Journal de la Marine Marchande (JMM): Le gouvernement d’Édouard Philippe ne compte pas de ministre ou de secrétaire d’État dédié à la Mer. Y a-t-il pour vous matière à inquiétude ou êtes-vous rassuré par le fait que le Premier ministre soit l’ancien maire du Havre?
Jean-Louis Le Yondre (J.-L.Y.): Je suis persuadé qu’Édouard Philippe est de toute évidence affûté aux grandes questions portant sur la gestion d’un grand port français. Il saura structurer et rendre efficaces les administrations centrales pour faire en sorte de trouver les moyens de réactiver et de rendre compétitifs les principaux ports du pays.
JMM: Les trafics perdus il y a un an jour pour jour à cause des conflits sociaux le sont-ils définitivement ou sont-ils revenus? Quel est l’état de santé des entreprises de transit au Havre?
J.-L.Y.: Les mouvements de grève que nous avons connus en mai et en juin 2016 laissent des plaies, quoi qu’on puisse dire, qui ne sont pas encore cicatrisées. Il n’y a pas, de ma part, de sujet polémique pour stigmatiser les acteurs qui agissent au port du Havre. Néanmoins, il y a une réalité cruelle. Les journées, les semaines de grève ont été en partie mortifères pour la place havraise. On perd en deux mois les acquis de 10 ans de travail et il faut 10 ans pour les récupérer. Que chacun en tire les conséquences pour le bien de tous.
JMM: La loi Travail va revenir sur le devant de la scène. Qu’en attendez-vous? Craignez-vous de nouveaux mouvements sociaux sur la place portuaire havraise?
J.-L.Y.: Au travers de l’actualité politique que nous vivons, il semble que le gouvernement en place, animé par le président de la République et son Premier ministre, tend véritablement à établir un programme avec les partenaires sociaux de tout bord afin d’améliorer la loi Travail. Les différentes problématiques de cette loi sont abordées de manière totalement différente et plus harmonieuse. Les syndicats que nous connaissons, particulièrement la CGT du Port du Havre, devront avoir une attitude responsable. L’analyse est extrêmement simple. Le monde maritime havrais, représenté par l’Union maritime et portuaire (Umep), compte 22 000 salariés, soit une population totale de 32 000 salariés dans le secteur industrialo-portuaire. Si 2 500 syndicalistes CGT, tant du syndicat des Dockers que du syndicat du Port, veulent totalement paupériser ces 32 000 personnes, qu’ils le disent clairement. Cela aurait pour conséquence la paupérisation totale de l’économie du Havre qui dépend à 50 % du secteur maritime et portuaire.
JMM: Le port du Havre est toujours pénalisé par un problème d’évacuation des marchandises. Pensez-vous que la plate-forme multimodale remplisse pleinement son rôle?
J.-L.Y.: À l’heure actuelle, le port du Havre n’est pas pénalisé par le problème d’évacuation des marchandises. En l’occurrence, vous parlez d’un port. Il s’agit pour le port du Havre d’animer son export et son import. En dehors des difficultés que nous avons connues en termes d’organisation tenant principalement aux actionnaires de LHTE (Le Havre Terminal Exploitation), on constate une amélioration constante de l’activité du chantier multimodal, qui, de toute évidence, commence à remplir son rôle et va connaître l’équilibre financier attendu.
JMM: Qu’en est-il du chantier Serqueux-Gisors?
J.-L.Y.: En ce qui concerne la ligne de fret ferroviaire Serqueux-Gisors, ce dossier a trouvé un aboutissement avec tous les acteurs politiques et économiques. Il avait été abondé de 78 M€ par l’Europe. Ce chiffre ne suffisait pas. Les actions, tant de Michel Segain (président de l’Union maritime et portuaire) que de moi-même, ont permis d’obtenir 50 M€ de la part de la région Normandie et 50 M€ de la part de la région Ile-de-France. Ce budget de 178 M€ va enfin permettre à la SNCF d’ouvrir ce chantier début septembre. Vingt-cinq ans d’efforts auront été enfin récompensés.
JMM: Quels sont les effets des grandes alliances entre armateurs pour le port du Havre? Y voyez-vous un signe positif ou négatif pour les entreprises que vous représentez?
J.-L.Y.: On peut dire que Le Havre est béni des dieux malgré les mouvements de grève terribles de l’année dernière. Le port du Havre a conservé toutes ses alliances, y compris les rotations des trois grands armateurs CMA CGM, MSC et Mærsk. Les alliances et les autres armements n’ont pas diminué leurs services. Grand bien nous fasse! Nous avons évité une catastrophe mais la chance passe rarement deux fois. La situation des grèves ne doit absolument pas se renouveler. Nous risquons de lasser à terme les grands armateurs et les services qui y sont attachés.
JMM: Les navires sont de plus en plus grands. Il va falloir s’adapter?
J.-L.Y.: Le gigantisme des navires, c’est un choix purement armatorial en fonction des contextes économiques, et que le monde de la commission des transports ou des instances portuaires ne dominent pas. Il y a une limite à toute chose. Pour servir ces énormes navires, et si cette tendance devait perdurer dans le temps, il faudra des portiques et des moyens de manutention adaptés à ce gigantisme. Cette tendance ne concerne pas que Le Havre mais tous les ports européens touchés par ces géants, avec un coût de remise à niveau du matériel qui n’est pas encore chiffré mais qui serait gigantesque.
JMM: On traite 2,6 MEVP au Havre, 10 MEVP à Anvers, comment expliquez-vous un tel écart?
J.-L.Y.: C’est le résultat d’un manque de réflexion sur le rôle du commerce extérieur français. Et cela dure depuis 1945. Faut-il rappeler que pendant des décennies, la gestion des grands ports français a été animée par l’État, avec des partenaires sociaux issus des négociations liées au Conseil national de la Résistance. Fustiger en 2017 l’État, le Parti communiste et la CGT n’est pas à l’ordre du jour. La manutention est passée dans le privé. Les syndicats demeurent. Il est nécessaire de trouver une harmonisation sociale qui nous permette à nouveau de prospérer. Néanmoins, ces 70 années d’atermoiement ont amené cette terrible disparité: Anvers 10 MEVP et Le Havre 2,6 MEVP.