Le gaz naturel liquéfié (GNL) est considéré comme un carburant prometteur pour une navigation plus propre. Le premier bateau fluvial propulsé au GNL a été mis en service il y a six ans. Depuis lors, certains progrès ont été réalisés, surtout sur l’axe rhénan où quelques bateaux neufs et un porte-conteneurs existant ont été équipés d’une propulsion au GNL. Plusieurs ports ont commencé à faciliter l’approvisionnement en GNL. Toutefois, il apparaît que l’euphorie initiale s’est estompée. Alors que le secteur maritime passe au GNL, la filière fluviale perd du terrain. Cinq constats peuvent être dressés pour expliquer cette situation. Les solutions relèvent d’une mobilisation des acteurs du fluvial et du monde politique.
Les constats
1. L’approvisionnement en GNL évolue de manière satisfaisante dans les ports maritimes, mais il est encore trop cher et d’un accès peu flexible dans l’arrière-pays.
L’utilisation du GNL par les navires bénéficie de la présence de nombreux terminaux méthaniers le long des côtes de l’Europe du Nord. Le GNL pour les bateaux de navigation intérieure est livré, jusqu’à présent, par camion-citerne depuis les grands terminaux d’importation à Zeebrugge et Rotterdam. Cette chaîne d’approvisionnement convient aux ports ARA, mais elle est coûteuse et peu flexible pour desservir l’arrière-pays en raison des plus grandes distances. Une station d’avitaillement en GNL à petite échelle sur le Rhin supérieur pourrait atténuer ce problème.
2. Les synergies potentielles avec d’autres consommateurs de GNL pourraient soutenir la mise en place d’une infrastructure de GNL, mais elles ne sont pas encore exploitées.
L’infrastructure de GNL pour la navigation maritime exploite des synergies avec d’autres consommateurs, en particulier dans l’industrie. De son côté, la navigation intérieure n’a guère lancé d’initiatives conjointes avec d’autres acheteurs de GNL au sein de l’industrie ou du transport routier. Or, à elle seule, la navigation intérieure ne créera pas assez de demande à moyen terme afin de rendre une infrastructure de GNL rentable dans l’arrière-pays. La réalisation de projets de GNL dans les ports intérieurs nécessite une approche « multi-client ».
3. Les incitations par les prix pour passer au GNL sont trop faibles et ne peuvent pas être corrigées de manière adéquate par les programmes d’aide.
L’évolution favorable des prix des carburants conventionnels ralentit la transition vers des carburants alternatifs. Les coûts d’investissement pour les unités fonctionnant au GNL représentent également un obstacle important. À la différence de la navigation maritime, le secteur fluvial a du mal à réaliser de tels investissements en raison de sa structure morcelée. L’effet des programmes d’aide à ce sujet est limité, leur charge administrative étant souvent insurmontable pour les petites entreprises, nombreuses en navigation intérieure. Ces programmes ne bénéficient donc effectivement pas à l’ensemble du secteur.
4. Le cadre réglementaire permet l’utilisation du GNL, mais les nouvelles normes européennes sur les émissions créent des fausses incitations.
La base réglementaire pour l’utilisation du GNL a été établie en navigation maritime et intérieure. Dans les mers du Nord et Baltique, les zones de contrôle des émissions désignées par l’OMI créent des incitations fortes pour l’utilisation des carburants plus propres. Sur les eaux intérieures, l’UE a adopté des normes d’émissions plus strictes qui entreront en vigueur à partir de 2019-2020. Étant donné que ces normes sont très exigeantes et ne concernent que les nouveaux moteurs, elles risquent, selon les représentants de l’industrie, de déclencher une « cubanisation » de la flotte. Cela signifie que les moteurs ne seront plus remplacés, mais seulement remis en état à plusieurs reprises, car le secteur fluvial est trop isolé.
5. Trop peu d’entreprises de navigation intérieure sont disposées et capables de promouvoir de manière stratégique les innovations technologiques environnementales.
Une image d’entreprise « verte » est de plus en plus importante dans le secteur du transport. Peu d’entreprises de navigation intérieure ont toutefois développé une stratégie ambitieuse à cet égard. De nombreuses compagnies se sont satisfaites trop longtemps des avantages environnementaux de leur mode de transport. Pire encore, il leur manque la capacité d’investissement pour réaliser le verdissement de la flotte.
Les solutions
La solution aux deux premiers constats est avant tout une question de temps et de courage entrepreneurial. Les trois constats suivants constituent des défis politiques. Pour les résoudre, de nouveaux outils sont nécessaires. Comme, par exemple, une taxe d’incitation sur les carburants nocifs pour le climat et l’air. Une telle taxe mettrait en place des incitations de prix pour l’utilisation des carburants les plus respectueux de l’environnement par tous les bateaux de navigation intérieure en Europe. L’ensemble des revenus de la taxe serait complété par les fonds des programmes d’aide, puis le tout serait redistribué au secteur. Cette redistribution serait conçue de manière à renforcer la capacité de l’innovation dans le secteur.
Benjamin Hofmann
Il est actuellement assistant de recherche gouvernance de l’énergie à l’Institut de science politique à l’université de Saint-Gall en Suisse. Il a été précédemment chargé de mission auprès du secrétaire général de la Commission centrale pour la navigation du Rhin à Strasbourg.