Malgré des taux de croissance régionaux qui oscillent autour de 4 à 5 % surla dernière décennie, le « miracle portuaire » ouest-africain tarde à se concrétiser. Les trafics totaux n’augmentent que trop lentement et les doublements des manutentions conteneurisées entre 2010 et 2020 demeurent encore un objectif pieux. Pourtant, investissements publics et bataille concurrentielle entre opérateurs privés ont changé le panorama portuaire ouest-africain. Les terminaux de dernière génération à Lomé, à Téma et bientôt à Abidjan, constituent une réponse structurelle forte aux déficits chroniques et à l’obsolescence historique qui caractérisaient encore récemment la plupart des ports ouest-africains. Les flottes aussi ont changé avec, dorénavant, panamax et over-panamax qui desservent la majorité des terminaux sous-régionaux.
Un état des lieux des facteurs clés qui expliquent la situation ouest-africaine actuelle ne s’avère pas inutile au moment où se pose la question d’une éventuelle surcapacité portuaire, gardant à l’esprit que des nouveaux ports comme Kribi ne sont toujours pas en opération et que de nombreux autres grands projets semblent vouloir rester dans les cartons faute de garanties de trafics et donc de profits.
Incertitude logistique
Parmi les éléments connus, rappelons que:
• Le maillage infrastructurel terrestre demeure toujours déficient avec seulement 20 % des routes pavées en Afrique subsaharienne. Conjugué avec des flottes de camions d’un autre âge, cela crée de « l’incertitude logistique » avec des temps de transit terrestres calculés en semaines plutôt qu’en jours. Les rotations routières présentent des productivités très faibles, ce qui continue de générer des surcoûts de transport qui impactent le panier de la ménagère africaine, sans parler du surenchérissement des produits africains à l’export.
• La situation sur le ferroviaire n’exige pas plus d’analyse, si ce n’est de rappeler que sur le continent Afrique, 20 % des terres émergées représentent 0,1 % des tonnes-kilomètres du trafic ferroviaire mondial!
• Le manque d’industrialisation et de transformation des productions, issues en particulier de l’agrobusiness ouest-africain, ne permet pas de rééquilibrer les flux import-export. Ce débalancement des trafics est préjudiciable, notamment pour les armements qui doivent continuellement jongler avec des repositionnements stratégiques de boîtes vides sur toute la rangée Mauritanie-RDC. Et de rappeler que la sortie FCL de 20 pieds de produits forestiers pondéreux est difficilement compatible avec le traitement des 40 pieds de produits manufacturés en provenance d’Asie du Sud-Est!
Malgré l’émergence prouvée d’une classe moyenne estimée à plus de 200 millions de consommateurs, les dividendes démographiques africains tardent à se concrétiser dans la croissance. Le taux de conteneurisation par habitant ne dépasse pas 20 pour 1 000 habitants pour l’Afrique de l’Ouest, contre plus de 120 pour les pays les plus industrialisés.
La sévère dépréciation du cours des matières premières a altéré les recettes étatiques. Que l’on soit au Nigeria, au Gabon, en Guinée Conakry ou en RDC, toute une dynamique positive s’est grippée et cela se retrouve dans les niveaux d’échanges enregistrés par les autorités portuaires des pays concernés.
Face à toutes ces contraintes, la conséquence première se constate sur des interfaces portuaires sous-exploitées, à Lomé par exemple. Les taux de remplissage de porte-conteneurs plus grands ne sont pas optimaux, que l’on soit sur le trade Europe ou sur celui du Moyen-Orient/Asie. Le croisement stratégique des lignes régulières sur des hubs régionaux ouest-africains ne s’impose pas. Les surcoûts portuaires dans la gestion des petites et moyennes unités freinent l’émergence d’une vraie logique stratégique de cabotage international ouest-africain.
Alors, que faut-il attendre pour les années à venir? La réponse tient probablement dans des signaux faibles, mais réels, comme ceux en provenance des fonds d’investissement internationaux qui perçoivent le secteur logistique africain comme un vrai secteur d’avenir. L’amélioration de la stabilité politique, l’affirmation d’une bancarisation financière africaine et le potentiel considérable d’une jeunesse africaine en quête de mieux vivre devraient finir par transformer enfin le miracle portuaire… en une réalité!