Pour Hubert de Saint-Simon, président de TLF Overseas qui a ouvert la rencontre, si la révolution digitale est « un formidable levier de croissance – plus d’interactivité, plus d’innovation, plus de proximité avec nos clients –, la révolution culturelle que les nouvelles technologies peuvent engendrer dans nos exploitations ne doit pas être surestimée ». Le panel d’intervenants, représentatif des métiers de l’intégralité de la chaîne logistique, s’est donc précisément attaché à prendre la mesure des enjeux du digital dans le secteur de la logistique et du transport.
Philippe-Pierre Dornier s’est tout d’abord interrogé sur « ce que veut dire le digital dans la supply chain ». Il propose une définition de la révolution digitale comme étant à la fois « une combinatoire de technologies qui rendent possibles de nouveaux outils, et une transformation des comportements, des organisations et des cultures ». Le digital est un « cocktail à six ingrédients: Cloud, mobile, multidevices, social, big data, analytics ». Les processus d’innovation présentent des caractéristiques liées à ces ingrédients: « Ils sont instantanés, partagés, personnalisés et offrent plus de services ». Le digital est un outil au service des développements en cours dans la chaîne logistique. Il entraîne aussi une modification du fonctionnement des canaux de distribution: le client choisit non seulement le canal de prise de commande qui lui convient, mais aussi le canal de distribution. Pour le satisfaire, une « refonte de la gestion opérationnelle est nécessaire ». Les acteurs de la supply chain doivent mutualiser leurs moyens et harmoniser leurs process. Il s’agit paradoxalement tout à la fois de massifier et de personnaliser les flux. Les innovations technologiques qui s’imposent dans la gestion logistique entraînent des ruptures conséquentes, il faut alors « créer de nouvelles expériences clients, proposer de nouveaux services et produits ».
Philippe-Pierre Dornier a pris l’exemple des big data. Il s’agit, selon lui, d’intégrer les « 4 V »: l’importance des « volumes » de données à traiter et leur accumulation; la « variété » des formes possibles de ces données (les différents supports qui peuvent les recevoir comme Facebook, Twitter, PowerPoint, etc.) qui sont donc à homogénéiser; l’incertitude quant à la « véracité » de ces données: les flux d’information peuvent être pollués, il faut alors savoir identifier les points de porosité.; et enfin, la « vélocité » avec laquelle circulent ces données qui demandent à être cartographiées, triées et analysées avec des outils de plus en plus sophistiqués.
Créer de la valeur avec des données
Jean-Christophe Cuvelier, directeur SI et responsable business development et innovation chez Chrystal Group, a rappelé les difficultés qu’il y a à monnayer les données: la digitalisation intègre en effet des données en masse. Il faut les capter, puis les trier, les nettoyer, les transformer et les stocker. Selon lui, 80 % des données collectées n’ont pas de valeur marchande.
Sylvain Prevot, directeur business development chez Traxens, une entreprise qui développe des smart conteneurs maritimes, explique comment sa société dégage de la valeur ajoutée de la donnée en assumant un rôle d’intégrateur et d’agrégateur de données digérées. Le transport des datas permet d’améliorer les services et de satisfaire en B to B une clientèle habituée à la commodité B to C.
Philippe-Pierre Dornier se dit confiant dans la capacité des professionnels du transport et de la logistique à relever ces défis en se « réinventant ». Comparant les entreprises « traditionnelles » du secteur avec les nouveaux arrivants, il a rappelé que les premières géraient des « flux fragmentés, avec peu de visibilité sur l’exécutant final ». Il a souligné que c’est justement la nature structurée de « ces métiers réglementés, ces métiers d’intermédiation, ces métiers de procédures », qui permet aux acteurs entrant de s’implanter en « contournant les règles ». La clé du succès des nouveaux business modèles issus de l’économie participative et collaborative réside selon lui dans cette capacité à se brancher sur des modèles existants en s’appuyant sur des intermédiaires qui s’interfacent sur la chaîne pour les opérations et les services. Ces entreprises sont alors en capacité de « faire vivre une meilleure expérience au client, que ce soit en B to B ou en B to C ».
Technologie embarquée
Le conseil que Philippe-Pierre Dornier adresse aux commissionnaires de transport traditionnels pour dépasser « l’inertie de l’existant », c’est d’inventorier les business modèles envisageables en « desserrant les contraintes » et en « externalisant la réflexion ».
Un tel exemple de filialisation réussi est fourni par l’entreprise Traxens. Tim Baker, directeur marketing et communication de la société, a expliqué plus précisément au JMM comment Traxens créait de la valeur ajoutée avec des données informatiques dans le transport maritime. « 4Trax » est un boîtier électronique intégré aux conteneurs. Il permet de les localiser et de suivre les évènements qui surviennent pendant le trajet. La puce communique en temps réel sur l’état du conteneur. Les informations disponibles concernent le statut administratif des boîtes, leur localisation, les mouvements, les chocs ou intrusions qu’elles peuvent subir. Traxens réunit les informations, puis les fragmente pour les répartir en données partielles. Ces données partielles sont ciblées en fonction des besoins des acheteurs potentiels, c’est-à-dire ceux qui peuvent en tirer bénéfice en termes de gestion plus performante, de traçabilité et de sécurité renforcée: armateurs, chargeurs, commissionaires de transport, mais aussi assurances transport qui pourront identifier les responsabilités en cas d’incident. En 2016, Traxens a équipé près de 10 000 conteneurs avec cette technologie, et l’objectif affiché est d’en avoir équipé un million d’ici fin 2017. Pour Tim Baker, il est en effet essentiel d’aller très vite pour être en mesure d’offrir aux compagnies maritimes le suivi de l’intégralité de leurs conteneurs.