Pour les marins, leurs associations d’aide comme pour les cabinets d’avocats spécialisés dans la défense des victimes de l’amiante ou toute autre problématique en lien avec la santé au travail, l’Enim tente autant que possible de minimiser la reconnaissance des maladies professionnelles. Selon le président d’une association basée à Marseille, l’Enim fait traîner les procédures et n’hésite pas à faire appel jusqu’à la Cour de cassation pour différer le versement des pensions et indemnités.
Ils relèvent l’isolement des marins qui se retrouvent à terre et confrontés à une maladie liée à l’amiante, bien souvent, une fois à la retraite anticipée ou non. Les lésions en lien avec l’amiante apparaissent généralement longtemps après l’exposition et leur gravité est souvent élevée avec un pronostic vital réduit. Il n’est alors pas simple pour un marin âgé de plus de 70 ans de se lancer dans une procédure de reconnaissance de maladie professionnelle et d’obtenir l’indemnisation correspondante. Ce n’est pas simple non plus pour sa veuve ou l’un de ses ayants droit si la victime est décédée. Beaucoup d’entre elles et d’eux se plaignent de la manière dont l’Enim les traite. Ils soulignent une discrimination entre les salariés travaillant à terre et relevant du régime général, et les navigants travaillant à bord de navires et relevant du régime spécial de l’Enim.
Des conditions administratives
Une maladie professionnelle est la conséquence de l’exposition plus ou moins prolongée à un risque qui existe lors de l’exercice habituel de la profession. Il est souvent impossible de fixer exactement le point de départ de la maladie. De plus, la cause professionnelle de la maladie est rarement évidente et il est parfois très difficile de retrouver, parmi les produits manipulés ou côtoyés, celui ou ceux qui peuvent être responsables des troubles constatés. Dans ces conditions, le législateur a établi un certain nombre de conditions médicales, techniques et administratives qui doivent être remplies pour qu’une maladie puisse être légalement reconnue comme professionnelle et indemnisée comme telle. Il s’agit des tableaux annexés au code de la Sécurité sociale qui s’appliquent aux salariés relevant du régime général comme à ceux relevant du régime spécial de l’Enim. Souvent, cet établissement ne reconnaît pas la maladie professionnelle car l’une des conditions administratives prévues dans les tableaux du code de la Sécurité sociale n’est pas remplie. Il ne fournit aucun raisonnement juridique à son refus de reconnaissance. Cela conduit le marin à recourir au tribunal des affaires de la Sécurité sociale (Tass) pour tenter d’obtenir la reconnaissance de sa maladie professionnelle.
Pour Marie Fleury, avocate au cabinet Teissonnière Topaloff, Lafforgue, Andreu, « concernant la reconnaissance des maladies professionnelles, l’inégalité entre les marins et les autres salariés provient notamment de l’absence d’un système complémentaire dans le régime spécifique de l’Enim, à la différence du régime général ». Pour celui-ci, il est apparu que le système des tableaux présentait une double limite: se trouvaient exclues du régime de réparation des maladies professionnelles, d’une part les maladies non inscrites dans l’un des tableaux, d’autre part celles pour lesquelles les conditions médico-légales définies dans les tableaux n’étaient pas remplies. La loi du 93-121 du 27 janvier 1993 a pris en compte ces défauts et institué un système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles pour les salariés relevant du régime général. Ce système reconnaît que l’absence d’une ou de plusieurs conditions administratives n’est plus un obstacle définitif à la reconnaissance de la maladie professionnelle et met en place un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles qui, dans le cas d’une maladie « hors tableaux », apprécie sur dossier le lien direct et essentiel entre l’activité professionnelle habituelle et la maladie.
Ce système complémentaire ne concerne que les salariés relevant du régime général et non pas ceux relevant du régime spécifique de l’Enim. Dans ces conditions, il est possible de se poser la question de savoir si cet établissement ne joue pas de sa particularité de régime spécifique pour refuser de reconnaître des maladies comme étant professionnelles, alors même que le décret du 17 juin 1938 modifié relatif à la réorganisation et à l’unification du régime d’assurance des marins, dans son article 21-4, fait référence aux tableaux du code de la Sécurité sociale du régime général. « Le combat est d’ouvrir le champs d’imputabilité des maladies aux marins relevant du régime spécifique de l’Enim sur le modèle de ce qui est prévu pour les salariés du régime général », explique Marie Fleury.
La faute inexcusable de l’employeur
Une autre inégalité entre les salariés relevant du régime général et les marins relevant du régime spécial de l’Enim n’a pris fin en partie que le 6 mai 2011. « Ce jour-là, une décision du Conseil constitutionnel a ouvert aux marins atteints d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail en lien avec l’amiante la possibilité de lancer une action en justice pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’armateur à l’origine de l’accident ou de la maladie », rappelle Frédéric Quinquis, avocat au cabinet Ledoux.
Suite à la décision du Conseil constitutionnel, la faute inexcusable de l’employeur (FIE) a été reconnue dans différents dossiers concernant des marins victimes de l’amiante, même si les employeurs ont multiplié les renvois et les appels. Toutefois, pour les dossiers où la FIE avait été reconnue par la justice, l’Enim refusait de majorer au taux maximum de 100 % la PIMP servie à la veuve en motivant son refus sur l’article 21 du décret-loi de 1938 qui plafonne la PIMP d’ayant droit à 60 % du salaire forfaitaire de l’époux. « La discrimination était flagrante avec la veuve d’un salarié affilié au régime général qui, elle, voit sa rente majorée à la suite de la reconnaissance de la faute de l’employeur de son mari », relève Frédéric Quinquis.
Il a fallu attendre le 9 mars 2017 et une circulaire de l’Enim pour voir cet établissement modifier son interprétation. « L’Enim applique à présent les règles prévues par les textes, en concordance avec leur application par les autres régimes de Sécurité sociale. […] Les pensions qui ont été diminuées à tort au cours des années passées vont être recalculées, même celles dont le jugement est devenu définitif. » L’Enim a confirmé sa position devant le TASS de Saint-Brieux le 11 mai en indiquant ne plus s’opposer à la demande de majoration au maximum de la PIMP de la veuve d’un marin.