Pour les salariés et les créanciers d’Hanjin, la nouvelle est, bien sûr, mauvaise. Pour l’équilibre du marché maritime conteneurisé Est-Ouest, cela est moins sûr. Cela fait des années que les plus hauts représentants de Mærsk souhaitaient le retrait des « petits » joueurs pour essayer de ramener un semblant d’équilibre que Mærsk en premier, MSC et CMA par la suite, avaient déstabilisé en cherchant à profiter avant les autres des économies d’échelle permises par les plus grands porte-conteneurs. Le consultant britannique Drewry note déjà que les taux spot se sont envolés quelques heures après le dépôt de bilan. Depuis la crise de l’automne 2008, aucune faillite retentissante n’avait été réellement enregistrée mis à part l’arrêt de Senator en février 2009, compagnie allemande majoritairement détenue depuis 1997 par… Hanjin.
Il faudra un à deux mois au tribunal coréen pour décider si Hanjin peut continuer à exister ou être démantelé, a expliqué un juge « anonyme » à l’agence Reuters. C’est oublier que si un transporteur peut disparaître, la plupart de ses navires restent en exploitation. Avant d’être reprise par Mærsk, Sea-Land a acheté les 12 Econships d’USL pour 160 M$. Après avoir demandé à bénéficier du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites en novembre 1986, USL a été démantelé en février 1987. Les services transport des importateurs ou exportateurs n’ont sans doute gardé aucun souvenir des conséquences opérationnelles du passage sous chapitre 11 d’USL.
Les enseignements du passé
Dommage, cela aurait pu servir à ceux qui ont chargé sur Hanjin. Premier problème: les navires coréens ne pourront plus transiter par Suez ou par Panama car il faut payer cash avant le transit. Certains vont tenter de rallier la Corée, s’ils le peuvent. Les autres, chercher le premier port qui acceptera de les accueillir. Si les navires restent trop longtemps au mouillage ou à quai, le DO (Diesel Oil) va venir à manquer et les conteneurs reefers ne seront plus alimentés.
Les autorités portuaires vont paniquer tout comme les opérateurs portuaires (pilotes, remorqueurs, manutentionnaires, avitailleurs, etc.) et exiger d’avoir l’argent en caisse ou une garantie d’un P&I, avant de fournir la moindre prestation. Les conteneurs à bord des navires vont y rester un bon bout de temps. Le temps nécessaire pour que les réceptionnaires garantissent le paiement de tous les frais, possibles et imaginables. Et ces frais vont être nombreux. Les connaissements (B/L) émis par Hanjin risquent d’être considérés comme « accomplis » dans le premier port de « refuge ». Il faudra décharge tous les conteneurs, Hanjin ou non, les stocker et organiser le « on-carriage », le voyage terminal vers les différents ports de destination indiqués aux B/L. L’unité de compte sera probablement le mois. Pour les marchandises arrivant d’Extrême-Orient et destinées à être vendues pour les fêtes de fin d’année, le coup est probablement rude.
Les créanciers de la compagnie vont aussi chercher à faire saisir les navires qui ont pu trouver un port de bonne volonté, avec tous les risques d’immobilisation des quais durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Les fréteurs de porte-conteneurs vont compter leurs pertes et mettre un certain temps à récupérer les navires qu’exploitait Hanjin. En 2015, 17 % du chiffre d’affaires de Danaos ont été générés par les frétements à Hanjin. Trois unités de 10 100 EVP sont probablement bloquées quelque part: les Hanjin-Germany, Hanjin-Greece et Hanjin-Italy.
Le sort des importations qui sont déjà à quai est moins préoccupant: les boîtes Hanjin ne quitteront probablement pas le terminal. Elles seront vidées et les marchandises mises à disposition dans le port, contre paiement de tous les frais que les réceptionnaires ne pourront pas bien négocier.
Hanjin est membre de l’alliance CKYHE, Cosco, K Line, Yang Ming, Hanjin et Evergreen, qui, en avril 2017, devait devenir THE Alliance. À ce titre, ses navires chargent des boîtes bookées par les autres partenaires, et réciproquement. Ils devront accéder à bord pour organiser les transbordements dans les ports habituels ou non, et, bien sûr, assumer tous les frais. Les partenaires d’Hanjin qui ont des boîtes coréennes à leur bord ne les lâcheront probablement pas avant d’être payés des sommes que leur doit Hanjin, même si les réceptionnaires ne sont pas partie au contrat liant les transporteurs. Il est probable que les réseaux de communication utilisés par Hanjin vont s’arrêter, faute d’être payés. Une chose est sûre: 2016 (et probablement le 1er semestre 2017) sera une bonne année pour les juristes spécialisés dans ce type de dossiers complexes et internationaux. La nuance juridique entre Hanjin « as agent » et Hanjin shipowner va prendre toute sa dimension.
La chasse à la part de marché est fermée
Les salariés coréens d’Hanjin en poste à l’étranger vont probablement devoir rallier le pays du Matin calme à leurs frais, sans oublier le coût de leur déménagement. Les autres salariés, non coréens, employés en dehors de la Corée du Sud, risquent d’avoir du mal à percevoir la moindre indemnité de licenciement. Ils devront « se payer » sur l’encourt client, pour autant qu’un juge local accepte de nommer un administrateur judiciaire.
Outre le fait que les services juridique et opérationnel des partenaires d’Hanjin vont être surchargés ces prochains mois, il va également falloir organiser les rotations sans les navires coréens. La surcapacité a donc dû baisser depuis le 31 août pour au moins deux mois. Il est hautement probable que les directions générales des autres compagnies sont à la fois sidérées par ce dépôt de bilan et ravies. La panique est sans doute mauvaise conseillère, mais la chasse à la part de marché est fermée depuis le 31 août. La question est de savoir quand elle ouvrira à nouveau.
Anvers: cargo against cash
Le dépôt de bilan d’Hanjin explique la réaction des terminaux habituellement fréquentés. À Anvers, ses navires font escale au terminal PSA Noordzeeterminal où ses conteneurs sont bloqués. L’Union des expéditeurs d’Anvers s’oppose à cette décision, alors qu’une juridiction datant d’un cas précédent donnait raison aux manutentionnaires. Conséquence, les expéditeurs peuvent récupérer la marchandise en faisant dépoter les boîtes à leurs frais. Moyennant 500 €, un conteneur plein peut leur être livré à condition qu’une caution de 2 000 € soit versée, restituée lors du retour du conteneur vide. À Rotterdam, le conseil des chargeurs néerlandais a obtenu une décision de justice exigeant du manutentionnaire qu’il ne facture que les THC « normales » et 25 € de frais de gestion extraordinaire pour délivrer les conteneurs Hanjin à l’importation.
Une décision politique assumée
« Le gouvernement incitera rapidement les groupes industriels à se restructurer en tenant compte du principe selon lequel leur survie et leur compétitivité sont de leur seule responsabilité », a indiqué le ministre des Finances Yoo Il-ho. Le gouvernement sud-coréen serait-il donc décidé à mettre fin aux entreprises « zombie » qui ne survivent encore que grâce à des aides publiques structurelles dans le transport maritime, la construction navale ou dans d’autres secteurs? Probable forte montée d’adrénaline chez les armateurs qui ont des coques en construction en Corée ou à Saint-Nazaire. En effet, le sort de STX Corée reste sans réponse visible. Donc, celui de STX Europe, actionnaire majoritaire de STX France (ex-Chantiers de l’Atlantique), également.
En juin, le gouvernement coréen a annoncé la création d’un fonds de l’équivalent de 8,89 Md€ (9,9 Md$) pour soutenir KDB et Export-Impot Bank of Korea, les deux banques nationales les plus exposées au risque construction navale et transport maritime.
Hyundai Merchant Marine Co, 2e compagnie de ligne régulière conteneurisée du pays, veillera à reprendre les actifs sains de son concurrent y compris les navires générant des bénéfices, les réseaux étrangers et le personnel clé, a ajouté l’autorité sud-coréenne des marchés financiers. Un porte-parole de Hyundai a indiqué à l’agence Reuters que rien n’était encore décidé, à ce jour, en matière de rachat d’actifs et qu’il convenait en premier lieu de discuter avec la Korean Development Bank, chef de file du pool bancaire. Également malmenée par les marchés maritimes, Hyundai travaille à restructurer sa dette.
Le ministre des Transports maritimes estime que certaines marchandises coréennes mettront deux à trois mois de plus pour arriver à destination. Environ 540 000 EVP seraient à bord de navires Hanjin. Les fabricants coréens d’électronique grand public (téléviseurs à écran plat, par exemple) apprécient la chose. Prochainement devrait être présenté un plan pour faciliter les choses, avec notamment la reprise par Hyundai de certaines dessertes. Bien évidemment, le conseil des chargeurs coréens est inquiet pour le sort des marchandises présentes sur les navires d’Hanjin, quel que soit le transporteur au B/L, et sur les navires des membres de l’alliance CKYHE, si elles voyagent sous B/L Hanjin. Il peut également s’inquiéter de l’envolée des taux de fret spot. Busan/côte Pacifique des États-Unis, +27 %. Busan/Europe, +47 % selon le groupe public de réflexions Korea Maritime Institute, cité par Reuters, Séoul. Soit une surfacturation de l’ordre de 400 M$ ou 360 M€ en quelques heures. Le commissionnaire de transport Pantos Logistics est plus précis: le 40’ Busan/Los Angeles est passé de 1 100 $ à 1 700 $, soit presque 55 % de mieux. Et le 40’ partant vers la côte Est des États-Unis est passé à 2 400 $, soit environ 50 %. Même avec une hausse de cette importance, il est peu probable que la majorité des produits sud-coréens (et d’autres origines d’Extrême-Orient) ne soit plus compétitive sur les marchés d’exportation lointaine.