Journal de la Marine Marchande (JMM): Vous êtes membre de l’équipe de campagne de François Fillon. Est-ce qu’il existe une approche unique des questions maritimes et portuaires au sein de cette équipe?
Philippe Folliot (P.F.): Les arbitrages sur les questions maritimes et portuaires ne sont pas encore définitivement opérés à ce jour. J’ai vu longement François Fillon le 21 février, il a été très sensible à l’approche que je défends et propose de lier l’outre-mer et la mer. La raison en est simple. Depuis plusieurs années, il n’existe pas de réelle incarnation de la politique maritime au plan gouvernemental. Nous devons mener une politique ambitieuse à long terme. L’approche que je propose s’apparente à une vision gaullienne de la mer. Lorsque dans les années 1960 le général de Gaulle a lancé des grands programmes maritimes et portuaires, ils ont eu des effets jusqu’à nos jours. Nous devons décliner cette approche aujourd’hui.
JMM: L’association entre l’outre-mer et la mer est originale par rapport aux différentes politiques menées au cours des dernières décennies. Comment permettre à toutes les composantes du maritime de se retrouver dans un ministère aussi large?
P.F.: Pour bien comprendre cette approche, il faut revenir en arrière. L’économie maritime a été le parent pauvre de la politique au cours des dernières années, sans distinction de majorité. Cette politique maritime a été portée par le Secrétariat général à la mer. Nous avons eu d’excellentes personnalités qui ont occupé ce poste, mais malgré leurs qualités et tous les efforts entrepris, ils ont peu pesé sur la politique à mener. Nous devons désormais sortir de ce cadre pour mettre en avant d’autres éléments. La politique maritime doit être incarnée avec un ministère de la Mer. De plus, le domaine maritime est lié aussi à l’outre-mer. Alors si le monde ultramarin et celui de la mer ne se sont jamais parlés, il faut maintenant les marier.
Cette absence de dialogue, toute relative, entre le monde de la mer et des ultramarins vient d’une certaine négation par des ultramarins de leur maritimité. Seules la Polynésie et la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon ont développé une approche maritime. Le rôle de ce grand ministère de l’Outre-mer et de la Mer permettra de réconcilier les collectivités ultramarines et la mer, mais aussi d’apporter une vision de la mer sur une autre échelle internationale. Aujourd’hui, les politiques considèrent la France comme une puissance européenne et continentale alors qu’elle est mondiale et maritime.
JMM: En liant l’outre-mer et la mer, vous proposez une politique radicalement différente de ce qui a été fait au cours des précédents quinquennats et notamment pour les territoires ultramarins. Cette politique maritime ne doit-elle pas aussi passer par un développement de l’économie maritime et portuaire sur l’ensemble du territoire français, métropolitain et ultramarin?
P.F.: Nous devons modifier notre politique. Pour l’outre-mer, les différents gouvernements ont eu une approche sociale du devenir de ces territoires. Notre approche propose de changer les choses et d’adopter une vision économique du développement. L’économie maritime mondiale représente aujourd’hui quelque 750 Md$. En 2030, ce secteur passera à 1 500 Md$. En France, l’économie bleue pèse 75 Md$ et environ 300 000 emplois. Une filière qui devrait continuer à croître. Je souhaite que le prochain gouvernement adopte une politique maritime volontaire, ambitieuse et tournée vers l’avenir et l’économie. Dans les prochaines années, l’économie bleue devrait créer près de 600 000 emplois. En liant l’outre-mer et la mer, il apparaît que le tiers de cette économie bleue se déclinera aussi sur l’outre-mer et cela créera 200 000 emplois dans les départements et collectivités ultramarins. Nous pourrons donc avoir une approche économique du développement et créer de l’emploi. Cette vision du maritime permet de disposer de hubs pour cette économie et pour la francophonie, ce qui est important pour la France mais aussi pour l’Europe.
JMM: Cette approche consacre une partie pour le développement du portuaire?
P.F.: La politique portuaire doit être une composante importante de ce ministère. Prenons l’exemple de Port Réunion. Il traite environ un dixième de celui du havre. Si nous le ramenons à l’échelle de la population du territoire qu’il dessert en comparaison avec celui du Havre, il ne devrait faire que 1/25e du trafic du Havre. Cela démontre l’importance que ce port a su prendre au niveau régional et nous pouvons encore faire mieux. Notre intérêt, en disposant de ports compétitifs dans cette région, est de rayonner dans le grand sud-ouest de l’océan Indien et de faire de Port Réunion, avec le soutien de l’industrie maritime, un grand hub d’intérêt régional. Il faudra faire de même pour les Antilles, Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, Port du Pacifique. Il faut que nous profitions de notre position et des atouts que représentent les collectivités ultramarines. En effet, ces collectivités se situent dans des zones parfois tourmentées politiquement. Elles apportent, pour leur part, une stabilité. Elles offrent des capacités économiques et de développement de la francophonie. À l’inverse, l’outre-mer a tourné le dos à la mer et a disposé d’un système social qui n’incite pas toujours au dynamisme économique.
Ce grand ministère de l’Outre-mer et de la Mer s’inscrira dans la durée avec une vision à long terme. Nous devons mettre un terme aux politiques antérieures et cesser de saupoudrer ces questions dans différents ministères afin de lui donner un poids réel dans l’économie.
JMM: De nombreuses voix s’élèvent à la veille des élections présidentielles pour demander aux candidats pour une nouvelle politique maritime et portuaire. Pensez-vous qu’il faille réformer une nouvelle fois les ports pour leur donner une nouvelle dynamique?
P.F.: Il ne faut pas parler d’une réforme des ports mais plutôt d’une ambition renouvelée. Les ports français ont besoin de souplesse pour pouvoir être compétitifs. Leur modèle économique est aujourd’hui menacé, faute d’investissements suffisants. Le prochain gouvernement devra prévoir des moyens pour réaliser des investissements importants sur tous les ports français, métropolitains et ultramarins. L’enjeu n’est pas l’équipement des ports, qui est plutôt bon, mais leur desserte, notamment ferroviaire et fluviale. Il faut aussi avoir une réflexion générale sur la place de ces ports et leurs liaisons avec l’hinterland. Le Havre, pour continuer avec lui, doit se placer comme le port de l’Ile-de-France. Si Paris avait été au bord de la mer, l’approche politique des questions maritimes aurait été complètement différente.
JMM: Dans un ouvrage que vous avez coécrit avec Xavier Louy, « France sur mer, un empire oublié », vous décrivez trois enjeux majeurs de la mer: l’eau, l’énergie et l’alimentation. Cela signifie-t-il que votre approche maritime est avant tout une question de souveraineté sur la zone économique exclusive?
P.F.: La France dispose de la deuxième zone économique exclusive de la planète. Nous sommes présents sur les trois plus grands océans, Atlantique, Indien et Pacifique. Notre ZEE apparaît comme une des plus équilibrées de la planète puisque nous disposons de mers chaudes, tempérées et de mers froides. Si nous comparons l’étendue terrestre et maritime, nous disposons d’une superficie plus grande que celle de la Chine. Ceci constitue un atout indéniable pour notre pays. De plus, notre économie est composée de grands groupes internationaux et de PME qui s’inscrivent comme des leaders mondiaux sur les questions maritimes. L’exemple le plus caractéristique est celui du groupe CMA CGM qui se situe en troisième place des transporteurs conteneurisés du monde. Il faut que nous sachions miser sur cet atout. Pour la France, l’économie bleue est un atout qu’il faut savoir jouer.
JMM: Vous êtes intervenus dans le cadre de votre mandat de député pour vous opposer à la signature d’un traité sur la souveraineté de l’île de Tromelin. Est-ce là une première approche de votre politique maritime?
P.F.: Le traité proposé par le gouvernement sur la souveraineté de l’île de Tromelin m’est apparu comme inique. Il s’agissait de prévoir une cogestion de notre souveraineté. En acceptant la signature de ce texte, nous aurons ouvert la porte au détricotage de notre souveraineté à l’outre-mer. Il faut être ferme sur les principes et conserver notre pleine et entière souveraineté sur notre zone économique exclusive. En proposant ce traité, il est apparu que notre pays se trouve à la croisée des chemins. Soit nous décidons d’abandonner notre souveraineté, soit nous adoptons une approche plus volontaire, plus dynamique, en décidant de prendre en compte la véritable réalité de cette dimension maritime et d’en faire un atout pour notre économie et celle de l’Europe. J’ai choisi la seconde.
Quel a été votre premier contact avec la mer?
Je suis originaire du Tarn et donc pas forcément lié à la mer. La première fois que j’ai eu un contact avec la mer a été lorsque j’ai reçu en cadeau un atlas. J’avais huit ans. Dès que je l’ai ouvert, j’ai voyagé avec lui autour du globe et pris conscience de l’importance de la mer sur notre planète.
Vous avez toujours gardé un contact passionné avec la mer?
Oui. J’ai même vécu une sorte de « frustration ». J’ai été incorporé, pendant mon service militaire, dans la Marine nationale. J’ai toujours regretté de ne pas avoir pu embarquer sur le Jeanne-d’Arc. Pour moi, cet embarquement était un rêve. Dès que j’ai été élu à l’Assemblée nationale en 2002, je me suis intéressé aux questions de Défense nationale et le domaine maritime s’est ouvert à moi.
Quel est votre plus beau souvenir en rapport avec la mer?
Plus qu’un souvenir, je dirais que c’est une image. Je me suis rendu dans les Terres australes antarctiques françaises. Au petit matin j’ai vu au loin apparaître l’île de Saint Paul, dans le nord de Kerguelen, dans le brouillard. Cette image est gravée dans ma mémoire et représente une belle image de la mer.
Et le pire souvenir?
Toujours dans le cadre de ma mission parlementaire dans les îles d’outre-mer, j’ai eu l’occasion de me rendre à Clipperton. Cette île est inhabitée mais quand je suis arrivé, j’ai vu une plage jonchée de déchets rejetés par la mer. C’est une image désolante.