Journal de la Marine Marchande (JMM): Pourquoi avoir accepté ce poste?
Jean-Claude Gayssot (J.-C.G.): Carole Delga, présidente de la région Occitanie (propriétaire du port), a su me convaincre rapidement. Au ministère des Transports, j’ai traité les questions des ports et de la mer. Pas de la pêche, qui était dans le ministère de l’Agriculture, mais je gérais les problèmes sociaux de la pêche et de la formation. J’ai donc acquis en cinq ans une expérience, y compris sur le port de Sète. J’ai notamment été confronté à la catastrophe du naufrage de l’Erika, après laquelle j’ai mené le bal à l’échelle nationale et européenne. Il y a eu beaucoup de discussions avec Armateurs de France, dont Marc Chevallier était le président. Dans l’ex-région Languedoc-Roussillon, avec Georges Frêche, j’ai été vice-président chargé des transports, puis des relations internationales et des financements européens. J’ai à ce titre arraché pas mal de millions d’euros pour le port de Sète. Outre l’expérience acquise et la confiance de l’exécutif régional, j’arrive sur un port en état de marche où beaucoup de choses ont déjà été réalisées ou lancées. Je n’ai qu’à conforter le développement.
JMM: Quatre mois après votre prise de fonction, quel est votre « rapport d’étonnement »?
J.-C.G.: Je suis surpris par l’extrême besoin de réactivité. Sans arrêt, on est en direct avec les manutentionnaires, les affréteurs, les prospects, les clients… Il faut s’acquitter de cette mission avec le souci que la région, propriétaire, y trouve son compte. Un port de cette dimension est complexe car il est multifonctions. Il faut veiller en permanence à ce que le développement de l’un ne s’oppose à celui de l’autre – pêcheurs, commerce, plaisance. Une telle responsabilité, c’est génial!
JMM: Quel est le bilan du port de commerce de Sète pour le début 2017?
J.-C.G.: À fin avril, le trafic sur le port de Sète est en hausse de 7 % par rapport à avril 2016, avec 1,37 Mt. Les importations de véhicules neufs sont en hausse de 10 %. Les importations d’alimentation animale sont en hausse avec 104 000 t contre 90 000 t en 2016. Les entrées méditerranéennes sont plus importantes, en raison notamment des basses eaux sur le Rhin. Augmentation également des importations de graines oléagineuses pour l’usine de trituration de Saipol: 150 531 t, contre 123 627 t (+21,76 %). Les exportations de tourteaux progressent de 5 % et le trafic de bétail de 18 %, avec 23 912 têtes. L’ouverture du marché israélien aux importations de bovins participe à cette hausse.
JMM: Quelle est votre priorité pour le port de Sète?
J.-C.G.: Réussir le projet stratégique 2015-2020. Environ 130 M€ doivent être investis d’ici à 2020 (public et privé). L’objectif est d’atteindre 4,6 Mt pour le port de commerce (3,8 Mt en 2016), 250 000 passagers et un chiffre d’affaires de 21 M€ (16 M€ en 2014). Il s’agit aussi de donner une dimension conséquente au développement durable avec le photovoltaïque (34 000 m2 des hangars vont être transformés), la future plate-forme intermodale fer/mer/routage/canaux (projet Modalohr) et le passage du canal du Rhône à Sète au gabarit de 2 500 t, au lieu de 1 500 t aujourd’hui.
JMM: Quels investissements sont prévus par la région Occitanie, propriétaire du port?
J.-C.G.: La nouvelle gare maritime, pour 45 M€, et dont la livraison est prévue mi-2021. Un « casier » de 18 ha va par ailleurs être aménagé sur la zone Zifmar pour la réalisation d’un terre-plein, sorte d’extension du port, afin d’accueillir le projet de la compagnie pétrolière BP. On supprimera le sealine et on réalisera l’appontement pour les pétroliers. Investissement: 5 M€. La livraison est prévue fin 2018. Un nouveau hangar à bétails (3 M€) sera réceptionné début 2018. Son coût est supporté par l’EPR Port Sud de France. Autres investissements prévus: 500 000 € pour la création en 2018 de 1 ha de terre-plein et pour le développement de la ligne opérée par l’armement Ekol avec la Turquie (financement: EPR Port Sud de France). L’EPR va aussi injecter 3 M€ dans l’acquisition d’une nouvelle grue mobile en 2018. En matière d’investissements public-privé, la plate-forme intermodale Modalohr, prévue pour fin 2018, va mobiliser 8 M€. Cette plate-forme sera située sur la zone de stockage des risers, derrière le bureau central de la main-d’œuvre.
JMM: Et en matière d’investissements privés?
J.-C.G.: L’appontement pétrolier BP va générer 50 M€ d’investissements. La livraison est prévue mi-2020. La construction du hangar vrac agro, 8 M€ (mi-2019). Sea Invest va consacrer 4 M€ dans la construction, sur 6 000 m2, d’un hangar vrac agro. Générale du Solaire prévoit 8 M€ pour la création de fermes photovoltaïques d’ici à 2019. Enfin, une convention va être signée le 23 mai entre la direction générale du port (Olivier Carmès) et Conhexa (Dunkerque) pour la reprise de l’exploitation du terminal frigorifique, avec l’objectif de réception des premiers trafics fin 2017.
JMM: Quelle est la place du port de Sète dans la nouvelle région?
J.-C.G.: Nous sommes la première région méditerranéenne de France en superficie, en nombre d’habitants et en attractivité. Toulouse est la capitale de cette première région méditerranéenne. Cette façade maritime sur la Méditerranée constitue, de manière géostratégique, économique et politique, un des grands enjeux du développement et de la stabilité du monde. J’arrive à un moment où tout le monde mesure l’enjeu de la Méditerranée et du Sud. Cinq cents millions d’habitants entourent la Méditerranée. Avec l’aéronautique, le spatial, l’agroalimentaire, le secteur vitivinicole et le tourisme, Sète peut devenir la solution logistique des chargeurs d’ex-Midi-Pyrénées. Même si je comprends qu’il y ait des liens historiques de Toulouse avec Bayonne et Bordeaux. L’Occitanie, c’est bientôt six millions d’habitants, 50 000 habitants de plus par an, une inscription dans l’eurorégion (15 millions d’habitants avec la Catalogne), 500 000 étudiants, un gros potentiel R & D, une croissance économique. Si nous travaillons efficacement avec les industriels et les CCI, Sète aura sa place.
JMM: Vous prônez une gouvernance commune avec les autres ports d’Occitanie (Port-la-Nouvelle dans l’Aude, Port-Vendres dans les Pyrénées-Orientales, L’Ardoise dans le Gard). Pourquoi?
J.-C.G.: Il s’agit d’une préconisation du Ceser Occitanie. La mise en place d’une gouvernance commune de ces quatre ports régionaux figure sur sa feuille de route. Je suis pour lancer dans les prochains mois, sous l’égide de la région, la préfiguration de ce que pourrait être une gouvernance commune à réaliser d’ici à la fin du projet stratégique 2015-2020. La réflexion englobera tous les acteurs concernés, les ports, ceux dépendant de la région et les autres (Port-Vendres dépendant du conseil départemental des Pyrénées-Orientales), le Ceser, les élus des territoires concernés, les représentants de l’État, les organisations syndicales et professionnelles, les CCI. Il s’agira d’une gouvernance commune, mais pas unique. C’est dans le sens de l’histoire. Ce sera une gouvernance sans dominant ni dominé, basée sur la complémentarité. Cette phase préparatoire sera aussi l’occasion de travailler sur le projet régional portuaire stratégique 2021-2025.
Votre principale source d’inspiration?
Jean Jaurès.
Si vous deviez explorer un nouveau métier?
Enseignant.
Votre meilleur souvenir professionnel?
Comme ministre, quand j’ai obtenu un triplement des compensations pour les veuves de marins disparus en mer, après un naufrage en Bretagne. De Kersauson m’avait interpellé.
Le plus mauvais?
J’en ai beaucoup… Le crash du Concorde en août 2000, le naufrage de l’Erika en décembre 1999, l’incendie du tunnel du Mont-Blanc en mars 1999. Ça fait partie des choses qu’on n’oublie pas. Certes, il y a eu Port 2000 au Havre, le TGV Est européen, le viaduc de Millau, mais ça ne compense pas.
Ce que vous appréciez le plus chez vos collaborateurs?
La compétence, le dévouement et le franc-parler.
Le défaut que vous ne tolérez pas?
Les incivilités et la suffisance.
L’entreprise que vous auriez aimé inventer?
La SNCF. Rappelez-vous que je suis cheminot!
Une citation que vous répétez souvent?
« Si le travail et la création sont le père de toutes les richesses, c’est la terre et la mer qui en sont la mère. Il faut les soigner comme la prunelle de nos yeux. Il faut savoir ce qu’on y fait et ce qu’on y laisse, pour qu’on puisse regarder l’autre sans avoir à rougir. »
Votre meilleur souvenir en rapport avec la mer?
Je suis passionné de pêche. J’ai un petit bateau, au port de Sérignan. J’ai passé le permis côtier quand je n’étais plus ministre. Je pars souvent en mer avec un copain ou mon beau-frère. Mes meilleurs souvenirs en rapport avec la mer, c’est la pêche au gros en Guyane, autour des îles du Salut, en Guinée Bissau, aux Seychelles, à Maurice. On économisait 500 francs avec ma femme chaque mois, et tous les deux ans, on partait.
Le pire souvenir en relation avec la mer?
Le naufrage de l’Erika et les conditions difficiles du sauvetage des marins.