L’année 2015 a été difficile pour les différents segments du marché maritime. Les taux de fret ont plongé et les armateurs ont pu se réjouir de voir leurs primes fondre légèrement. Cependant, plusieurs sinistres ont marqué l’année. Il y a eu, en août, l’explosion sur le port de Tianjin dont la facture est estimée (selon Cap Marine, société associée à BRS) à plus de 2 Md$. D’autres estiment que cette explosion pourrait coûter, sur le marché de l’assurance, jusqu’à 4 Md$ ou 5 Md$, « soit quatre fois le sinistre du Costa-Concordia », précise Cap Marine. Cette année 2015 n’a pas été blanche et quelques sinistres de plus ou moins grande gravité ont marqué les différents mois. Ainsi, Le Höegh-Osaka, le Norman-Atlantic, le Cemfjord et le Bulk-Jupiter ont montré, au premier semestre, les inquiétudes usuelles du marché.
Nouveaux venus
Outre ces sinistres, l’année passée a été caractérisée par l’arrivée de nouveaux venus sur le marché, le rendant ainsi surcapacitaire. Selon Cap Marine, deux tendances émergent. En premier lieu, l’arrivée de nouveaux syndicats auprès des Lloyd’s et, en second lieu, des regroupements entre assureurs et entre courtiers. Ce sont aussi des acteurs japonais qui ont été faire leur marché depuis décembre 2013. Les nouvelles réglementations internationales sur les capacités financières obligent les assureurs à disposer d’une taille critique. Du côté des courtiers, cette tendance s’est manifestée notamment par la reprise de Gras Savoye en France, de PL Ferrari en Italie et de LCH à Singapour. Et Cap Marine prévoit que ce mouvement de consolidation pourrait toucher le monde des P& I Clubs. Les primes collectées en 2014 (les chiffres 2015 ne sont pas encore disponibles) ont enregistré une baisse globale de 3,2 % à 32,6 Md$. La majorité revient aux facultés qui recouvrent 51,9 % de ce total. Les corps de navires se placent en seconde position avec 22,2 %, suivis par l’offshore et l’énergie qui entre pour 18,2 %, et enfin la responsabilité qui s’élève à 6,6 %.
Le marché des corps de navires s’affiche à la baisse en 2014. Avec 7,6 Md$, il perd 5,8 %. Un mouvement qui s’est répercuté sur l’ensemble des marchés à l’exception de la Chine qui a vu ses parts passer de 9,3 % à 11,9 %. Pour Cap Marine, l’augmentation des capacités des sociétés d’assurances du marché asiatique a participé à l’érosion des primes. Cela leur a permis de souscrire des contrats en proposant des primes réduites. Du côté des résultats techniques, l’année 2014 pourrait se terminer sur un bilan positif. Une première depuis de nombreuses années. Il reste que des sinistres survenus en 2015 mais rattachés à l’exercice 2014 n’ont toujours pas été réglés. Il faudra attendre la fin de l’année 2016 pour avoir un résultat technique complet de 2014. S’agissant de la baisse des primes, Cap Marine analyse ce phénomène par les bons résultats techniques réalisés en 2013 et 2014 qui incitent les nouveaux venus à entrer sur le marché. La valeur assurée des corps s’est contractée. Elle a perdu 6 % en 2014 et 8,4 % en 2015. L’entrée sur le marché des constructions neuves n’a pas eu un effet compensateur.
Du côté des facultés, la croissance du volume transporté des marchandises n’a pas permis d’augmenter le volume des primes. Entre 2012 et 2014, les primes des facultés sont passées de 17,7 Md$ à 16,9 Md$, soit une baisse de 4,2 %. Cap Marine estime que l’appréciation du dollar par rapport aux autres monnaies a largement contribué à cette baisse. Tout comme les corps de navires, l’effet de la baisse de la valeur des marchandises assurées participe aussi à ce recul. Le prix du baril de pétrole a perdu plus de 30 % de sa valeur au cours de l’année passée, d’autres commodités se sont aussi contractées qui ont réduit le montant des primes perçues. Et sur ce marché des facultés, l’explosion de Tianjin pèsera lourdement. Elle est considérée par les acteurs du marché comme le quatrième accident d’origine humaine le plus coûteux du marché. L’impact se fera sentir sur les résultats techniques des assureurs et des réassureurs en 2015 et 2016. « Tianjin est un triste exemple des défis que soulève la mondialisation rapide pour les assureurs et leurs clients en termes de gestion de risques », note Cap Marine. Outre ce sinistre majeur, l’arrivée sur le marché des facultés de nouveaux venus marque aussi son empreinte. Les assureurs subissent des pressions de la part des clients pour réduire les primes face à une concurrence qui prend des parts sur un marché tendu. L’entrée de ces nouveaux opérateurs pourrait signifier, dans les prochains mois, de nouvelles fusions et acquisitions dans le secteur pour faire face aux risques de plus en plus lourds.
Les P&I Clubs se mettent « en chasse »
Les P&I Clubs, sortes de mutuelles pour les armateurs, sont surtout présents en Europe du Nord. Les règles traditionnelles de ces Clubs sont immuables depuis des années, note Cap Marine, société associée du courtier parisien Barry Rogliano et Salles. Mais le marché des P&I Clubs a aussi connu des évolutions au cours des quinze dernières années. Auparavant sélectifs dans le choix des armateurs, aujourd’hui, les P&I Clubs parcourent le monde pour trouver de nouveaux adhérents. Cap Marine explique que de plus en plus d’unités, principalement du fait de leur taille réduite, « sont assurées hors mutuelle ». Par ailleurs, de nombreux produits d’assurances se sont démutualisés. « À court terme, continue Cap Marine, nous anticipons un élargissement de la gamme des produits offerts par les Clubs. » Cette diversification se fait soit par la création dans les Clubs de leurs propres produits avec leurs réserves financières, soit en s’associant avec des tiers pour proposer des produits spécifiques (comme par exemple l’enlèvement et le rançonnement de l’équipage).
Les P&I Clubs sont aussi en concurrence avec des assureurs qui leur proposent des primes fixes. Pour les armateurs de petites unités, ce système est plus attirant en raison de la multiplicité des acteurs sur le marché. Pour éviter une hémorragie trop forte, les P&I Clubs proposent désormais ce service. Cette diversification des Clubs apparaît pour certains comme risquée. Ils s’écartent de leur véritable mission pour aller chercher de la rentabilité sur des marchés qui sont difficiles à anticiper compte tenu de l’évolution du monde des assureurs. En investissant dans un syndicat des Lloyd’s, le P&I Club Skuld semble avoir fait une bonne opération. Il reste à savoir si ce choix sera pérenne.