Le développement portuaire africain passe par une coopération régionale

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C’est à bord du Rhapsody, navire de GNV, qui a relié Dakhla à Casablanca, que s’est déroulée la session plénière du Club des ports du Crans Montana Forum le 20 mars sur l’économie portuaire en Afrique. « La faiblesse de la connectivité de nos ports se reporte sur la capacité des pays africains à participer au commerce international », a commencé par déclarer Adamou Saley Abdourahamane, secrétaire général de l’Union des conseils des chargeurs africains.

Trois défis

Un port doit relever trois défis, a expliqué Arno Loland, président d’Arlo Maritime. Il s’agit de la desserte de la zone de chalandise, le meilleur équilibre possible entre les importations et les exportations, et des coûts d’escale abordables. Pour répondre à ces trois défis, chaque pays doit analyser sa position dans un paysage équilibré. « Rien ne sert de disposer d’éléphants si vous n’avez pas de gazelles », a continué Arno Loland, expliquant en cela que les grands ports ont besoin de plus petits pour se développer. Et Gabriel Tchango, ministre des Eaux et Forêts du Gabon, a appuyé dans ce sens. « L’Afrique a hérité d’outils portuaires parfois en déshérence. Le problème n’est pas circonscrit à un pays africain mais il est global sur le continent. Si l’Afrique veut une économie portuaire forte, il est nécessaire de mettre en place une coopération interportuaire. » Elle passe par des discussions au plan international mais aussi par des liaisons entre les différents pays du continent. « Le transport multimodal est une nécessité pour tous nos pays, a déclaré Fatoumata Cissé, directrice générale de la Société navale guinéenne. L’intermodalité, nous en sommes conscients, mais nous souffrons d’un trop grand nombre d’intermédiaires et d’un réseau terrestre délabré. » Le constat en Guinée Conakry est partagé par de nombreux pays. Ambroise Germain Banas, président du conseil d’administration de l’Office des ports et rades du Gabon (Oprag), a appuyé cette réflexion. « L’ambition portuaire voulue par le président de la république du Gabon, Ali Bongo, comprend avant tout la liaison ferroviaire de la capitale, Libreville, avec les chefs-lieux de province. » Parce que les différents réseaux terrestres africains souffrent.

Pourtant, dans certaines places africaines, l’intermodalité existe et fonctionne. La représentante du directeur général du Port autonome de Dakar l’a démontré. La liaison avec le Mali se réalise en deux jours par voie routière et en 15 jours par voie ferroviaire. La mise en place d’entrepôts dédiés aux trafics avec le Mali à Dakar présente des avantages. « Dakar est aussi relié avec le Burkina Faso, même si la sortie portuaire naturelle de ce pays est plus au sud avec Abidjan ou Lomé », a continué une représentante de la direction commerciale du Port autonome. Au Maroc, le chemin de fer est devenu une part entière du réseau des transports terrestres. « Bon an mal an, nous réalisons 13 Mt annuelles sur notre réseau », a indiqué Rachidi Alaoui Aziz. L’ONCF, Office national des chemins de fer du Maroc, apporte aux ports des liaisons avec les plates-formes intérieures. Déjà, une liaison avec celle de Casablanca est effective et d’autres liaisons avec Marrakech et Fes le seront avec Tanger Med.

« Nous poussons pour optimiser les coûts de transport intérieur et pour participer au développement des ports nouveaux, à l’image de celui de Dakhla et de Kenitra. » Ces réalisations restent cependant encore rares. George Owino Sunghu, responsable de la communication de la PMAESA (Port Management Association of Eastern and Southern Africa), le constate tous les jours. « Le réseau ferroviaire avec les pays enclavés de notre région, le Burundi, l’Ouganda ou encore le Rwanda, est délabré. Mombasa réalisait 30 % de son trafic avec les pays de l’hinterland. Aujourd’hui, ce trafic est tombé à 5 %. » Alors les différents pays de la région ont dressé la liste des projets à mettre en œuvre. Le Kenya construit sa nouvelle voie ferroviaire pour relier ses ports à l’intérieur. L’Afrique du Sud-Est en pleine réhabilitation de ses voies. Des projets comme le Lapsset, ligne ferroviaire entre le port kenyan de Lamu et Djibouti par le Soudan, devraient démarrer dans les prochaines années. « Nous regardons aussi le réseau routier international. Nous avons besoin d’une route qui relie les ports du Kenya avec la Libye pour desservir les régions du centre du continent », a continué George Owino Sunghu. Pour le gouvernement du Congo Kinshasa, la multimodalité passe aussi par une mutualisation des forces. « Nous avons neuf voisins mais un seul port, celui de Matadi », a indiqué un responsable du ministère des Transports. Un port dont le tirant d’eau reste à des niveaux faibles, d’environ 7 m. Ce port débouche sur un réseau fluvial de 1 500 km qui, avec le ferroviaire, permet de relier l’ensemble du pays. La mutualisation est une affaire internationale. « L’est du Congo est desservi par les ports du Kenya ou de la Tanzanie. L’ensemble de nos réseaux routiers et ferroviaires doit être réhabilité. »

L’Afrique a besoin d’investisseurs privés

La réfection de ces différents réseaux ne peut se faire en un jour. « L’Afrique a besoin d’investisseurs privés. Pour cela, nous avons aussi besoin de paix et de stabilité politique et sociale », a souligné Ambroise Germain Banas. Pour le moment, les sociétés privées internationales hésitent à venir sur le continent. « Ils sont comme une volaille apeurée en raison de l’insécurité ambiante », a constaté Éric Lubin, ancien directeur d’une société minière en Afrique. Le « nerf de la guerre » en Afrique pose autant de soucis que sur les autres continents. Adamou Saley Abdourahamane s’est montré plus optimiste sur les capacités à trouver des fonds. « La Banque africaine de développement dispose de lignes de crédit qui peuvent servir pour les financements d’infrastructures. Il faut simplement créer l’initiative. » En Afrique, a indiqué un professeur de l’Université du Cameroun, l’argent existe. « Nous avons 1 825 milliardaires sur notre continent dont le premier dispose d’une fortune de plus de 17 Md$. Pourquoi ces personnes n’investissent pas dans leur pays? »

Parallèlement aux revendications en faveur du financement des infrastructures de transport terrestre, les représentants africains ont mis sur la table la nécessité de disposer de flottes maritimes nationales. M. Dargaoui, président de Defmar, club des assureurs maritimes et ancien responsable au gouvernement de Rabat des questions maritimes, a soulevé la problème. « Ne pas avoir de flotte est un handicap. Chaque année, ce manque coûte quelque 10 Md$ aux économies africaines. » Un point de vue partagé par Fatoumata Cissé qui a souligné que sur les 20 premières nations navales, aucune n’était africaine, ni sur les 20 premières nations pourvoyeuses en main-d’œuvre. « Nous disposons d’un fret national et international. Nous avons besoin d’avoir des flottes africaines. » Et Adamou Saley Abdourahamane de rappeler le contexte dans lequel ces compagnies ont disparu. « Elles ont été protégées par les accords de la Cnuced de 1975. Depuis 1997, la Banque mondiale a imposé une libéralisation des trafics et la fin des accords de la Cnuced. Avec la fin de la répartition des frets, les armateurs africains n’ont pas réussi à s’imposer. » Une position que le directeur de l’Omaoc (Organisation maritime de l’Afrique de l’Ouest et du centre), Mamadou Miko tempère: « La fin des répartitions de fret a été une des causes de la chute des compagnies maritimes. Les questions liées à la gestion de ces compagnies ont aussi participé à leur défaillance. » Et George Owino Sunghu, directeur de la communication de la PMAESA, va encore plus loin en parlant de la corruption de certains salariés de ces armateurs qui a précipité ces défaillances. L’exemple cité est à mettre à l’actif d’Ethiopian Shipping Lines qui a réussi à conserver sa place dans le monde maritime actuel. Après avoir fait le constat, il apparaît d’autant plus difficile de créer de nouvelles compagnies maritimes dans le contexte actuel de taux de fret bas. « Il n’est pas besoin de prévoir des subventions mais plutôt des cadres juridiques qui permettent à ces compagnies de revenir sur la scène internationale », a souligné Fatoumata Cissé prenant l’exemple de la Guinée dont la loi prévoit une répartition des trafics mais qui n’est pas appliquée depuis 50 ans. Aujourd’hui, au travers de la voix du directeur général de l’Autorité portuaire nationale du Cameroun, Josué Youmba, il faut remettre l’Afrique autour de la table des négociations pour disposer de flottes.

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