Un ministère des Outre-Mer et de la Mer? Une idée pertinente

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Au cours de la campagne présidentielle, une vraie idée neuve en matière de gouvernance maritime a fait parler: pour faire décoller une ambition à la fois ultramarine et bleue, associons l’outre-mer et la mer dans un grand ministère, davantage économique que régalien. Venant d’élus qui ne feignent pas un intérêt aux questions d’ambition bleue, Karine Claireaux (pour Benoît Hamon), Philippe Folliot (pour Emmanuel Macron) et Marine Le Pen (Jean-Luc Mélenchon brandissant le pavillon d’un « ministère de la Mer »), la suggestion mérite réflexion. On aurait tort de ne voir derrière ce débat de bonne gouvernance qu’une question de maroquin. L’expérience de l’histoire des ministères aide à comprendre en quoi à une politique (et ses résultats) est associée une organisation de l’État. On juge en effet de la capacité d’un « ministre chargé de » au périmètre des administrations sur lesquelles il a « autorité », « mis à disposition » ou « pouvant faire appel », et que lui consent le « décret d’attribution ». Force est de constater que l’outre-mer et la mer apparaissent insuffisamment dotés aujourd’hui. L’outre-mer d’abord: un ministre dédié à l’outre-mer est une tradition bien ancrée. De « Marine et Colonies » à « Commerce, Industrie et Colonie », à partir de 1890, l’autonomie d’un « ministre de la France d’outre-mer » à partir de 1946 s’affirme et perdure sous des appellations voisines. À y regarder de plus près, sous la Ve République post-algérienne, singulièrement à partir de 1974, le ministère de la rue d’Oudinot s’apparente à une annexe du ministère de la place Beauvau, c’est-à-dire au bras ultramarin du ministre de l’Intérieur. Plutôt que l’objectif d’Économie ultramarine, la gestion d’ordre public de la France ultramarine l’emporte et mobilise, à titre préventif voire « à chaud », un ministre qui a autorité certes sur une petite administration, la DGOM, mais ne dispose pas dans son décret du concours d’autres administrations centrales (agriculture, industrie, transports, culture…) dotées de plus de moyens pour intervenir sur une stratégie de développement ultramarin. Du côté de la mer (au sens d’économie bleue), si on excepte la Marine (sous-entendue de guerre) qui a joui jusqu’en 1947 d’un ministère plein, il faut attendre 1981 pour qu’apparaisse l’intitulé « Mer » dans un portefeuille, qui plus est autonome. Pour faire court, seuls les transports (comprendre: y compris maritimes) étaient identifiés depuis 1959.

Les priorités politiques changent

À quelques exceptions près, cette attribution est au sein d’un portefeuille plus large (travaux publics, puis équipement-logement). Les soucis du ministre de tutelle se portent sur d’autres enjeux, sans rapport, même au sein des transports. Points positifs: l’unité de la profession de marin, inscrit maritime jusqu’en 1965, sauve la pêche maritime et les marins-pêcheurs d’une dislocation avec la marine de commerce. Les ministres ont autorité sur une administration assez forte, dirigée par le secrétaire général de la Marine marchande (SGMM), mais à l’influence concurrencée par d’autres centrales au fur et à mesure que s’élargit le périmètre. En 1981, François Mitterrand crée la surprise d’un « ministre de la Mer » incluant la construction navale, peu ou prou avec un politique dédié jusqu’en 1993.

Après un retour dans le giron Transports, la Mer connaît un rattachement en 2009 à l’Écologie, qui ne la quitte plus. C’est un signal: les priorités politiquent changent. Les acteurs de l’économie bleue passent sous l’ambition verte de leur ministre. L’économie maritime en même temps se disloque avec le rattachement de la pêche à l’agriculture de 1993 à 2012, puis en 2017 même si l’intitulé « pêche » a disparu. Entre-temps, l’unité d’une administration centrale forte, réussie sous l’égide du SGMM, a fondu. Non seulement les activités civiles en mer sont dispatchées entre un pôle à appétence écologique (transport maritime, plaisance, littoral), un pôle agricole (pêche, aquaculture) et d’autres rattachements (la recherche, la construction navale et les industries bleues à Bercy…), mais chaque « segment » est lui-même noyé au sein de son ministère de rattachement. Les succédanés imaginés pour pallier cet affaiblissement de cohérence administrative d’ensemble (secrétariat général de la Mer à partir de 1995), comme la réaction des acteurs maritimes pour mieux peser face à l’État (Cluster, Comité maritime français) ne pourront jamais lutter contre deux défauts structurels de ce choix de gouvernance: y a-t-il un ministre s’intéressant à la mer? Dispose-t-il d’une task-force pour répondre aux ambitions qu’il impulse? Fort de ce constat de faiblesse, l’idée assez géniale de réunir outre-mer et mer est triple. C’est d’abord la prise de conscience que c’est le développement de l’économie ultramarine et maritime qu’un ministre doit porter, ce qui est autre chose qu’une gestion régalienne de l’outremer ou écologique de la mer. C’est ensuite qu’il existe de fortes synergies entre les deux, et pas seulement du fait d’une ZEE commune, fût-ce la deuxième de la planète. C’est enfin le réalisme: puisqu’il y aura toujours un ministre chargé de l’outre-mer pour nos trois millions de compatriotes ultramarins, donnons-lui les moyens d’un périmètre économique englobant les activités maritimes et littorales. Le rapport de force d’un tel ministre avec Bercy changera d’un coup.

Décidément, ne jetons pas « le bébé de ces élus » avec l’eau du bain… de mer, et conservons comme pertinente leur suggestion.

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