Le rapport accablant de l’ITF à l’encontre du manutentionnaire Ictsi

Article réservé aux abonnés

Il n’est certainement pas le seul mais il est le dernier en date à avoir été épinglé par l’ITF pour ses pratiques sociales dans les différents terminaux qu’il gère. Ictsi, manutentionnaire basé aux Philippines, développe depuis 1994 une stratégie à l’international. Après avoir pris position dans les terminaux philippins, le groupe a su remporter des concessions dans plusieurs pays. Aujourd’hui, Ictsi est présent dans le monde depuis Yantai en Chine à Buenos aires en Argentine en passant par Basra en Irak ou Gdynia en Pologne. Le rapport publié par l’ITF en octobre se concentre sur les terminaux d’Indonésie et de Madagascar. Néanmoins, l’ITF rappelle que le manutentionnaire n’en est pas à son coup d’essai. En 2000, un mouvement social né dans le terminal de Rosario, en Argentine, a débouché sur la résiliation de la concession à Ictsi. Pour le syndicat international, ce mouvement doit être mis à profit pour faire cesser les irrégularités qui sévissent actuellement dans les autres terminaux. « L’ITF et les syndicats affiliés présents dans les terminaux d’Ictsi ont observé l’émergence d’une violation des droits des travailleurs sur l’ensemble du réseau du manutentionnaire. Elles incluent des salaires de misère, le non-respect de la liberté d’association, des normes de sécurité insuffisantes, et une délocalisation illégale du travail. Beaucoup de ces violations sont en infraction avec la législation nationale et avec les conventions internationales. Elles sont aussi en violation avec les politiques internes d’Ictsi, ce qui remet en question la capacité de la société à gérer son réseau global et à garantir les mêmes normes sur l’ensemble des terminaux », indique le rapport de l’ITF.

62 heures supplémentaires

Parmi les griefs reprochés au manutentionnaire, ITF considère que dans certains terminaux les salariés sont sous-payés. Dans son rapport, il met l’accent sur le paiement à des niveaux inférieurs aux minima sociaux prévus par la loi nationale et des accords syndicaux. Selon la confédération syndicale, le salaire minimum doit permettre au salarié de subvenir à ses besoins. Ce droit à « une rémunération équitable » est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et dans la Convention de l’OIT. Dans cette logique, les salariés doivent percevoir un salaire qui leur permet de subvenir aux besoins de leurs familles pour se nourrir, se loger, se vêtir et l’éducation et ce sans recourir obligatoirement aux heures supplémentaires. Or, dans les différents terminaux du manutentionnaire, des salariés sont payés en dessous de ce minimum vital, indique l’ITF. Pour appuyer ses dires, l’ITF a recueilli le témoignage d’ouvriers dans des terminaux du groupe. Ainsi, en Indonésie à Jakarta, les salariés du terminal OJA géré par Ictsi perçoivent un salaire de 250 $ par mois contre 1 500 $ par mois pour les ouvriers du terminal voisin. Pour disposer d’un salaire décent, les dockers sont tenus de réaliser des heures supplémentaires. Si la loi indonésienne tolère la réalisation de trois heures supplémentaires par jour dans une limite maximum de 14 heures par semaine, les salariés d’OJA ont parfois réalisé jusqu’à 62 heures supplémentaires par semaine. Face à la dénonciation de ces incohérences, le gouvernement de Jakarta a demandé que l’organisation du travail soit changée. Des deux groupes travaillant douze heures par jour, Ictsi a proposé de travailler en trois groupes de huit heures par jour. « Le syndicat a refusé d’appliquer cette nouvelle organisation des rotations tant que les demandes pour un salaire minimum vital ne sont pas satisfaites. Il affirme que les travailleurs sont incapables de subvenir à leurs besoins sans les heures supplémentaires excessives et illégales qu’ils effectuent actuellement », continue ITF. Pour contourner le problème, le manutentionnaire a affecté les responsables syndicaux refusant la nouvelle organisation à des shifts sans heures supplémentaires. Avec leur seul salaire de base, les ouvriers n’ont pu subvenir à leurs besoins vitaux et ont donc dû contracter des emprunts auprès d’usuriers, selon l’ITF. Pour permettre à chacun de recevoir un salaire décent, l’ITF s’est senti obligé d’accepter les nouvelles conditions de travail.

Outre les salaires bas, les heures supplémentaires n’ont pas été payées entre 2011 et 2015 selon le nombre réalisé mais avec un forfait de 88 $ pour toutes les heures effectuées. Cette pratique d’obliger à réaliser des heures supplémentaires payées au forfait a été mise en place avant l’arrivée d’Ictsi. Le nouveau concessionnaire du terminal a maintenu la pratique. En 2013, le syndicat s’est insurgé auprès de la direction qui n’a pas voulu démordre de sa position. Il a fallu attendre 2015 pour que la direction accepte de rémunérer les heures supplémentaires selon la réalité de ce qui a été réalisé. Un pas en avant d’Ictsi mais uniquement pour les heures réalisées après 2015. Le passé n’a pas été réglé. Pour défendre les droits des salariés, l’ITF a décidé de porter cette affaire devant les tribunaux indonésiens pour faire reconnaître les heures réalisées sur cette période et les faire rémunérer.

La sous-traitance des responsabilités

Autre sujet polémique de ce rapport, la sous-traitance opérée par Ictsi dans les terminaux indonésiens. Cette pratique d’employer par l’intermédiaire d’autres sociétés des employeurs apparaît pour l’organisation syndicale comme une délocalisation des responsabilités et des salaires. Pour l’ITF, ce recours créé une injustice sur le terminal. Les sous-traitants, selon l’ITF, sont obligés de payer un droit d’entrée au terminal, ils ne reçoivent pas d’équipements de sécurité comme les salariés d’Ictsi et seraient payés à des salaires inférieurs. « En tant qu’employeur dominant ou économique sur ses terminaux, Ictsi est responsable des droits et conditions de travail de tous les employés travaillant dans ses terminaux quelle que soit la façon dont ils ont été embauchés, directement par Ictsi ou par une société de sous-traitance », indique le rapport de l’ITF. Dans la même veine, l’ITF souligne que les conditions de sécurité des ouvriers dans les terminaux opérés par le groupe philippin laissent à désirer. Qu’il s’agisse de salariés directs ou de salariés de sous-traitants, les membres de l’ITF ont constaté sur les terminaux un mauvais entretien et des équipements approchant la négligence. Les normes minimales édictées par l’OIT ne sont pas respectées selon l’ITF. « Nous avons observé plusieurs manquements qui ont causé des blessures graves à des travailleurs », indique l’ITF.

Enfin, dernier sujet abordé dans ce rapport, les discriminations syndicales à l’encontre des ouvriers portuaires. Le manutentionnaire refuserait de reconnaître les syndicats comme des organisations légitimes pour la représentation des ouvriers et les négociations collectives et individuelles. L’ITF va encore plus loin en dénonçant des actions « punitives » contre des ouvriers syndiqués. Elles se sont manifestées par le refus pour ces ouvriers de réaliser des heures supplémentaires, des licenciements, des annulations de promotion et un traitement différencié par rapport aux autres employés.

Ce rapport à charge est pris au sérieux par le groupe philippin. De nombreuses informations divulguées dans le document sont fausses, expliquent les responsables du groupe. Ictsi développe son réseau sans perdre de vue l’aspect social de ses salariés. Cette enquête menée sur le manutentionnaire philippin pourrait s’étendre à d’autres sociétés internationales présentes sur plusieurs continents.

Le chiffre-clé

26

C’est le nombre de pays dans lequel le groupe Ictsi opère des terminaux. En Asie, Ictsi est présent aux Philippines (ports de Manille, Subic, General Santos, Davao City, Tagum City, Mindanano, Batangas et Laguna), en Chine (Yantai), en Indonésie (Jakarta et Makassar), en Australie (Melbourne), à Madagascar (Toamasina), en RDC (Matadi), au Pakistan (Karachi), Irak (Basra), Géorgie (Batumi), Croatie (Rijeka), Pologne (Gdynia), Argentine (Buenos Aires), Brésil (Suape), Équateur (Guayaquil), Colombie (Buenaventura), Honduras (Puerto Cortes), Mexique (Tuxpan et Manzanillo).

Profession

Archives

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15