Quand le capitaine Andrew Effiniatas est arrivé à bord du vraquier MN-Baroque (pavillon maltais) le 14 juin, il était tellement fier qu’il a posté sur sa page Facebook une photo de lui sur le pont, le talkie-walkie à l’oreille, l’œil sur le quai mais aussi la mâchoire serrée. Après 12 ans sur les Panamax, il pilote pour la première fois de sa vie un post-Panamax de 255 m de long sur 43 m de large. « On ne sent plus cet effet ventouse que l’on avait en changeant de chambre dans les anciennes écluses. À Agua Clara, la pression qui est créée par l’eau qui se retire crée un effet neutre. C’est beaucoup plus confortable », raconte-t-il.
« Nous ne nous entraînons pas sur des jouets »
Il s’est entraîné en tout 60 heures, sur un simulateur à 360° avec un peu de théorie en classe. Et il a également passé deux jours à Summit, le canal de Panama modèle réduit made in France, 25 fois plus petit qu’en réalité, sur le site de Port Revel. Tout y est reproduit pour être le plus réaliste possible: la direction des vents, l’entrée du fleuve Chagrès, les courants que cela induit grâce à un générateur, les différentes hauteurs d’eau, les inclinaisons des berges. Même un porte-conteneurs fabriqué à Marseille. L’ensemble, lui, a été conçu à Grenoble par des spécialistes des reproductions en modèle réduit. « Ça n’a rien à voir avec des jouets. C’est de la science », se défend Fernando Jaén, officier formateur pour les pilotes. Mais Summit a ouvert ses portes le 23 mars avec deux ans de retard, et deux différences de taille avec les conditions réelles: le passage dans les écluses miniatures va cinq fois plus vite, et même en commençant la journée à 6h du matin au lieu de 7h, le vent reste cinq fois plus fort.
Un vraquier n’est pas un porte-conteneurs
Autre changement à bord des post-Panamax, les ordres directs aux capitaines des remorqueurs. Alors qu’il donnait auparavant des ordres aux conducteurs des locomotives qui ne pouvaient pas lui répondre mais seulement les exécuter (le système est fait ainsi volontairement pour qu’il n’y ait aucun débat sur la conduite à mener), le pilote doit désormais être plus proche de ses collègues aux commandes des remorqueurs.
« Ce que nous faisons sur le MN-Baroque n’est pas suffisamment réaliste. C’est un vraquier et non un porte-conteneurs, qui seront les navires les plus fréquents », explique Ivan de la Guardia, secrétaire général du Syndicat des capitaines de remorqueurs et des officiers de pont, qui est très inquiet pour les 150 capitaines de remorqueurs qu’il représente sur les 160 que compte l’ACP. Et de poursuivre: « Le MN-Baroque est plus léger et plus petit que les post-Panamax qui vont transiter. Nous ne savons donc rien des futures prises au vent, encore moins quand il y aura les 30 à 40 nœuds qui viennent régulièrement de l’Atlantique, ni lors de mauvaises conditions climatiques. »
Il va même plus loin et accuse les dirigeants de l’ACP de courir avant tout après l’argent. « Cela fait deux ans que nous demandons de connaître les procédures d’urgences et de sécurité. Mais nous n’avons rien! Les process sont éprouvés en temps réel, chaque jour. C’est incroyable. Et, surtout, ça peut être très dangereux. »
Même inquiétude chez un pilote, cette fois, qui préfère garder l’anonymat. « Mon seul regret est que nous faisons tout à la dernière minute. Ce n’est pas deux semaines avant l’inauguration que nous allons être bons. Mais nous allons faire avec… »