Où va l’arbitrage?

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L’arbitrage maritime a connu ces dernières années une profonde évolution. Un temps, la plupart des litiges portés à la connaissance des arbitres portaient sur des questions d’affrètement, d’interprétation des chartes-parties, d’évaluation des surestaries, bref sur des questions très techniques. La “jurisprudence arbitrale” s’est fixée progressivement et ces points spécifiques ne donnent plus guère lieu à contentieux, du moins n’ont plus la même place que par le passé. Les questions se sont ainsi renouvelées.

Sont apparus plus récemment des litiges plus importants concernant la rupture de chartes ou encore des contrats d’agences maritimes, concernant aussi le jeu des clauses de hardship, et de renégociation de chartes ou encore d’avenants. Des problématiques liées à la faillite de certains armateurs pointent également. L’arbitrage qui est traditionnel dans le monde du shipping s’est donc quelque peu transformé, et ce d’autant plus que de nouvelles problématiques se posent: alliances entre armateurs, affrètements d’espaces, commission de transport, merchant haulage, logistique…

L’évolution n’est pas seulement d’ordre substantiel, elle est également d’ordre procédural: l’arbitrage maritime est plus contentieux que par le passé. Il y a là une certaine dérive qui mérite d’être canalisée. Les questions de recevabilité sont beaucoup plus nombreuses que par le passé (notamment sur la subrogation des assureurs facultés, sur la clause de délégation – loss payee -, sur les lettres de garantie…).

Quant au fonctionnement de l’arbitrage, il fait parfois l’objet de critiques: le système de listes d’arbitres n’est pas toujours admis sans réserve, le recours à des arbitres très spécialisés également, de même que le rôle pourtant essentiel du comité des chambres institutionnelles comme celui de la CAMP. Ces remarques ne doivent pas affecter l’arbitrage maritime qui conserve un bel avenir dans la mesure où il sait et saura garder son caractère éminemment professionnel.

Toujours est-il que le monde maritime change. Les grandes familles d’armateurs sont moins nombreuses que par le passé, les financiers étant en train de les remplacer. De même, les chargeurs ne s’intéressent-ils plus guère aux aspects maritimes de leurs opérations, laissant la place aux commissionnaires et autres logisticiens. Les considérations purement commerciales sont devenues également essentielles, ce qui entraîne de nombreuses transactions, médiations et encourage les conciliations et les “dispute boards”. Les “contract managers” ont pris aujourd’hui une place déterminante dans la gestion des risques économiques, financiers et juridiques qui sont particulièrement sérieux dans le monde maritime.

Les évolutions de l’arbitrage maritime s’observent ainsi tant sur le plan substantiel que sur le plan processuel.

Les évolutions sur le plan substantiel

Les évolutions sur le plan substantiel tiennent à la matière maritime elle-même qui n’est aujourd’hui plus exactement la même qu’hier. Le contentieux classique diminue, tandis qu’on voit apparaître de nouveaux litiges.

L’une des institutions maritimes les plus remarquables trouve son expression dans la théorie des avaries communes. Elle se fonde sur l’idée de solidarité, essentielle dans le monde maritime. La théorie est cependant critiquée; elle est accusée de favoriser parfois à l’excès les armateurs au détriment des intérêts cargaison, d’autant que la procédure est souvent longue et coûteuse, ce qui explique les nombreuses transactions intervenues et le fait que ce type d’affaires donne lieu à beaucoup moins d’arbitrages que par le passé.

Ainsi en est-il également des dossiers d’assistance, qui se rencontrent encore dans le domaine de la plaisance, mais qui n’ont plus beaucoup, pour les navires de la marine marchande, d’applications contentieuses. L’insertion presque systématique de la clause Scopic dans les contrats d’assistance, qui déroge au mécanisme traditionnel de l’assistance, y est pour beaucoup. Du reste, ne se demande-t-on pas si cette clause ne transforme pas le contrat d’assistance en une sorte de contrat à forfait?

Dans le contentieux du transport (“cargo claims”), toujours récurrent, le transporteur cherche souvent, en cas de dommages, à s’exonérer en faisant état d’une faute du chargeur (Sent. CAMP, n° 1217) ou encore d’une faute “nautique”. Les arbitres l’admettent encore faisant observer que “l’expérience tend à prouver que le contrôle exercé par l’armateur sur ses navires en opération ou en navigation, si développés que soient les moyens qu’il y consacre, trouve nécessairement ses limites avec l’éloignement”. Mais, là encore, les affaires sont moins nombreuses que par le passé et la “faute nautique” est appelée, tôt ou tard, à disparaître.

La même observation mérite d’être faite à propos des questions traditionnelles que pose la pratique de l’affrètement au voyage. On plaide encore sur la détermination des staries (cf. Sent. CAMP n° 1208), sur le paiement des surestaries, sur la notion de « navire arrivé » et bien d’autres. Mais on doit reconnaître que, sur ces thèmes, la “jurisprudence arbitrale” s’est progressivement dégagée et qu’en conséquence les litiges vont plus rarement en arbitrage. Cela ne veut pas dire que tout soit réglé, comme en témoignent les sentences CAMP n° 1213 (incidence de la crise en Tunisie sur les temps de planche et 1215 sur la nature juridique de la NOR).

Au-delà des litiges toujours classiques dans les affrètements au voyage d’identification du transporteur dans les connaissements de charte-partie, et dans les affrètements à temps de dommages causés au navire par la cargaison ou par les combustibles, de détermination des périodes de “off-hire” (Sent. CAMP, n° 1221), d’un “safe port”, de comptes entre les parties, d’assiette du privilège du fréteur à temps non payé, on a vu apparaître, ces derniers temps, des questions relativement nouvelles mettant en cause davantage le droit commun des obligations que le droit maritime. Ainsi en est-il de la question de savoir comment sanctionner dans un affrètement à temps le défaut de paiement ponctuel des loyers, question conduisant à se demander si un tel paiement est une “condition” ou un simple “innominate term”. Ainsi en est-il aussi des contentieux portant sur la gestion de l’évolution des contrats.

On pense aux fameuses clauses de révision – “hardship clauses” – (cf. sentences 1172 et 1179) ou encore à cette question tenant à l’effet d’un avenant à une charte-partie (cf. Sent. CAMP n° 1222), considérant en substance, après avoir justement observé que l’affréteur est en droit de disposer du navire dans les ports “pour le temps qui correspond au fret qu’il a payé et non seulement pour le temps qui découle de la quantité effectivement manipulée”, que l’avenant à la charte ayant simplement acté le changement de port de déchargement, la charte ayant été modifiée sur ce seul point, le contrat originel doit conserver toute sa force obligatoire, l’avenant n’ayant pas “nové” l’opération et n’étant donc pas à l’origine d’une nouvelle convention.

Des difficultés liées à l’impossibilité d’exécuter une charte se sont également présentées, notamment avec la réglementation européenne qui a pu, un temps, interdire toute relation financière avec certains États: d’où une impossibilité d’exécution des chartes à destination de ce pays; d’où l’indemnisation des dépenses engagées par les armateurs en pure perte, mais non du gain manqué (cf. Sent. CAMP n° 1195).

Les problèmes liés à la rupture des contrats, notamment d’affrètement, sont aussi beaucoup plus courants que par le passé et donnent lieu à de très intéressantes décisions (cf. les articles parus: Gazette, n° 36 ainsi que Gazette n° 38 et n° 42).

Observons, enfin, que les nouveaux affrètements qui se pratiquent aujourd’hui (cf., notamment les affrètements d’espaces) sont et seront à l’origine de nouvelles et intéressantes difficultés. De même faut-il et faudra-t-il tenir compte des nouveaux risques maritimes et de la réapparition de la piraterie: il a déjà été jugé à cet égard que la clause “in transit loss” couvrait les pertes directement liées au transport, mais ne couvrait pas les pertes liées à l’intervention de tiers (pirates ayant transbordé une partie de la cargaison alors que le navire était au mouillage).

Ces évolutions sur le fond de la matière ne vont cependant pas dénaturer l’arbitrage maritime qui reste et doit rester un arbitrage professionnel. Cet aspect doit également demeurer présent à l’esprit si l’on considère désormais les évolutions en cours sur le plan procédural.

Les évolutions sur le plan processuel

Quant aux évolutions sur le plan processuel, elles sont également très sensibles. L’arbitrage maritime est, comme tous les types d’arbitrage, soumis aux règles essentielles de la procédure civile et du droit de l’arbitrage lui-même dont on sait qu’il ne cesse de construire: le contradictoire, l’impartialité, l’indépendance sont bien évidemment des exigences fondamentales, ce qui ne veut pas dire que leur mise en œuvre ne soulève aucune difficulté.

La question de la subrogation de l’assureur facultés dans les droits du réceptionnaire – et donc de la recevabilité du recours de l’assureur – est récurrente. Elle a même justifié une thèse récente (M. Diango, La Subrogation de l’assureur maritime, thèse Aix-Marseille 2016). Rappelons que l’assureur qui, après avoir indemnisé son assuré ou le bénéficiaire de l’assurance des pertes et avaries subies, cherche à se retourner contre le transporteur, doit prouver avoir payé, et avoir payé en application de la police, ce qui soulève souvent des difficultés pratiques, car les assureurs n’aiment pas communiquer leurs conditions particulières. Les arbitres ne voient pas les choses d’une manière trop rigoureuse (Sentence CAMP n° 1209; Sent. CAMP n° 1220), à la différence de certains juges étatiques. De même en est-il lorsque la subrogation, non plus légale, mais conventionnelle est en cause. Elle suppose un paiement et la délivrance d’une quittance subrogative contemporaine du paiement. Les arbitres apprécient ces exigences avec plus de souplesse que les juges étatiques et n’hésitent pas à se fonder sur leur conviction pour admettre le jeu de la subrogation. Toujours à propos de cette question de recevabilité, les arbitres de la CAMP ont eu à se prononcer sur la nature et la portée de la clause “loss payee” qu’on trouve parfois dans les polices d’assurance. Cette clause contient en réalité une délégation de paiement. Elle désigne notamment la banque de l’acheteur-réceptionnaire (de la marchandise) comme bénéficiaire du règlement d’indemnité (V. Sent. CAMP n° 1191).

Une autre difficulté, aujourd’hui résolue, a été de savoir quelle était la portée qu’on pouvait reconnaître aux lettres de garantie conclues entre les assureurs et les armateurs (ou les Clubs) à la suite de la saisie du navire, cette saisie ayant pour cause la créance d’indemnité de l’assuré réceptionnaire en raison des pertes et des avaries survenues pendant le voyage. Les lettres de ce type contiennent souvent une clause d’arbitrage qui déroge à la clause stipulée dans la charte-partie. Si la substitution de clause est claire, il est certain que la clause contenue dans la lettre de garantie l’emporte. La pratique de ce type de lettre de garantie est désormais clairement reconnue et, du reste, la compétence de la CAMP est souvent fondée sur les clauses négociées dans ces conditions (Sent. CAMP n° 1223 et 1218).

Ajoutons que la fameuse règle “compétence-compétence”, qui s’est dégagée du reste en matière maritime, ne soulève plus guère de contentieux, étant entendu que les exemples de clauses d’arbitrage manifestement nulles ou inapplicables sont rares, pour ne pas dire exceptionnels.

Il en va de même des redoutables “anti-suit injunctions” qui pourraient cependant réapparaître si le Brexit se confirmait.

Si le respect de la procédure civile est essentiel, notamment dans ses principes fondamentaux, si l’on voit poindre aussi de nouveaux problèmes particulièrement intéressants comme ceux qui sont liés à l’ouverture d’une procédure collective, il ne faudrait pas que cette procédure soit, comme c’est parfois le cas, instrumentalisée à des fins dilatoires. Une autre “dérive” tient, ou pourrait tenir, à une application trop systématique du droit même de l’arbitrage.

Le droit de l’arbitrage s’est considérablement développé ces dernières années à travers des textes (CPC), une jurisprudence importante et des analyses doctrinales de qualité. Ce droit devait se construire et il s’est construit d’une manière harmonieuse autour d’un certain nombre de principes: contradictoire, indépendance, impartialité, confidentialité, motivation… Loin de nous l’idée de vouloir les remettre en cause. Ils sont du reste reconnus, affirmés et mis en valeur dans le règlement de la CAMP.

Pour autant, leur application ne devrait pas être exacerbée au point de mettre à mal le caractère même de l’arbitrage maritime qui est d’être un arbitrage professionnel. Certains ont pu considérer que la technique des listes d’arbitres, telle qu’elle se pratique dans les chambres professionnelles, dont les chambres maritimes, n’était pas parfaitement compatible avec les exigences de l’arbitrage et de la liberté de choix qu’il faudrait laisser aux parties. Cette critique n’est pas totalement pertinente, car l’expérience montre au contraire que les parties apprécient cette technique de présélection (la liste n’étant et ne devant pas être totalement fermée) qui permet d’offrir des arbitres compétents et connaissant parfaitement la matière.

Quant aux exigences d’indépendance et d’impartialité, il faut certainement les respecter scrupuleusement et demander aux arbitres qu’ils fassent, sans hésiter, les déclarations qui s’imposent. Le milieu professionnel maritime est relativement étroit et les contacts existent nécessairement entre les uns et les autres. Faut-il dès lors interdire à un arbitre expérimenté d’intervenir dans un dossier parce qu’il a pu échanger avec tel armateur, tel assureur ou tel agent maritime? Dans la mesure où cette rencontre n’est pas le fruit de relations d’affaires suivies, il est sans doute contre-productif de remettre en cause l’arbitrage pour une telle raison.

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