L’obligation de livraison du transporteur confrontée aux nouvelles technologies

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Glencore a chargé MSC de transporter 3 conteneurs de briquettes de cobalt entre Fremantle (Australie) et Anvers (Belgique), selon connaissement du 21 mai 2012. A l’arrivée à Anvers, le transporteur a utilisé le système de livraison électronique du port (Electronic Release System ou ERS), qui lui permet d’adresser au réceptionnaire contre présentation du connaissement un email valant avis de mise à disposition et comportant un code PIN à trois chiffres. Ce code est ensuite utilisé par le chauffeur routier pour accéder au terminal et prendre livraison de la marchandise. Cette méthode avait préalablement été utilisée par MSC, Glencore et son agent à Anvers pour des chargements similaires, et ce, sans difficulté.

Le 22 juin 2012, MSC a envoyé le code PIN à l’adresse email désignée à cet effet par l’agent de Glencore. Lorsque le chauffeur routier est arrivé pour prendre livraison des conteneurs, il est apparu que deux des trois conteneurs avaient été remis à un tiers non identifié.

Glencore a assigné MSC devant les juridictions anglaises, lesquelles ont, en première instance puis récemment en appel, condamné le transporteur maritime.

Aux termes du connaissement, l’original de ce document était remis par le « Merchant » au transporteur en échange des marchandises ou d’un « delivery order ». Glencore soutenait que MSC n’ayant remis ni l’un ni l’autre, sa responsabilité était engagée. De son côté, le transporteur plaidait que le message adressant le Code PIN valant « ordre de livraison », il avait rempli ses obligations au titre du connaissement.

Pour rejeter cet argument, la Cour rappelle que le « delivery order » constitue de la part du transporteur un engagement de livrer la marchandise à la personne désignée sur le connaissement. En ne fournissant qu’un code PIN, MSC ne s’engageait à rien de tel et ne pouvait valablement soutenir avoir rempli ses obligations. Les juges anglais relèvent également que le fait que de précédents lots aient été pris en charge de la même façon à Anvers ne démontre aucunement que Glencore ait accepté que l’envoi du code PIN puisse constituer une « delivery note » ou même que la livraison à tout tiers détenteur de ce code puisse constituer une livraison valable. Selon les juges anglais, la dématérialisation des documents n’altère pas l’obligation essentielle du transporteur de livrer la marchandise à la bonne personne. Ainsi, la mise en place du système de code PIN reste une modalité pratique, sans réel effet juridique, l’obligation du transporteur restant celle qui est édictée dans le connaissement, c’est-à-dire livrer la marchandise à Glencore ou à son agent.

Appliquant les règles traditionnelles d’interprétation des contrats, ils soulignent qu’il aurait certes été possible de considérer l’envoi d’un code PIN comme valant « delivery order » (« constructive delivery ») mais à la seule condition que cette possibilité soit prévue par le connaissement. En l’absence d’une telle stipulation, les juges ont interprété la volonté implicite des parties qui, en mettant au même plan la remise du connaissement et la présentation d’un « delivery order », ont nécessairement voulu que le « delivery order » identifie la personne à laquelle le transporteur devrait remettre la marchandise, ce qui n’était pas le cas de l’avis de mise à disposition comportant un code PIN.

Cette décision illustre une certaine réticence des tribunaux à adapter le droit existant à l’évolution des nouvelles technologies, sans doute par souci de sécurité juridique. Cette évolution devra donc être mise en œuvre par les opérateurs du commerce international eux-mêmes dans la manière de rédiger leurs contrats afin de modifier le contenu des obligations.

La solution n’est pas sans rappeler celle adoptée – à une autre époque – par la Cour de cassation française s’agissant du « bon à délivrer » (parfois appelé « billette de sortie »), délivré au réceptionnaire contre remise du connaissement et lui permettant de prendre livraison des marchandises et de les sortir de l’enceinte du port. A plusieurs occasions, la Cour a ainsi considéré que la livraison s’entend de la remise physique de la marchandise matérielle et la seule remise du bon destiné à permettre ultérieurement au réceptionnaire de retirer la marchandise ne vaut pas livraison, sauf accord des parties sur ce point. On peut supposer que la Cour de cassation se montrerait également réticente à admettre que le transporteur puisse valablement exécuter son obligation en envoyant un code PIN et qu’en droit français, l’innovation viendra aussi de la pratique des contrats.

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