalutier qui avait fait naufrage. Non seulement la Cour rappelle que le marin décédé intervenait sous la direction et le contrôle de l’armateur, mais en plus seule la faute volontaire de la victime, d’une exceptionnelle gravité, l’exposant sans raison valable à un danger dont il aurait dû avoir conscience, aurait permis d’exonérer l’employeur de sa responsabilité.

La consécration de la responsabilité de l’employeur en cas de faute inexcusable se retrouve dans la jurisprudence rendue à l’égard de marins qui avaient été exposés au cours de leur vie professionnelle à l’amiante.

Comment faut-il interpréter cette règle nouvelle avec le délai de prescription applicable à l’action fondée sur la faute inexcusable? Ce délai, qui est de deux ans, doit commencer à courir à partir du moment où le salarié est informé du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie dont il est victime.

Dans ces litiges, visant des marins exposés à l’amiante, il est assez fréquent que le caractère professionnel de la maladie dont ils souffrent ait été reconnu bien avant la décision du Conseil constitutionnel, généralement au début des années 2000. Le délai de prescription de deux ans devait-il être suspendu? Non, a répondu la Cour de cassation, par plusieurs arrêts du 12 octobre 2017. Le salarié informé de l’origine professionnelle de sa maladie devait saisir le tribunal dans les deux ans de cette information et le changement du droit positif matérialisé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 6 mai 2011 ne constitue pas une impossibilité d’agir qui aurait suspendu le délai de prescription.

Les effets de cette décision sont particulièrement draconiens pour les victimes et on peut se demander si les juridictions du fond, des Cours d’appel et les juridictions de première instance n’essaieront pas d’y résister. Rien n’est moins sûr. Dans un arrêt Keolis-Maritime-Brest du 29 novembre 2017, la Cour d’appel de Rennes jugeait ainsi à l’instar de la Cour de cassation, que: « une évolution de la jurisprudence ne constituait pas une impossibilité d’agir suspendant l’écoulement du délai de prescription ».

Le contentieux du contrat d’engagement maritime

Le contrat d’engagement maritime est un contrat formaliste. Il doit être rédigé par écrit et contenir toute une série d’informations prescrites par la loi dont son éventuelle durée. Si cette information fait défaut, le contrat sera réputé alors être un contrat à durée indéterminée. Cette règle a été rappelée par un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 22 juin 2017 dans un litige opposant un marin pêcheur à son employeur entre lesquels aucun contrat écrit n’avait été conclu.

Encore faut-il que les parties soient réellement liées par un contrat d’engagement maritime et qu’il y ait un lien de subordination entre l’employeur et son salarié. Ce n’était pas le cas dans une affaire qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2017 à l’égard d’un marin qui prétendait toujours être lié par un contrat d’engagement maritime, alors qu’après avoir été débarqué, il travaillait pour son propre compte.

Ce n’est pas tout. Le marin doit ainsi disposer d’un délai suffisant pour lui permettre de prendre connaissance du contrat avant de le signer. Si cette règle n’est pas respectée l’employeur peut engager sa responsabilité. C’est ce qui a été jugé dans une décision du 27 février 2017, concernant un capitaine employé sur un remorqueur, qui avait signé un contrat qui ne comportait pas la mention du droit à congés payés et faisait état d’un préavis qui était incorrect. La Cour a ainsi considéré que le capitaine avait signé un engagement dont le contenu était de nature à l’induire en erreur sur ses droits essentiels.

Comme nous l’avons vu plus haut, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, qui est constitutif d’une faute inexcusable, peut également être une cause de rupture du contrat de travail qui aura les mêmes effets qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Un tel manquement était reproché au gérant de deux navires dont les équipages avaient été pris en otage par des pirates dans le golfe de Guinée. Le Tribunal de commerce de Bordeaux dans un jugement du 25 septembre 2017 a reproché à l’employeur de ne pas avoir procédé à une évaluation des risques qui pouvaient être rencontrés par le navire et concernant lesquels aucun dispositif anti-intrusion n’avait été mis en place. La lenteur de réaction de l’armateur et le choc post-traumatique subi par les marins rendaient alors impossible la poursuite de la relation de travail.

Mais la faute n’est pas toujours imputable à l’armateur. Par exemple, dans un arrêt de la Chambre sociale du 5 juillet 2017, alors que l’employeur avait indiqué à un marin qu’il souhaitait exécuter une saison de pêche, le marin n’avait pas embarqué. La Cour d’appel considéra qu’il y avait eu licenciement sans cause réelle et sérieuse car il importait peu de savoir si l’absence d’embarquement était la conséquence d’un refus du salarié ou d’un refus de l’employeur. Il appartenait à ce dernier, s’il considérait que son salarié avait refusé d’embarquer, de procéder à un licenciement. L’arrêt a été cassé, la Cour d’appel aurait dû rechercher à qui le refus d’embarquement était imputable: au marin ou à l’armateur.

Les représentants des gens de mer à bord des navires

À bord des navires, la représentation des gens de mer est assurée par les délégués de bord. Cette règle est antérieure à la Convention MLC et au Code des transports. Néanmoins dans le but d’aligner la fonction du délégué de bord avec celle du délégué du personnel, le pouvoir réglementaire a pris le 15 décembre 2015 le décret n° 2015-1674 relatif au délégué de bord sur les navires. Ce décret fixe par exemple l’effectif à partir duquel l’élection d’un délégué de bord est organisée, le nombre de délégués à élire et la durée de leur mandat qui ne saurait excéder quatre années. Il précise l’organisation des élections et les modalités de leur contestation.

L’article 14 prévoit que sont éligibles à cette fonction « tous électeurs âgés de 18 ans révolus, à l’exception du capitaine et de l’officier chargé de sa suppléance, des conjoints, partenaires d’un pacte civil de solidarité, concubins, ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré de l’armateur, du capitaine et de l’officier chargé de sa suppléance ».

Deux syndicats de personnel navigant ont contesté la légalité de l’article 14 devant le Conseil d’État. Ils soutenaient que l’officier chargé de suppléer le capitaine ne détenait pas habituellement, à bord du navire, les pouvoirs qui conduisent à l’assimiler au capitaine. Dans la mesure où il est dans la même situation que les autres gens de mer, rien ne s’opposait selon eux à ce que cet officier puisse être élu comme délégué de bord. S’il venait à exercer les fonctions de capitaine, son mandat de délégué devrait alors pouvoir être exercé par son suppléant élu en application de l’article 9 du décret attaqué. Enfin, les syndicats prétendaient que le pouvoir réglementaire avait excédé sa compétence car seul le législateur peut créer de telles inéligibilités. Le Conseil d’État a fait droit à ce recours dans une décision du 31 mars 2017. Rien ne s’oppose désormais à ce que l’officier suppléant le capitaine puisse être élu délégué de bord.

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