Journal de la marine marchande (JMM): le 8e rendez-vous de l’assurance transports, qui se tiendra les 18 et 19 mai à la maison de la chimie à paris, est intitulé « la planète de tous les risques ». Quels sont les nouveaux risques planétaires?
FRÉDÉRIC DENÈFLE (F. D.): Quatre grandes catégories sont identifiées: risques économiques et financiers, risques de guerre et politiques, risques écologiques et énergétiques et risques technologiques. Ce rendez-vous permettra de faire un état des lieux de ces risques nouveaux et des éventuelles évolutions des polices d’assurance pour y répondre. Les questions géostratégiques et politiques influent beaucoup sur le transport maritime: les risques financiers, les risques d’attentats sur les navires et les installations portuaires, mais aussi les crises migratoires sont des facteurs fluctuants, dont l’impact est à apprécier dans chaque contrat d’assurance. Lors de ce 8e Rendez-vous de l’assurance transports, « La planète de tous les risques », des experts du monde de l’assurance passeront en revue les risques nouveaux. Les risques de guerre et politiques font de tout temps peser une menace sur le commerce international. Les risques énergétiques et les risques écologiques doivent être évalués en tenant compte des évolutions du droit français en la matière, notamment les nouvelles lois concernant le régime de réparation des préjudices écologiques et leurs influences sur le transport et le stockage. Les contrats d’assurance doivent bien sûr s’adapter à ces nouvelles réglementations. Les risques technologiques sont principalement liés à la numérisation croissante des flux d’information rendus ainsi de plus en plus vulnérables aux attaques dites cyber. Le Rendez-vous de l’assurance transports consacrera notamment une table ronde à cette question de la sécurisation des échanges professionnels informatisés avec des experts de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi). Le format « table ronde » sera d’ailleurs favorisé lors de cette 8e édition pour faire émerger de nouvelles idées à travers la liberté d’échange. Il s’agit, sur chaque thème, d’éclairer ce que sont prêts à faire les assureurs face aux risques, de détailler leurs propositions sur le contenu des garanties dans le domaine de l’assurance transports, avec une représentation forte cette année des activités spatiales et aériennes, dont les problématiques recoupent celles du transport maritime. Il s’agit, à partir d’une réflexion conceptuelle basée sur une analyse de risque, de développer des approches communes en vue d’adapter les clauses, les contrats et les capacités. Mais il s’agit également de tenir compte des réalités de chaque métier en proposant des mises en œuvre spécifiques sur les couvertures et sur les placements.
JMM: les risques de guerre incluent-ils le terrorisme et la piraterie?
F.D.: Nous proposerons un panorama des « risques de guerre et assimilés » qu’il est possible de définir au sens large comme l’ensemble des risques pouvant entraîner des situations conflictuelles. Le terrorisme s’inscrit dans le cadre de la « guerre économique », de même que les embargos et blocus maritimes qui créent des obstacles à la navigation et à la circulation des biens et des personnes.
JMM: la cybercriminalité est-elle en ce sens un risque transversal qui recoupe les risques de guerre, les risques technologiques et les risques financiers?
F.D.: Il y a certainement des recoupements à faire au niveau des moyens de la cybercriminalité et des conséquences de la piraterie informatique. Il faut aussi réfléchir à l’évolution des moyens et des outils de la cybercriminalité qui peuvent être utilisés contre tous les opérateurs du commerce international et du transport.
JMM: comment sont prises en compte les situations d’instabilité politique et les risques qu’elles peuvent entraîner: conflits, dommages sur les navires et les installations portuaires, atteintes à l’intégrité des actifs?
F.D.: Le général Desportes interviendra lors de ce Rendez-vous de l’assurance transports pour présenter un état des lieux des conflits mondiaux et de leur impact sur le transport de marchandises. Cette introduction nous permettra de décrire les risques avérés de dommages aux biens et aux personnes, ainsi que la montée des menaces et l’instabilité politique qui sont un enjeu que les risk managers doivent anticiper. Nous ajustons nos positions de garantie et nos offres de polices d’assurance concernant les zones de guerre déclarées. Les risques de guerre et assimilés ne relèvent pas des risques ordinaires, mais font l’objet de conventions spéciales qui proposent des compléments d’assurance et des exclusions rachetables.
JMM: pouvons-nous revenir plus en détail sur les risques énergétiques?
F.D.: Les directives européennes exigent la mise en place de dispositifs et de mesures qui prennent en compte les atteintes à l’environnement à l’échelle nationale. Les assureurs, les courtiers, les avocats sont concernés par la question de l’application de ces directives au nouveau régime français de réparation des atteintes à l’environnement et les nouvelles situations de responsabilité qu’il entraîne. C’est, pour les assureurs, toute la question de la mesure du risque. Être capable de répondre aux opérateurs sur les questions qu’ils se posent: à quelles conditions ma responsabilité est-elle engagée? Quels coûts risquent de découler des atteintes à l’environnement? Le risque énergétique est large, il concerne les dommages environnementaux comme les pollutions maritimes, mais également la responsabilité civile des opérateurs. Les régimes de responsabilité sont ainsi entendus au sens large. Ils ne concernent pas seulement l’obligation de réduction des normes d’émissions polluantes à l’horizon 2020 qui dépendent des types de navires utilisés et des types de carburants, mais aussi la question des incidences d’une activité de transport donnée sur la distribution d’énergie. Par exemple, dans le cadre de politiques environnementales favorisant le remplacement des énergies fossiles, et de la mise en œuvre de mesures d’incitation à des choix énergétiques moins polluants comme les éoliennes, le régime de responsabilité civile des opérateurs dans le transport d’hydrocarbures est questionné. La table ronde analysera ces questions complexes des conséquences des atteintes à l’environnement en termes de responsabilité civile des opérateurs.
JMM: qu’entend précisément le monde de l’assurance transports par risques technologiques?
F.D.: Il s’agit des nouveaux risques liés aux progrès techniques. L’usage croissant des technologies numériques dans l’activité transport est certes un formidable outil de développement des services en termes de traçabilité. L’informatisation des flux permet en effet de surveiller à distance les marchandises transportées et de les géolocaliser à tout moment, mais elle rend les activités de transport d’autant plus vulnérables à la piraterie informatique. Ainsi, l’informatique embarquée, qui vise à faciliter les livraisons juste-à-temps, répond à la demande des chargeurs. Elle leur permet d’être informés en temps réel à toutes les étapes du transport sur le temps de route restant, par exemple, sur les niveaux de consommation de carburant ou encore sur l’intégrité des colis, particulièrement importante dans le cas de transport de matières dangereuses. La numérisation des données est en effet une valeur ajoutée que mettent en avant les commissionnaires de transport. Elle est censée permettre la simplification des démarches en douane avec l’installation du Guichet unique national (GUN) du dédouanement, accélérer et mieux contrôler les opérations de transbordement dans les plates-formes de transit de marchandises ou assurer une traçabilité en temps réel. Ces nouveaux outils qui améliorent le traitement de l’information intéressent également les assureurs en tant qu’outils de quantification de valeur. Les risques technologiques ne concernent par uniquement les cyberattaques, ils ont trait également aux possibles dysfonctionnements des systèmes d’information et de leurs incidences sur les retards ou empêchements de livraison.
JMM: quel est le rôle de l’assureur dans la prise en charge de ces risques nouveaux?
F.D.: Les assureurs doivent s’intéresser aux innovations pour mieux cibler les engagements qu’ils prendront demain. Doivent-ils par exemple développer l’offre de garanties juste à tempsqui intègrent les retards et les pertes financières occasionnées? Le cyber-risque doit-il être intégré en amont dans l’équipement? De telles questions seront discutées. Il s’agit de délimiter le champ de l’assurance transports qui couvrent les dommages strictement. Il s’agit également de bien identifier les risques technologiques dans leurs multiples dimensions pour permettre aux opérateurs de projeter les mesures de prévention contre le cyber-risque et lister une série de précautions à prendre. Un expert de l’Anssi aidera à clarifier les divers degrés d’exposition aux cyber-risques et leurs impacts, à la fois dans la perspective des processus de sécurité à mettre en place et dans celle des politiques de protection. La technolocalisation du transport entraîne des modifications des méthodes de travail pour les opérateurs et les assureurs. Un équilibre est à trouver dans l’estimation des gains et des pertes que ces évolutions comportent. Dans ce cadre, les assureurs doivent expliquer à leurs clients cette analyse du cyber-risque, ce qui permettra à terme de le prévenir et de le partager. Il faut communément développer une « culture du risque ».
JMM: ces risques nouveaux n’effacent pas les risques anciens. cette coexistence conduit-elle à une accumulation de polices et conséquemment une augmentation du prix des assurances?
F.D.: On assiste en effet à une coexistence des risques anciens et nouveaux. Plus précisément à des effets de résurgence de risques disparus, comme la résurgence entre 2003 et 2014 de la piraterie industrialisée, en Somalie notamment, alors que le sujet était auparavant plutôt confidentiel, sans impact conséquent sur le marché des assurances. Dans quelle mesure cet effet cumulatif a-t-il un impact sur l’évolution du prix des assurances? Cela reste difficile à dire. Il n’y a en la matière pas de « tuteur » et le marché reste conditionné par l’évolution de l’offre et de la demande. Les tendances de l’évolution de ces risques ne sont pas, en l’état actuel de nos moyens, quantifiables, ni mesurables de manière définitive.