Le bilan global des ports européens en 2015 reste mitigé. Les premiers effets du ralentissement économique mondial se sont répercutés rapidement sur l’ensemble des filières économiques traitées par les ports.
Dans les vracs liquides, la baisse du prix du baril, liée à une production en croissance, a joué en faveur des pays consommateurs. Ainsi, au Havre, avec un pétrole brut moins cher, les marges de raffinage se sont améliorées. Les raffineries européennes ont repris le chemin d’une augmentation de leur production. Après avoir craint de se voir réduit à une portion congrue, le raffinage en Europe a retrouvé une raison d’être. Une situation dont les ports ont profité. À Rotterdam, dans les différents sites d’Haropa ou encore à Nantes Saint-Nazaire et à Algésiras, le pétrole a fait son retour. Ces augmentations d’importation de brut n’ont pas pour autant altéré les trafics de produits raffinés vers les autres ports. Un phénomène qui s’illustre à Haropa avec une progression de 4 % à plus de 19 Mt. Même ambiance à Marseille dont le brut augmente de 8 % et les raffinés de 7 %. À Nantes Saint-Nazaire, la baisse d’importation de pétrole brut n’a pu être compensée par la bonne tenue des trafics de raffinés. Ils ont augmenté de 2,1 % à 6,7 Mt. La diminution d’importation de pétrole brut devrait s’achever en 2016. Les travaux entrepris par Total sur la raffinerie démontrent de la volonté de son propriétaire de donner une nouvelle vie à cet outil industriel. Dans le port de La Rochelle, malgré une avarie sur un appontement, le port charentais confirme sa place de porte d’entrée de produits pétroliers dans la région. En 2016, les flux pétroliers pourraient bien être modifiés. D’abord, le retour de l’Iran sur le marché international dans les prochains mois devrait encore avoir un effet baissier sur le prix du baril. La signature de l’accord entre les États-Unis, l’Iran et l’Union européenne doit encore faire l’objet de mises au point avant de devenir effectif. Ensuite, les États-Unis sont en passe de devenir un exportateur net. Les premiers navires chargés de brut américain et de gaz ont fait leur apparition dans les ports européens et notamment à Marseille. Les mouvements écologistes manifestent fréquemment contre l’importation de céréales OGM mais n’ont pas encore pris la mesure de ces importations de pétrole brut issu du gaz de schiste.
Un marché du gaz volatil
La performance du pétrole n’a malheureusement pas été identique pour le gaz, et notamment le GNL. La Chine et aussi les États-Unis ont nécessité de nouveaux besoins en gaz pour alimenter leur économie nationale. Comme ils achètent plus cher que les Européens, les méthaniers n’ont fait que passer devant les ports français. Ainsi, le port de Nantes Saint-Nazaire a enregistré une nouvelle chute de 14 % de son trafic de gaz. Un effet d’aubaine puisque dès les premiers jours de 2016, le trafic est revenu sur le port de l’Atlantique. Un scénario identique s’est produit à Bilbao. Le trafic de gaz est revenu après deux ans d’interruption des capacités de stockage pour maintenance. Un retour qui ne s’est pas pour autant fait en fanfare. La reprise a été douce. Ces trafics dépendent du marché mondial et des besoins pour alimenter les économies. Un ralentissement ou une accélération d’une économie, et toute la chaîne logistique du gaz reprend du volume. Cette mésaventure nantaise n’est pas unique. Marseille constate que ces trafics gaziers font grise mine, tout comme Rotterdam qui perd une partie de ses trafics.
Le retour de la mer Noire
Dans les prochains jours, le terminal méthanier du Grand port maritime de Dunkerque ouvrira ses portes. Deviendra-t-il une concurrence des terminaux actuels ou un complément? Les Dunkerquois se défendent de toute concurrence nationale. De ce point de vue, en créant des terminaux gaziers sur chacune des façades maritimes françaises, les gouvernements ont voulu s’assurer une indépendance nationale. Entre le gaz et les autres sources d’énergies fossiles, le combat sera difficile dans les prochaines années. La COP 21, qui s’est déroulée à Paris au mois de décembre, tente de privilégier de nouvelles sources. La réduction progressive du recours à des énergies fossiles à, l’image du pétrole, pourrait bénéficier au secteur du GNL.
En disposant d’outils régulièrement entretenus et face aux soubresauts des marchés, les ports français ont réussi malgré les difficultés dans la filière gazière de tenir le haut du pavé. Le même constat peut se faire sur les vracs secs. La bonne campagne céréalière 2014-2015 a porté ses fruits. Les sites de Rouen, La Rochelle, Dunkerque et Sète dans une moindre mesure, ont vu leurs exportations progresser. Globalement, la campagne céréalière s’est achevée, en France, avec une production de 71,5 Mt, soit une hausse de 8 %. Une large part des produits est partie sur l’intracommunautaire, même si les exportations vers les pays tiers jouent encore un rôle prédominant. D’ailleurs, la bonne tenue des ports français n’est pas seule. Le port de Gand, premier établissement belge sur cette filière, a vu son trafic céréalier progresser. D’ailleurs les vieux démons ont refait surface. Ainsi, à La Rochelle, la filière progresse grâce aux trafics pour l’alimentation animale. Les céréales ont enregistré une progression de 3,7 % à 4,4 Mt quand l’alimentation animale est en hausse de 22,6 % à 255 147 t. La concurrence des blés de la mer Noire a perturbé le marché céréalier rochelais. Cette bonne campagne est aussi à mettre à l’actif du port de Nantes Saint-Nazaire, de Dunkerque, de Bordeaux ou dans une moindre mesure de Sète. Le port du Languedoc a vu son trafic céréalier perdre 53 000 t, mais une augmentation des importations de graines oléagineuses et de tourteaux de soja pour l’alimentation animale. Une nouvelle filière de ce secteur semble faire son apparition dans les statistiques portuaires: le blé biologique. Le port des Sables d’Olonne met en exergue la bonne tenue de ses trafics céréaliers mais aussi les exportations de blés biologiques. Est-ce en réponse aux différents soucis rencontrés par le port de Lorient qui voit parfois certains navires se faire « tagger » quand ils transportent des céréales OGM? La réponse est difficile, mais il ressort de ce nouveau classement que la mise en évidence de ces produits sera un nouvel atout pour les ports français.
Des vracs en dents de scie
Dans la même veine, les trafics pour l’alimentation animale suivent aussi le marché national. Les difficultés de la filière porcine en Bretagne ont des effets sur les importations de l’alimentation animale. Ainsi, Brest et Lorient ont souffert.
Sur les autres vracs solides, le charbon, les minerais et les matériaux de construction, la situation dépend en grande partie des conditions météorologiques hivernales pour le charbon, de la production sidérurgique pour les minerais et des chantiers mis en œuvre pour le BTP. Les sables ont eu des difficultés à s’imposer en 2015. Une tendance qui n’est pas propre aux ports français mais qui a d’autant plus d’impact que ce secteur est un moteur de l’économie portuaire locale. Ainsi, les diminutions de sables ont eu plus d’effets sur les ports intérieurs que dans les ports maritimes. La sidérurgie européenne est aussi dans une période transitoire. Un haut fourneau en maintenance à Dunkerque, une demande moindre en charbon et en minerais pour la Ruhr et des ports comme Dunkerque ou encore Rotterdam qui voient leurs trafics baisser pour les vracs solides. Il reste que des trafics dits de niche conservent malgré tout leur intérêt. Marseille a vu ses trafics de laitiers s’exporter, permettant ainsi aux vracs solides de rester à l’étal.
Les diverses jouent les trouble-fête
Troisième pilier portuaire, les marchandises diverses et notamment les conteneurs sont venus jouer les trouble-fête. Dans le range Nord, des ports comme Hambourg, qui ont misé sur le tout-conteneur depuis quelques années, semble vouloir revenir de ce concept. Il a suffi de l’embargo sur la Russie par les autorités européennes, d’une baisse de la consommation en Europe et d’un ralentissement de l’économie chinoise pour que le port allemand se retrouve rétrogradé en seconde place européenne. Le mot d’ordre de l’autorité portuaire est aujourd’hui de se lancer dans une diversification des trafics pour éviter une dépendance trop forte à une filière. Et comme si le grand frère devait déteindre sur l’autre port allemand, Bremerhaven subit les mêmes conséquences des mêmes causes. L’effondrement des relations avec la Russie a eu raison de son trafic conteneurisé qui se retrouve en baisse. Sur le range Manche/mer du Nord, il faut regarder entre Anvers et Dunkerque et Haropa pour voir des bonnes progressions. Rotterdam conserve sa première place mais a souffert d’une baisse de trafic avec les États-Unis. Au final, il chute de 0,5 %, et ce malgré une bonne tenue des trafics avec la Chine. Le manque des trafics avec Hambourg s’est reporté sur Rotterdam. Le grand gagnant sur la région a été le port d’Anvers. Difficile de croire que cette croissance de trafic de 7,5 % à 9,6 MEVP a surtout profité de la fermeture d’un terminal à Zeebrugge. De plus, selon les premières analyses, qui devront encore être confirmées, la conteneurisation anversoise prend des parts de marché sur le conventionnel. Ce report de trafic sera-t-il pérenne? Hambourg milite pour l’approfondissement de l’Elbe, Bremerhaven pour celui de la Weser pour accueillir les ULCS des armateurs. Rotterdam a mis en place les nouveaux terminaux de la Maasvlakte 2. Autant d’éléments qui pourraient redistribuer les cartes. De plus, en ce début d’année, les premiers mouvements sociaux des pilotes et des dockers à Anvers et à Rotterdam pourraient profiter à court terme aux ports français. Ces derniers ont réalisé de bonnes performances dans la conteneurisation. Haropa gagne 0,8 % et Dunkerque 2 %. Quand les grands ports du Nord souffrent d’une économie chinoise qui se ralentit et des effets d’un embargo contre la Russie, les ports français savent jouer de leurs atouts pour s’imposer. Le développement des trafics conteneurisés vers d’autres continents, parfois moins porteurs mais avec des taux de croissance réguliers, a démontré de sa force. Ainsi l’Afrique de l’Ouest, mais aussi le Moyen-Orient et d’autres pays asiatiques que la Chine ont porté leurs fruits en France. À titre d’exemple, l’ouverture d’une ligne de MSC vers l’Afrique de l’Ouest sur le port de Bordeaux et de Nantes Saint-Nazaire a de suite amené des résultats. Sur la façade méditerranéenne, Marseille gagne aussi des parts de marché face à ses concurrents. Et pourtant, face à lui, il retrouve des grands noms de la conteneurisation. Algésiras a vu ses trafics conteneurs se stabiliser. Il souffre d’une double concurrence, celle de Tanger Med sur l’autre rive du détroit de Gilbraltar mais aussi de Valence qui veut s’imposer comme la plate-forme d’entrée du marché espagnol. D’ailleurs, sur cette façade, la baisse des trafics de transbordement à Barcelone, alors que les trafics domestiques progressent, démontre de la volatilité de ces trafics. Il reste que la conteneurisation est sujette aux aléas économiques avec un effet de retour rapide. Le port de Leixões l’a connu en 2015 avec les soucis du ralentissement de l’économie angolaise en raison de la baisse du prix du baril.
Dans le monde des marchandises diverses, un secteur bien particulier a souffert en France: les activités transmanche. L’arrêt de la ligne de MyFerryLink à Calais, la crise des migrants, encore dans le port de Calais, ont eu des répercussions sur le trafic. Certes, une partie des flux s’est reportée sur Dunkerque, mais la situation du Calaisis reste préoccupante pour l’avenir.
Les ports ultramarins et le statut de hub
Le troisième jeu d’écluses du canal de Panama aurait dû ouvrir ses portes en octobre 2014 pour fêter ses cent ans. Après des soucis dans la réalisation de l’infrastructure et certains mouvements sociaux, l’ouverture est annoncée pour le mois de juin. Tout l’avenir de la région des Caraïbes est suspendu à l’arrivée de navires de plus grandes tailles dans la région. Les ports américains regardent avec attention ce qu’il pourrait bien se passer. Si pour la première fois en janvier, le port de Los Angeles a réceptionné un navire de 18 000 EVP, le CMA-CGM-Benjamin-Franklin, les ports de la côte Est des États-Unis ne disposent pas encore des infrastructures adaptées. Dans ce contexte futur, les ports des Caraïbes fourbissent leurs armes pour se positionner comme un hub. Déjà Kingston en Jamaïque, Caucedo, les ports du Panama, Carthagène en Colombie se bagarrent pour devenir le hub international. Les ports ultramarins français ont une carte à jouer. La Guadeloupe, la Martinique veulent jouer un rôle de hub régional entre les Caraïbes et le nord de l’Amérique du Sud. La Guyane est dans une situation plus compliquée. Ses accès nautiques l’empêchent pour le moment de prétendre à ce statut. Cependant, le projet d’une plate-forme offshore multi-usage avance. Une étude réalisée sur ce projet doit être rendue publique dans les prochains jours.
À La Réunion, le statut de hub est aussi convoité dans la région du sud de l’océan Indien. Après la visite du président de la République François Hollande sur l’île en août 2014, le lancement des travaux et l’arrivée de nouveaux portiques, Port Réunion prend de l’avance. Il doit encore régler son organisation pour améliorer sa productivité, mais tous les armateurs regardent avec attention les évolutions qu’ils qualifient de positives sur le port. Déjà, la croissance exponentielle des trafics de transbordement à La Réunion plaide en sa faveur. Devenir un hub suppose aussi de disposer d’un marché domestique conséquent en raison de la volatilité de ces trafics. Et ce statut est aussi fortement dépendant de la volonté des armateurs.