Les Européens prêts pour l’après quotas

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L’ouverture du marché a été bien anticipée par la filière en Europe. La surface betteravière a augmenté cette année en France de près de 19 % par rapport à l’année précédente; le groupe coopératif Tereos, premier sucrier français (marque Beghin Say) a annoncé le 8 septembre dans un communiqué qu’il prévoyait une hausse de sa production de 30 % au cours de la campagne betteravière qui commence. Son ambition est claire: il entend renforcer sa présence à l’exportation hors Europe pour « tirer parti des opportunités rendues possibles par la fin du régime des quotas ». Il vient de construire à Escaudoeuvres près de Cambrai, un centre logistique pour l’export d’une capacité de 500 000 t de sucre par an.

« Des conteneurs destinés à l’export pourront rejoindre directement par voie fluviale les grands ports du nord de la France et de la Belgique ». Gilles Vanackere, directeur général adjoint du Syndicat National des Fabricants de Sucre (SNFS), estime que « sans préjuger de ce que sera le volume de la récolte, il est certain que tant au niveau français qu’au niveau européen, et compte tenu de la relative stabilité de la consommation dans nos frontières et au sein de l’Union Européenne, les flux d’exportations seront en nette hausse ». Ces flux mobiliseront tant les capacités de stockage portuaire que celles du transport maritime, explique-t-il. L’Union européenne n’est pas seule à avoir accru sa production; certains pays producteurs de canne l’ont fait aussi, à l’image de l’Inde. L’offre de sucre mondiale devrait excéder la demande après deux années consécutives de déficit, a pointé l’Association internationale du sucre dans son dernier rapport trimestriel paru le 18 août. Cette production devrait atteindre 179,3 Mt en 2017-2018, contre 167,7 Mt en 2016-2017 (+ 6,87 %), tandis que la demande devrait augmenter de 1,77 % à 174, 6 Mt. Ainsi, le surplus d’offre devrait s’établir à 4,6 Mt tonnes, contre 3,8 Mt de déficit en 2016-2017.

« Si les rendements se maintiennent, la production de sucre va augmenter; il faudra trouver des débouchés; les industriels, les opérateurs portuaires, tout le monde s’y prépare » observe Manuel Gaborieau, délégué commercial céréales et agro-industrie à Haropa qui dispose d’une capacité de stockage de 120 000 tonnes – 60 000 tonnes à Rouen; 60 000 tonnes au Havre – sur un total de 460 000 tonnes sur le territoire national.

« La fin des quotas va booster les exportations », s’enthousiasme aussi Hervé Cornède, directeur commercial d’Haropa rappelant que cela touche au premier chef la France, premier producteur mondial de sucre de betterave. Il met en avant « l’offre complémentaire proposée par Haropa sur l’axe Seine où les clients peuvent avoir à leur disposition plusieurs solutions logistiques »; si la tendance est la conteneurisation (90 % des échanges pour le sucre blanc), les autres modes (vrac, big bags, vrac avec ensachement à bord sur des navires BIBO) ont aussi leur pertinence économique soulignent Hervé Cornède et Manuel Gaborieau.

13 M€ investis par Sucre Oceane au Havre

Au Havre, on n’a pas attendu la date du 1er octobre pour augmenter les capacités de traitement pour l’exportation. L’opérateur Sucre Oceane, filiale de SHGT (filiale à 100 % de Sogena) et du groupe Euroports, a décidé de miser sur les possibilités d’exportation offertes par la libéralisation du marché européen du sucre. Le spécialiste de la logistique sucre ainsi investi 13 M€ au Havre dans de nouvelles capacités de stockage et de traitement du sucre pour des marchés à l’export. De 45 000 t de sucre traitées par an, il envisage de passer à 140 000 t pour servir des marchés européens (exemple la Grèce qui ne produit plus de sucre) mais aussi le grand export (notamment l’Afrique où la consommation progresse) que la politique des quotas rendait impossible à toucher. Concrètement, Sucre Océane vise l’expédition annuelle de 7 000 conteneurs au départ du Havre. « Nous avions trois silos d’une capacité de 15 000 t chacun et nous venons d’en construire un quatrième (3 M€) ce qui porte notre capacité de stockage à 60 000 t », explique Guillaume Blanchard, directeur général de Sucre Oceane. « Parallèlement, nous avons entrepris de moderniser nos process industriels avec notamment de nouveaux équipements de réception et d’expédition; nous travaillons aussi beaucoup sur notre système qualité car le marché est plus qualitatif. » Sucre Oceane a obtenu la certification Food Safety System Certification 22 000, la certification la plus exigeante en matière de sécurité sanitaire, celle que réclame un client comme Coca Cola, l’un des plus gros acheteurs de sucre au monde.

A Rouen, c’est l’opérateur Senalia qui opère le silo sucrier Robust (capacité 60 000 t en une seule cellule) dédié à un seul client, Saint-Louis Sucre (groupe allemand Südzucker) qui joue sur les deux logistiques: vrac et conteneurs; Senalia n’ayant pas souhaité répondre aux questions du JMM sur sa stratégie vis-à-vis de l’ouverture du marché, il faut se contenter de cette déclaration qui figure sur son site internet: « la performance des équipes et des équipements permet à Robust d’entrer dans une nouvelle ère et de participer pleinement à l’ouverture du marché en 2017 ». La qualité est à l’évidence un enjeu majeur pour l’opérateur qui met en avant sur son site internet l’obtention de la certification FSSC22000. Il a notamment renforcé les équipements destinés à la sécurité alimentaire avec la mise place d’aimants et d’un tamisage plus fin au niveau du chargement vrac.

Anvers et la « sugar belt »

« Le sucre français est un sucre haut de gamme en termes de traçabilité et de qualité sanitaire; le sucre traité ici est immédiatement utilisable par les clients », souligne Manuel Gaborieau rappelant la stratégie d’Haropa de miser sur l’agro-industrie.

Mais la Vallée de la Seine n’est pas le seul point de sortie de sucre en Europe; la concurrence existe entre les différents ports sucriers français (Le Havre, Rouen, Dunkerque, Calais …) et européens. A Anvers, premier port sucrier européen, l’opérateur Manufert (groupe Euroports) qui affiche une capacité de stockage de 260 000 t, a récemment investi pour accroître les capacités de manutention de son terminal pour préparer « l’après quota »; mais l’industriel ne communique pas sur le montant de son investissement. Peut-être recherche-t-il la discrétion vis-à-vis de ses clients belges, français et allemands.

« Anvers est situé au cœur de la sugar belt, la région d’Europe ou sont concentrées le plus de sucreries », indiquait la revue Le Betteravier dans son édition d’octobre 2016, présentant les investissements du Benelux pour « l’après quota ». Le monde étant petit, l’ancien propriétaire de Manufert, le groupe anversois Vlaeynatie vient de construire un nouveau terminal sucrier à Terneuzen (80 000 t), le Zeeland Sugar Terminal (ZST) situé à l’entrée du canal Gand-Terneuzen qui donne accès à la mer du Nord. Vlaeynatie a fait le pari que l’industrie sucrière européenne produira 20 % de plus dès la campagne 2017-2018, ce qui nécessite des capacités nouvelles.

À suivre!

Un marché du sucre grand ouvert

Ce qui va prendre fin le 1er octobre, c’est un système des quotas qui limitait à 13,5 Mt la production de sucre (alimentaire) répartie entre 19 États membres de l’UE. Ce régime était fondé sur des quantités de sucre (alimentaire) maximales qu’un sucrier était autorisé à produire (les quotas). Il était associé à un prix garanti pour les planteurs de betteraves (25 €/t) et un prix de référence (404 €/t) pour le sucre.

Ce régime européen de quotas avait été institué en 1967-1968 à une époque où l’Europe était déficitaire en sucre. Mais au fil des années, l’UE était devenue excédentaire en sucre et exportatrice sur le marché mondial. L’UE exportait donc du sucre « hors quotas » sur le marché mondial et ce sucre européen se trouvait en concurrence avec le sucre de canne (80 % des volumes mondiaux).

Le système européen attaqué par les producteurs de canne à sucre

Dans les années 2000, plusieurs événements internationaux sont venus attaquer le régime européen. Trois pays producteurs de canne à sucre (Brésil – premier producteur et exportateur mondial – Thaïlande et Australie) ont déposé une plainte auprès de l’OMC contre les exportations de sucre hors quotas « subventionnées » de l’UE sur le marché mondial. Après une première condamnation de l’UE par l’OMC en 2004, la commission d’arbitrage de l’OMC a confirmé en 2005 que les aides versées par l’UE à ses producteurs pour leurs exportations hors quotas sur le marché mondial étaient illégales. Par la suite, l’OMC a décidé d’ouvrir le marché communautaire du sucre aux importations en provenance notamment des Pays les Moins Avancés (PMA) et de la zone Afrique Caraïbes Pacifique (ACP). Ces pays pouvaient exporter leur production de sucre en Europe sans aucun droit de douane.

Pour respecter ses engagements vis-à-vis de l’OMC, la Commission européenne a été amenée à réformer en profondeur en 2006 son organisation du marché du sucre basée sur des quotas de production et un soutien des prix. Objectif: préparer la filière à quitter un système encadré pour un marché ouvert.

Résultat, les quotas de production ont été réduits de 30 %, près de 80 sucreries ont fermé entre 2005 et 2010 (plus de 40 % des usines), cinq états membres ont abandonné la culture de la betterave à sucre et dans cinq autres, elle a été réduite de 50 %. Cette restructuration considérable a été soutenue par des financements européens et par un fonds de restructuration financé par l’industrie sucrière.

La France, premier producteur mondial de sucre de betterave

Conséquence de cette réforme, l’UE est passée d’une position d’exportatrice nette de sucre à celle d’importatrice nette du fait du plafonnement des exportations.

En 2013, l’UE a adopté une nouvelle réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) qui s’applique depuis 2014. En ce qui concerne le sucre, cette réforme a prévu que le régime des quotas devait prendre fin le 30 septembre 2017. En France cinq sucreries sur 30 ont été fermées. Les producteurs français, comme leurs voisins allemands ont sorti leur épingle du jeu du fait de la compétitivité de la filière betterave-sucre dans son ensemble et de leur capacité à produire du sucre haut de gamme répondant aux meilleurs standards de qualité; il faut préciser que pour compenser la réduction des quotas, les sucriers français, comme d’autres, ont mis l’accélérateur sur la production de bioéthanol.

La France qui était le premier pays producteur de sucre de betterave a conservé son rang après la réforme avec aujourd’hui trois grands opérateurs détenant l’essentiel du marché – Téréos, Cristal Union, Saint Louis sucre – auxquels s’ajoutent Lesaffre et Ouvré, deux sociétés familiales mono usine.

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