Aux Assises de l’économie de la mer du Havre en décembre dernier, le Premier ministre, auparavant maire de la ville hôte, exhortait le monde portuaire français à oser le grand chamboulement. Le modèle économique désuet ne permet plus d’affronter les intensités concurrentielles orchestrées autant par les concentrations maritimes que par les massifications multimodales terrestres. Une trivialité langagière revenait alors en boucle dans les commentaires: la fameuse gouvernance. De Haropa à Norlink en passant par Medlink, les autorités cherchent à se regrouper pour que l’union fasse la force. Mais face aux enjeux concurrentiels européens, le Premier ministre semble penser que ces agrégations d’autorités ne soient pas suffisantes et qu’il faille trouver un modèle innovant de gouvernance qui redonne de l’agilité décisionnaire au territoire tout en offrant plus de poids économique et financier auxdites autorités consolidées.
En Afrique de l’Ouest, le son de cloche est le même qu’en France mais dans des tonalités différentes. Les autorités dites autonomes revendiquent toujours plus d’autonomie. De Dakar à Abidjan jusqu’à Libreville, les autorités portuaires veulent moins payer de taxes envers l’État afin de réinjecter en propre les dividendes des droits de ports et du passage des marchandises. L’autonomisation revendiquée se justifie par la pression des marchés mais aussi par la complexité des missions dévolues aux autorités portuaires. Ces dernières constituent des poumons économiques et sociaux vitaux pour les métropoles et le pays tout entier. Ainsi, elles doivent se soucier de leur insertion logistique et fonctionnelle dans la métropole et sur tout le territoire national. Elles doivent porter une vision planificatrice puisqu’elles sont au cœur de la création de valeur. La rupture de charge sur ses terminaux maritimes génère des flux entrants et sortants considérables qui ont un impact sur la vie de la métropole.
Ces mêmes autorités portuaires cherchent donc à résoudre l’insoluble problème de la congestion métropolitaine qui impacte très sévèrement la fluidité des pré et post-acheminements. La gouvernance portuaire se trouve alors intimement entremêlée avec celle de la ville ou du district. Mais les passerelles aujourd’hui entre les deux exécutifs demeurent symboliques ou purement représentatives comme à Abidjan ou à Dakar. À Kribi, la construction du nouveau port en eaux profondes et la projection d’une nouvelle ville annoncée à 200 000 habitants inaugurent de nouvelles relations institutionnelles et opérationnelles entre les édiles publics et la direction générale du Port autonome de Kribi. Un plan stratégique régional, un schéma directeur et une feuille de route à long terme esquissent les contours de ce qui devrait être un véritable laboratoire des relations entre une « ville nouvelle » et un « port nouveau ». Seul le temps éprouvera l’expérience de planification mais les retards dans la mise en opération des activités portuaires et l’absence actuelle de développements du côté de la ville laissent entrevoir quelques « décalages » entre les plans et la réalité.
À Libreville, les projets pharaoniques du Port Môle au cœur de la ville sont totalement décorrélés des extensions portuaires récentes d’Owendo. Pourtant, la croissance des activités du port aura un impact sur la ville adjacente, tout comme la modernisation du front de mer a déjà impacté les activités de pêche du Vieux-Port de centre-ville, sans parler des projections en matière de nautisme et de plaisance qui se reconcentreraient d’un point de vue spatial au cœur de la capitale gabonaise.
Nouvelle Gestion Publique (NGP) en mode exploratoire sur la gouvernance ville-port
Dans le cadre de mes travaux doctoraux, la gestion des relations ville-port s’appréhende avec de nouveaux outils issus des théories et des pratiques de la Nouvelle Gestion Publique (NGP). La problématique posée est bien la suivante: comment les bases néo-libérales de ce courant de pensées peuvent s’adapter dans l’environnement décisionnaire des métropoles portuaires modernes?
Le pionnier de la NGP est français et se nomme Henri Fayol. Au début du XXe siècle, il interroge l’évolution de la gestion publique en s’inspirant de nouvelles pratiques de gestion dans un secteur privé minier en recherche d’optimisation productive et organisationnelle. Un siècle plus tard, l’intensité capitalistique des transports maritime et terrestre interroge sur la latitude d’un État-Nation de prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler ses propres destinées portuaires nationales. De surcroît, la commercialisation des activités lucratives portuaires a déjà été liquidée depuis longtemps avec l’avènement des contrats de concessions portuaires dans les activités conteneurisées et vracquières. Du côté de la métropole, les partenariats publics-privés sur des secteurs publics-clés comme l’électricité ou l’eau tendent à démontrer qu’il s’esquisse déjà des injections de pratiques privées dans la gestion de services régaliens essentiels aux populations.
Parmi les apports méthodologiques et opérationnels de la NGP figurent « l’agencification » ou comment repenser les prises de décisions dans les sphères de gouvernance publique. Dans mes travaux exploratoires, figure la transposition de cette agencification aux relations ville-port avec des réflexions sur une structure de gouvernance bicéphale ville-port qui aurait comme prérogative de porter, assumer et développer une efficacité économique et stratégique des relations ville-port. Un exemple tangible aujourd’hui a trait à la planification stratégique et prospectives des plans de circulation des citoyens et des frets. Beaucoup trop souvent mis en parallèle ou en contradiction, les mobilités métropolitaines et portuaires exigent de projeter et d’anticiper des solutions mutualisées. Pour y parvenir, la NGP casse un tabou en injectant des indicateurs quantitatifs et qualitatifs qui alimentent une culture de l’efficacité économique et de l’efficience financière. Les décideurs publics sont invités alors à se transformer en managers stratégiques du denier public. Ils dirigent des équipes pluridisciplinaires combinant hauts fonctionnaires et experts privés pour appréhender les relations ville-port d’une manière nettement plus systémique et prospective.