L’audience du 17 mai a permis d’entendre James Franklin, directeur de l’unité Ouragan au National Hurricane Center. Il a expliqué que les prévisions météo concernant l’ouragan Joaquin ont été inhabituellement fausses: « La première prévision portait sur un phénomène relativement faible qui devait se déplacer vers l’ouest ou le nord-ouest. En fait, il s’est déplacé ouest-sud-ouest et s’est renforcé. La prévision à trois jours (soit le 1er octobre) avait une erreur de trajectoire de 536 miles. Ce qui est énorme. La prévision à deux jours avait une erreur de 180 miles, ce qui bien plus mauvais que 90 % des prévisions habituelles de ce genre. L’erreur de la prévision à un jour était de 180 miles, ce qui plus conforme à la moyenne. » En outre, la vitesse des vents a été également sous-estimée de 80 nœuds à trois jours, de 60 nœuds à deux jours et « seulement » 30 nœuds à un jour, a ajouté James Franklin.
Lee Chesneau, météorologiste marine en chef et formateur en météo, a nuancé les propos de James Franklin, estimant que la prévision à un jour était suffisante pour alerter le commandant du El-Faro. La zone qui devait être évitée, selon l’alerte lancée par la NOAA (National Oceanic Atmospheric Administration), recouvrait la route théorique que devait suivre le navire. Son intensité estimée devait conduire à éviter à tout prix cette zone. « Un cyclone tropical n’est pas un orage de moyenne altitude. Son énergie est concentrée sur une petite surface. Quand vous êtes dans la zone des vents de 34 nœuds, vous êtes dans les mains du cyclone. Les vents augmentent, changent de direction et contribuent à créer une houle confuse », a-t-il rappelé. Les navigants doivent toutes les six heures, à chaque nouveau bulletin météo, réévaluer les risques liés au cyclone. Ils ne peuvent pas se fier à des prévisions à deux ou trois jours, a souligné Lee Chesneau.
Un navire devenu mou
Toujours lors de l’audition du 17 mai, le capitaine Jack Hearn, ancien commandant d’un navire de la classe Ponce (celle à laquelle appartenait le El-Faro), a fait part de son expérience. Ces navires manœuvraient bien et se comportaient correctement dans le mauvais temps, mais ils avaient des « vulnérabilités potentielles ».
Il fallait être très attentif au maintien de l’étanchéité des panneaux de cales et des trous d’homme, a-t-il expliqué. Après leur transformation en roulier-porte-conteneurs, tous les navires de cette série sont devenus « mous », transportant du lourd dans les hauts avec une réserve de stabilité plus faible, a-t-il poursuivi. Par un temps clément, il fallait disposer d’une distance métacentrique (GM) d’au moins un demi-pied. En cas de mauvais temps, « je n’aurais pas hésiter à appeler les opérations pour voir si l’on pouvait changer de route ou limiter le chargement afin d’avoir un GM d’au moins un pied », a déclaré Jack Hearn.
En cas de mauvais temps, l’intégrité de la chaudière ainsi que celle du circuit vapeur préoccupait l’ancien navigant.
Autre sujet de préoccupation explicité durant l’audience, l’expérience déclinante des officiers. Au début de la carrière du capitaine Jack Hearn, il y a longtemps, beaucoup d’officiers avaient une expérience de plusieurs années sur le même navire affecté à la desserte de Puerto-Rico. « Quand j’ai quitté la compagnie (en 2013), cela avait changé, tant à la machine qu’au pont. » Dans du très mauvais temps, l’expérience des mécaniciens peut faire la différence.
Vers 2012-2013, il est devenu plus difficile de faire entretenir correctement notre navire, a poursuivi Jack Hearn. Sur un sister-ship, le El-Morro, « nous avions trouvé quelques trous dans les cales au niveau du pont 2. Dans la compagnie, il y avait une certaine résistance à prévenir la garde-côtes ». Un ingénieur a été envoyé à bord pour évaluer les dégâts, mais bien qu’autorisé à informer la garde-côtes, il n’en a rien fait. Jack Hearn s’en est ouvert au responsable désigné à terre en charge du navire qui a finalement informé l’USCG et l’ABS. Les relations entre le service technique et Jack Hearn se sont dégradées ensuite, a expliqué ce dernier.
Le capitaine a quitté la compagnie à la suite d’un problème avec l’équipage. Le représentant de la veuve du commandant présent à bord du El-Faro lors du naufrage a lu un courrier selon lequel les autorités avaient arrêté des membres de l’équipage du El-Morro pour trafic de drogue.
La transparence dans l’enquête ne facilite pas nécessairement la compréhension des événements qui ont conduit au naufrage d’un navire construit en 1974, puis modernisé en 1992 et 2006.
*