L’Afrique menacée par la surcapacité des terminaux à conteneurs

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Les projets de terminaux à conteneurs se multiplient sur le range Dakar-Luanda. La première table ronde du Carrefour du Journal de la Marine Marchande, organisé le 20 mai à Paris, a voulu déterminer si ces projets allaient conduire ou non à une situation de surcapacité des ports situés en Afrique de l’Ouest. « Sur cette partie du continent africain, en une décennie, les terminaux ont enregistré un saut qualitatif et quantitatif avec des mètres linéaires et des profondeurs en nette progression », a expliqué Yan Alix, délégué général de la fondation Sefacil, en introduction à la table ronde. Le chiffre de 1 500 à 2 000 mètres linéaires de quai devient une norme répandue. Une profondeur de 15 m devient la référence, permettant l’accueil de porte-conteneurs jusqu’à 16 000 EVP. Au total, 27 services conteneurs, rouliers ou conventionnels servent l’Afrique, avec une capacité annuelle équivalente depuis l’Europe et l’Asie. La taille des navires atteint une capacité moyenne de 5 000 EVP. « La surcapacité se pose en termes de rémunération des parties prenantes, pas seulement en termes d’infrastructures, de services ou de taille de navires, a poursuivi Yan Alix. Pour les armateurs, les trades africains ne sont plus rémunérateurs. Les autorités portuaires prennent donc des risques du point de vue du retour sur investissement des nouveaux terminaux à conteneurs. » Il demeure également la problématique de la cherté des terminaux, en lien avec la manutention, et l’absence d’intégration logistique. Sortir les marchandises des terminaux et les y amener reste compliqué en Afrique de l’Ouest.

Matthieu Roger, directeur trade et marketing de Mærsk Line France, a rappelé que l’Afrique subsaharienne représente 7 % des volumes des échanges mondiaux. Sur l’Afrique de l’Ouest, Mærsk Line propose huit services à Tanger et Algésiras; vingt ports sont ensuite desservis. « Cela constitue un réseau flexible, ce qui permet d’adapter la couverture de manière assez performante et rapide et d’optimiser le service », a souligné Matthieu Roger. La priorité de Mærsk Line est « d’apporter le meilleur service au moindre coût, car les taux de fret sont sous une très forte pression en Afrique qui a été un continent très rémunérateur mais ne l’est plus actuellement pour les armateurs ». Matthieu Roger a indiqué que la phase d’investissement des ports ces dernières années a permis « une amélioration du traitement des navires, mais celui-ci demeure en retrait par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le monde ».

Pour Hervé Cornède, directeur commercial et marketing d’Haropa, la question de la surcapacité des terminaux se pose en Europe, en Asie, en Amérique tout autant qu’en Afrique. « Les ports ont subi la stratégie des armateurs vers des navires de plus en plus grands, jusqu’à 19 000 EVP. La conséquence en est le gigantisme portuaire et le phénomène de cascading sur les lignes nord-sud ». Pour tous les ports, « le sujet central est l’évacuation de la marchandise des terminaux géants. La solution, c’est l’informatique portuaire », a continué Hervé Cornède. Pour tous les ports, « une révolution technologique intégrée est nécessaire pour fluidifier le passage de la marchandise », avec une informatique portuaire utilisable par l’ensemble des opérateurs y compris les clients. Il faut donc mettre en place des CCS (Cargo Community System) ouverts. Le traitement des grands navires nécessite également des transports et des dessertes ferroviaires et fluviaux ainsi que des ports secs pour évacuer la marchandise. Enfin, les navires rouliers ou conventionnels doivent être traités dans les mêmes conditions que les porte-conteneurs. « Un port ne doit surtout pas être monoproduit, a alerté Hervé Cornède, même s’il y a une progression de la conteneurisation pour certaines filières de marchandises. »

« Je préfère une surcapacité à une sous-capacité »

« Je préfère une surcapacité des ports africains à une sous-capacité », a déclaré Cheikh Kanté, directeur général du Port autonome de Dakar. Avec la mondialisation, 90 % des échanges passent par les ports. Or les ports africains n’étaient pas adaptés à la réception des plus grands navires. Ils ont fait évoluer leurs infrastructures pour répondre à la mondialisation. « Ils doivent pouvoir accueillir les plus grands navires afin de ne pas compromettre la croissance du continent », a souligné Cheikh Kanté. Pour lui, la surcapacité affecte bien davantage les armateurs que les ports à cause de l’effet cascading. « Pour répondre à la mondialisation et favoriser l’essor du continent africain, les ports doivent aussi aller vers la dématérialisation des procédures et trouver des solutions à la congestion », a relevé Cheik Kanté. Celle-ci résulte de l’urbanisation anarchique des villes à laquelle les autorités portuaires n’ont pas été jusqu’ici suffisamment vigilantes. Pour Cheikh Kanté, compte-tenu du fait que les ports africains sont bien souvent enclavés, les autorités portuaires vont devoir s’emparer de ce sujet. Léandre Drepoba Sery, directeur commercial et marketing du Port autonome d’Abidjan, a assuré qu’il n’y avait pas de surcapacité en Afrique. Il a souligné la nécessité de créer un nouveau terminal à Abidjan, notamment dans la perspective de l’étape suivante du développement, soit la transformation de la marchandise, pour le cacao par exemple. Pour Jalal Benhayoun, directeur de Portnet SA et représentant de l’Agence nationale des ports du Maroc, « l’investissement est la solution car un port appartient à un écosystème global de commerce international. En cas de surcapacité, il faut améliorer les process et le climat des affaires. Cela ne dépend pas uniquement du port lui-même ».

Yann Danvert, directeur des opérations de Bolloré Ports, a mis en avant les progrès réalisés depuis le début des années 2000. Les ports africains ont adapté leurs infrastructures à la taille grandissante des unités, ont amélioré le traitement des navires porte-conteneurs, conventionnels ou rouliers. Pour Yann Danvert, d’une part, il faut relever « une situation à court terme en 2016 avec une baisse modérée des volumes imports et exports du continent africain rattrapé par la crise mondiale ». Et d’autre part, il faut prendre en compte « la réalité africaine à long terme marquée par un rythme de développement et de croissance qui reste positif, à la différence de la situation des autres continents ». Bolloré Ports privilégie ainsi « un afro-optimisme ». Actuellement, « il n’y a pas de surcapacité. La baisse n’est que conjoncturelle. La tendance va globalement rester haussière en Afrique. Il y aura un besoin de nouveaux terminaux, même si tous les projets n’aboutiront peut-être pas », a assuré Yann Danvert.

S’attacher à la situation des pays enclavés

Directeur général de l’Office des ports et rades du Gabon (Oprag), Rigobert Ikambouayat-Ndeka s’est exprimé sur la même ligne: « La situation actuelle est conjoncturelle et peut évoluer très rapidement. L’Afrique a besoin de développer encore ses infrastructures portuaires pour préparer l’avenir, qui verra une augmentation de la population jusqu’en 2050, ainsi que du niveau de vie pour lequel il existe une importante marge de progression. Il faut continuer à investir, car réaliser un terminal prend aussi du temps ». Yann Danvert a partagé l’avis des précédents intervenants sur la nécessité de développer la dématérialisation des procédures dans les places portuaires, d’améliorer la sortie des marchandises des terminaux ainsi que la desserte de l’hinterland. À ce propos, il a indiqué qu’il « y a la façade maritime, et les pays enclavés qui souhaitent disposer de plusieurs portes d’entrée et de sortie ». Philippe Dehays, directeur régional de Centrimex, a abondé dans ce sens: « Il y a un fort potentiel de développement dans les pays enclavés et les ports africains doivent s’y préparer. Aussi, chaque terminal a ses atouts et son utilité pour préparer l’avenir en croissance du continent africain. » Damas Kakoudja, représentant en Europe et en Amérique du Conseil gabonais des chargeurs, a rappelé que « des efforts considérables ont été réalisés pour améliorer la congestion dans les terminaux. Cela constitue un élément très positif pour les chargeurs en permettant une progression de leur activité, une fluidification des flux, une réduction des surcharges portuaires ». Toutefois, la grande difficulté demeure pour lui la sortie de la marchandise du port maritime et son transport vers l’hinterland et jusqu’à sa destination finale. Tout nouveau terminal – conteneurs mais aussi conventionnel – constitue une avancée pour les chargeurs et non pas un risque de surcapacité. Un avis similaire a été exprimé par Djédjé Gnakkalé, consultant auprès de l’Office ivoirien des chargeurs, pour lequel, si Abidjan connaît des périodes de surcapacité, c’est pour des causes saisonnières. Pour aller plus loin, Damas Kakoudja a appelé à « instaurer des communautés portuaires intégrant tous les acteurs des places, et de créer des bourses de fret afin d’alimenter les flux retours des conteneurs à l’export au départ de l’Afrique ».

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