Les guichets uniques ont la particularité d’être des outils généralistes. Ils sont destinés à permettre à l’ensemble des opérateurs du commerce international de disposer de procédures dématérialisées pour l’exportation et l’importation de leurs marchandises. Il s’agit donc de systèmes informatiques qui s’étendent au-delà du simple espace portuaire, puisqu’ils permettent de réaliser toutes les opérations liées au commerce extérieur. Disposer d’un tel outil signifie pour les agents économiques un gain de temps, et pour les administrations des États l’assurance de recevoir les recettes et d’éviter la contrebande. Pour arriver à construire un outil de guichet unique, plusieurs paramètres entrent en ligne de compte. Il faut en premier lieu une volonté politique du gouvernement. Il faut ensuite que les administrations concernées par le commerce extérieur – qu’il s’agisse des douanes, des autorités portuaires ou des administrations en charge de la vérification sanitaire des produits importés ou exportés – acceptent de jouer le jeu et « s’accaparent » l’outil. Enfin, pour les sociétés privées, cet outil doit aussi être une manière de réduire les temps de transport et de passage des frontières.
Un guichet unique du commerce extérieur n’est pas une chose aisée à mettre en place, surtout lorsqu’il faut adopter une approche inclusive. C’est sur ce thème qu’une cinquantaine de délégations africaines et européennes se sont retrouvées à Marrakech du 5 au 7 septembre pour débattre des avantages et des freins que peuvent rencontrer les pays africains pour créer un guichet unique.
« La coopération, hier basée sur les relations de confiance et les liens historiques, est aujourd’hui de plus en plus fondée sur l’efficacité, la performance et la crédibilité », a rappelé le roi du Maroc, Mohammed VI, dans son discours d’introduction au Congrès sur les guichets uniques.
Le ministre marocain de l’Équipement, du Transport et de la Logistique, Aziz Rabbah, a souligné les actions réalisées au Maroc. « Dans la stratégie du gouvernement marocain, le développement portuaire a pris une grande place. Nous avons entrepris plusieurs réformes de l’administration pour assister les opérateurs économiques. Toutes ces réformes, qu’elles concernent la douane ou d’autres entités doivent maintenant participer à la dynamique de développement du secteur portuaire et aéroportuaire pour favoriser l’essor du commerce extérieur marocain ». Une analyse que Mohammed Abbou, ministre délégué chargé du Commerce extérieur auprès du ministre de l’Industrie, de l’Investissement et de l’Économie numérique est venu appuyer. « Au cours des dernières années, sur toutes les réformes des services douaniers réalisées dans le monde, 30 % ont concerné l’Afrique. Le Maroc s’inscrit dans cette tendance, et, depuis plus de deux décennies, nous avons porté un intérêt particulier à la simplification des procédures pour le commerce extérieur. Il s’agit d’un levier vital pour la modernisation de notre économie nationale. »
Un outil de la révolution du conteneur
La dématérialisation est devenue un élément essentiel avec le développement de la conteneurisation. La rapidité des échanges et la standardisation demandent que les flux informatiques suivent le flux physique. « Les guichets uniques deviennent un outil majeur pour suivre cette révolution », a continué Mohammed Abbou. Et pour cela, les responsables politiques du Maroc ont expliqué leur approche en invitant autour de la table l’ensemble des différents acteurs de la chaîne logistique et du commerce international pour leur offrir un outil efficace. « Nous devons avoir une approche inclusive sur les guichets uniques. » L’idée est de construire un lieu commun de discussion « au lieu de sombrer dans des batailles coûteuses ».
Cette approche inclusive peut alors prendre plusieurs formes. Pour Gilbert Mokoki, ministre des Transports, de l’Aviation civile et de la Marine marchande de la république du Congo, « l’approche inclusive s’impose comme une exigence. Nous avons déjà commencé à travailler en coopération avec le Cameroun sur des échanges d’informations sur la certification d’origine. Il s’agit d’un premier pas de démarche inclusive et nous espérons que cela constitue les premiers pas d’une route de l’information que nous devons tracer pour le futur. »
C’est en 2013, lors de l’accord de Bali signé au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), que les choses se sont accélérées. Cet accord prévoit notamment la réduction du coût de passage de plus de 14 % pour les pays à faible revenu et de 13 % pour les pays à revenu intermédiaire, et de simplifier la circulation des marchandises, indique un document de l’OMC. L’administration des douanes du Maroc s’est impliquée dans la construction du guichet unique. Pour cela, elle a mis en place une approche client. Pour sa part, un responsable de la CGEM (Confédération générale des entreprises marocaines) est venu confirmer la démarche. « La simplification apportée par le guichet unique Portnet est un outil de compétitivité pour nos entreprises. » La réussite de ce guichet unique marocain est « le fruit d’une coopération entre tous les acteurs », a continué le responsable de la CGEM. Aujourd’hui, l’exemple marocain sert de base de réflexion pour les autres pays. « Portnet a participé à notre croissance du commerce extérieur », explique le responsable de la CGEM. Ce guichet unique est aussi perçu comme une première étape. « La CGEM reste mobilisée pour que toutes les procédures du commerce extérieur tendent vers une dématérialisation générale. En simplifiant les procédures et en fluidifiant les flux physiques et informatiques, nous permettrons aux opérateurs économiques de gagner en compétitivité. Le zéro papier est notre objectif. »
Portnet s’affiche aujourd’hui comme un projet abouti, « mais cela n’a pas été un long chemin tranquille. Le processus d’aboutissement de ce guichet unique a nécessité beaucoup d’efforts à tous », a expliqué Nadia Laraki, directrice générale de l’Agence nationale portuaire du Maroc et de Portnet. À l’origine du projet, le Maroc a commencé avec la mise en place d’échanges de messages EDI. Ensuite, il a fallu mettre en place un système intégré avec la douane. Puis, continue Nadia Laraki, il a fallu articuler le système autour de la façade portuaire. « À chaque étape, nous avons rassemblé les acteurs impliqués dans le projet pour avancer ensemble », continue la directrice générale de l’ANP, qui souligne le rôle majeur des ports dans le commerce extérieur.
Rassembler les acteurs privés et les administrations dans le projet
Cette approche inclusive du Maroc a été aussi intégrée lors de la création du guichet unique au Congo. Gilbert Mokoki, ministre des Transports, de l’Aviation civile et de la Marine marchande de la république du Congo, a insisté sur la nécessité de cette approche inclusive. « Nous avons associé tous les opérateurs dès la conception pour lever les barrières. »
Après avoir levé les premières barrières, les acteurs de ces guichets uniques doivent passer à la phase pratique. « Nous avons investi des milliards de dirhams dans les infrastructures, les serveurs pour fluidifier le commerce. Maintenant, il faut savoir investir sur le changement culturel. Nous devons avoir un engagement ferme des administrations et des entreprises. Pour que le projet devienne une réalité quotidienne, il faut que tous investissent dans la formation et surtout dans la transformation. » En effet, la mise en œuvre d’un guichet unique est souvent source de craintes pour les opérateurs. Les réticences et les freins à l’utilisation sont finalement le dernier obstacle à lever. Cette « révolution culturelle » des procédures du commerce extérieur doit se faire à tous les niveaux. Les sociétés privées doivent former les personnels. Quant aux administrations, elles ont parfois voulu être en haut de l’affiche. « Une attitude qui a nui au développement des guichets uniques. Aujourd’hui, au Maroc, ce n’est pas telle ou telle administration qui apparaît en haut de l’affiche, mais le Maroc », a souligné le ministre des Transports marocain Aziz Rabbah.
Pour entrer dans la danse, chacun est un maillon essentiel. Il s’est alors posé la question de l’utilité des intermédiaires. Commissionnaires, agents maritimes, courtiers sont parfois perçus comme des intervenants dont les opérations pourraient être réalisées en amont. Virginia Cram-Martos, directrice de la division coopération économique et du commerce au sein de la Commission économique européenne de l’ONU, a rappelé le rôle de tous dans le bon déroulement des procédures du guichet unique. « Dès lors que les intermédiaires améliorent le processus de la collecte de revenus pour l’État et qu’ils participent à l’évolution du guichet unique, leur rôle est essentiel. » Elle a appelé à voir les guichets uniques comme des instruments évolutifs qui s’adaptent aux conditions du commerce de chaque pays. Et l’approche inclusive est essentielle pour les agents maritimes. Abdelaziz Mantrach, président de l’association des agents maritimes et consignataires du Maroc, a insisté sur la position de ses adhérents face au guichet unique. « Nous avons milité pour la création de Portnet et du guichet unique du commerce extérieur. Pourquoi? Simplement pour nous faciliter la vie. » Dès l’avis d’escale jusqu’aux informations à envoyer aux différentes administrations pour l’escale, les agents maritimes jouent un rôle. « Dès le début des discussions, nous avons demandé à tendre vers la dématérialisation. Avec Portnet, nous avons trouvé une solution pour atteindre le zéro papier depuis janvier 2016 dans tous les ports marocains. » Le président du comité chartering de la Fonasba (Fédération des associations nationales des courtiers et agents maritimes), Fulvio Carlini, a continué dans ce sens. Un guichet unique, a-t-il expliqué, n’est pas un frein pour une agence maritime sauf pour celui qui ne fait rien. « Nous avons toujours été demandeurs de guichets uniques au cœur de la chaîne logistiques. Les agents maritimes ne sont pas les pandas de la supply chain, nous ne sommes pas en voie de disparition. Nous apportons de la valeur ajoutée et en ce sens nous participons activement à l’amélioration des guichets uniques, tant ceux destinés au commerce extérieur que les guichets portuaires. »
La valeur ajoutée des intermédiaires
Cette notion de valeur ajoutée dans les guichets uniques est aussi défendue par les commissionnaires en transport. Pour Anne Sandretto, présidente de la commission technologie de l’information de la Fiata, « nous sommes là pour accompagner et apporter de la valeur ajoutée aux PME et TPE, et par voie de conséquence une valeur ajoutée dans tous les processus de dématérialisation ». Elle a rappelé que la Fiata, en tant qu’organisation mondiale, a créé une fondation pour soutenir la formation des personnels. « Nous apportons des moyens financiers pour aider les efforts humains auprès des pays qui ont des besoins et souhaitent un effort financier sur ce sujet. »
En Afrique, de nombreux guichets uniques ont été créés. Lors du 5e Congrès des guichets uniques de Marrakech, plusieurs responsables sont venus relater leurs expériences. Il ressort des différentes présentations que les guichets uniques ont été créés dans le cadre d’un partenariat public-privé. Au Bénin, Olivier Moreau, vice-président en charge du développement au Bureau Veritas, a rappelé que le Segub (société d’exploitation du guichet unique du Bénin) a commencé par le portuaire pour ensuite évoluer vers un guichet unique du commerce extérieur. Cela a été fait en partenariat entre le Bureau Veritas, la Soget et le gouvernement béninois. « Nous avons commencé comme un port community system pour évoluer vers le guichet unique du commerce extérieur ». En Côte d’Ivoire, le guichet unique s’est créé entre les administrations locales et Web Fontaine. Au Ghana, le guichet unique GCNet a été créé avec une participation de 35 % dans le capital de la société d’exploitation à l’État et de 65 % par SGS, société française. Madagascar a choisi la même société pour créer son guichet unique.
Ouvrir les guichets uniques à toute la chaîne
Une fois créé, le dénominateur commun de ces guichets uniques a été de se développer. Il reste que ces systèmes informatiques ne sont pas toujours ouverts à l’ensemble de la chaîne logistique. Portnet, au Maroc, a intégré la fonction d’intervention des chargeurs dès l’origine du projet, a souligné Jalal Benhayoun, directeur général de Portnet. « Nous avons 25 000 usagers aujourd’hui opérant sur l’ensemble des opérations du commerce international. Ils s’étendent sur toute la chaîne de la décision depuis le chargeur jusqu’au réceptionnaire. » Pour la Soget, la mise en place d’un module destiné aux chargeurs date du début de l’année quand a été intégrée la Maritime Single Window.
Aujourd’hui, les différents systèmes installés en Afrique visent d’autres objectifs avec la dématérialisation de tous les documents. « Nous y sommes parvenus sur un certain nombre d’opérations au Maroc », a souligné Jalal Benhayoun. Il reste d’autres étapes à franchir. Ainsi, à Madagascar, Gabynet prévoit d’intégrer prochainement le paiement électronique directement depuis les guichets uniques. Au Maroc, le lancement de ce système est dans sa phase pilote et devrait se généraliser dans les prochaines semaines. Ce projet de paiement est plus embryonnaire dans d’autres pays comme le Cameroun.
Globalement, les différents intervenants constatent que la mise en place de ces guichets uniques a permis de réduire fortement le temps de transit des marchandises dans les différents pays. Au Bénin, Olivier Moreau estime une réduction de 85 % du temps de transfert des marchandises dans le port et l’assurance pour le gouvernement de collecter les recettes de ce commerce. À Madagascar, le délai de dédouanement est passé de 20 jours à trois jours sur le port de Tamatave, et à 24 heures sur l’aéroport.
Pour Richard Morton, délégué général de l’IPCSA (International Port Community System Association), les guichets uniques portuaires ne sont pas uniquement des systèmes informatiques. « Ils sont un projet de gestion générale des flux informatiques. »
Forts de ces expériences, les différents guichets uniques se développent actuellement sur les points de frontières nationaux. Fin août, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, sous l’égide de l’AACE (Alliance africaine pour le commerce électronique), ont signé un accord bilatéral sur la transmission des certificats d’origine. « Cet accord est une première étape qui permet à chaque pays de fournir des certificats d’origine pour les chargeurs concernés. Nous pensons que demain, au sein de l’UEMOA (Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest), ce type d’accord bilatéral pourra se décliner vers d’autres fonctions voire devenir multilatéral », a indiqué le président de l’AACE, Ibrahima Nour Eddine Diagne.
Femmes et commerce international
Lors du 5e Congrès des guichets uniques qui s’est tenu à Marrakech du 5 au 7 septembre, la présidente de Wista (Women in shipping and trade association), Rosa Sobrinho, est venue défendre la position des femmes dans le commerce international. « Les femmes ont montré qu’elles sont parfois plus efficaces que certains hommes. Nous avons un rôle à jouer et notamment dans les petites et moyennes entreprises pour apporter notre savoir-faire. » Si la présence des femmes s’accroît, elles restent malgré tout encore discriminées. « Nous devons avoir une attitude de mère et apprendre dès le plus jeune âge à nos enfants que garçons et filles ont les mêmes chances, et éviter de se laisser enfermer dans les préjugés », a plaidé Nadia Laraki, directrice générale de l’Agence nationale portuaire du Maroc.