Les Iraniens vont faire jouer la concurrence

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« Depuis 2008-2009, suite aux sanctions, le commerce extérieur iranien s’est réorienté vers l’Asie, explique Thierry Coville, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et professeur à Novancia. La Chine et l’Inde sont devenus les premiers clients de l’Iran pour le pétrole brut tout comme les pays voisins, Irak, Afghanistan, Turquie. » Le commerce extérieur iranien repose à 80 % sur le pétrole. Les 20 % restants sont composés de produits manufacturés et agricoles. Il existe une industrie iranienne qui rencontre toutefois des difficultés, indique Thierry Coville pour lequel l’objectif du pays va probablement être de diminuer la dépendance pétrolière et d’augmenter les exportations non pétrolières. Les besoins de l’Iran sont élevés dans tous les secteurs: automobile, cosmétiques, grande distribution, etc., pour des biens d’équipement comme de consommation.

Préserver les entreprises nationales

Il est toutefois possible que le pays modère les importations pour préserver les entreprises nationales. De grands centres commerciaux existent déjà et montrent l’évolution des habitudes de la population vers des modèles de consommation de type occidental. La levée des sanctions pourrait entraîner une réorientation du commerce extérieur iranien vers l’Union européenne. « Il faut comprendre que les sanctions de l’Union européennes et des États-Unis liées au nucléaire iranien ont toutes été levées alors que celles des États-Unis liées à la question du soutien de l’Iran au terrorisme et des droits de l’homme sont maintenues. Par ailleurs, les États-Unis maintiennent leur embargo sur le dollar dans le commerce avec l’Iran. »

Les banques sont frileuses

Au sein de l’Union européenne (UE), « les banques sont frileuses, continue Thierry Coville. Elles ont été marquées par l’amende infligée à BNP Paribas par la justice américaine. Elles doivent surtout éviter de travailler en dollar avec l’Iran ». Elles doivent également vérifier que leurs interlocuteurs iraniens ne se trouvent pas sur les listes noires. « Il faut vérifier systématiquement avec quelle entreprise on traite, ce qui n’est pas facile car le système économique iranien peut être opaque, relève Thierry Coville. Il faut toutefois rester optimiste: les financements vont finir par suivre les contrats. » L’UE est un choix rationnel de l’Iran. Il est certain que Téhéran veut travailler avec les entreprises européennes aussi dans les secteurs du pétrole, du gaz, des transports, des infrastructures, etc. « Il y a des opportunités à saisir aujourd’hui car nous sommes dans une période d’évolution et de changement pour le commerce extérieur iranien. Il ne faut sans doute pas trop attendre », souligne Thierry Coville. Avant la mise en place des sanctions, l’UE avait déjà une bonne position économique avec l’Iran. Il en allait de même pour les entreprises françaises comme Peugeot, Renault, Total, Carrefour, qui ont une bonne réputation en Iran. « Il faut toutefois prendre en compte que les Iraniens sont pragmatiques: ils vont faire jouer la concurrence malgré les bonnes expériences passées avec les entreprises européennes. » C’est la raison pour laquelle il ne faut pas trop tarder. Les entreprises européennes ont une fenêtre par rapport aux entreprises asiatiques, et avant le retour des entreprises américaines pour l’instant freinées par le maintien des sanctions. Sur le plan économique, la première étape pour l’Iran va être de développer ses exportations de pétrole. Une autre priorité porte sur la recapitalisation d’un système bancaire encore fragile. Enfin, l’Iran veut relancer les négociations pour rentrer à l’OMC.

Les effets de la levée des sanctions prendront du temps

Pour Olivier Appert, président du Conseil français de l’énergie et conseiller au centre énergie de l’Institut français des relations internationales (Ifri), la date du 16 janvier, « Implementation Day », qui a marqué, après validation par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’entrée en vigueur de l’accord sur le nucléaire iranien signé à Vienne le 14 juillet, est une étape importante dans le processus de levée progressive des sanctions contre l’Iran. Toutefois, il insiste sur le temps que prendra une levée effective des sanctions, lenteur liée à la complexité des circuits financiers à rétablir. Il souligne également les multiples fragilités qui menacent le plan d’action global commun. Du côté des États-Unis, des incertitudes pèsent sur le respect de l’accord à l’issue de l’élection présidentielle. Du côté de l’Iran, le monde politique est marqué par une absence d’unanimité concernant les termes de l’accord même. Enfin, la menace de rétablissement des sanctions en cas de non-respect par l’Iran de ses engagements – mécanisme dit du snap back – pèse, selon lui, comme « une épée de Damoclès sur les investisseurs potentiels ». Il estime que l’Iran va dans un premier temps vendre à l’exportation le pétrole stocké, environ 200 000 barils/jour supplémentaires. Le pays devrait ensuite lancer des plans d’investissement pour l’exploitation de gisements existants et nouveaux pour une production supplémentaire de 500 000 barils/jour d’ici à la fin 2016. Les gisements iraniens sont compliqués à exploiter. Olivier Appert rappelle que depuis la révolution de 1979 en Iran, les capacités de financement manquent et les développements technologiques ont été ralentis. La logistique pétrolière ainsi que les infrastructures portuaires existent. Toutefois, elles nécessitent des investissements de maintenance pour rétablir les capacités d’exploitation et d’exportation des hydrocarbures.

Tout ne va pas être si facile pour la France

« La France est dans une situation paradoxale où il faut renouer les liens avec l’Iran, redonner du sens et de la profondeur stratégique à la relation entre les deux États – chacun doté d’un passé prestigieux et influent dans leur région respective – d’un point de vue diplomatique, économique mais surtout culturel et civilisationnel », explique Emmanuel Dupuy, de l’Institut prospective & sécurité en Europe (IPSE). « Les Iraniens ont été très étonnés de la position idéologique de la France au cours des derniers mois de la négociation, avant la signature du Plan d’action global conjoint le 14 juillet », continue Emmanuel Dupuy, qui a lancé en novembre le Centre pour le développement de l’amitié franco-iranienne (CDAFI). Certes, il existe bien « un substrat favorable à la France » en Iran, issu de trois siècles de relations diplomatiques. Toutefois, pour les Iraniens, la France a tout de même failli en optant pour une ligne « dure » dans la dernière ligne droite des négociations. Pour Emmanuel Dupuy, la visite du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius fin juillet n’a pas suffi à remettre les pendules à l’heure. Il demeure une certaine interrogation en Iran quant aux réelles motivations de la France vis-à-vis de Téhéran. L’évolution de la situation va dépendre de l’attitude de la France dans les mois à venir. Téhéran entend reprendre sa place sur la scène internationale et attend d’être traité comme un partenaire stratégique et diplomatique, compte tenu notamment des grands dossiers qui préoccupent la communauté internationale: la lutte contre Daesh et l’indépendance énergétique.

Enquête Iran

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