De Port Réunion à Tamatave et Port Louis, les principaux centres économiques du sud-ouest de l’océan Indien sont entrés dans une bataille pour devenir un hub régional. Cela suppose pour chacun des ports concernés par le fait de disposer de linéaires de quai, d’espaces sur le terminal et d’équipements adaptés aux navires qui fréquentent la région. C’est dans cet état d’esprit que les principaux ports du sud-ouest de l’océan Indien se sont retrouvés lors de la Maritime Week à La Réunion du 25 au 29 janvier. Une bagarre qui peut aussi devenir une complémentarité. « Nous disposons de nombreux points communs avec Port Louis à l’île Maurice », a expliqué Jean-Frédéric Laurent, président du directoire du Grand port maritime de La Réunion. Un point de vue partagé par l’Autorité portuaire de Maurice qui parle de « vendre la région tant pour les croisières que pour les flux conteneurisés. C’est une question de survie pour nous tous ». Cette complémentarité entre les deux ports se retrouve aussi dans la stratégie déployée par les armements. Ainsi, le 27 janvier, les autorités régionales réunionnaises et CMA CGM ont inauguré le nouveau hub de l’armement marseillais à Port Réunion (voir encadré p.11). En réorganisant ses services vers l’océan Indien, CMA CGM fait de Port Réunion un véritable centre d’éclatement. Quatre services touchent désormais l’île Bourbon. De trois escales hebdomadaires qui ont touché l’île jusqu’à présent, CMA CGM passe désormais à cinq touchées par semaine. Les services Nemo, Mascareignes et Mozex réalisent des escales sur La Réunion chacun une fois par semaine. Le service Midas, vers l’Asie, l’Afrique de l’Ouest, du Sud et de l’Est offre désormais deux escales par semaine. Si l’armateur marseillais a renforcé sa desserte à La Réunion, Mærsk Line et MSC ne sont pas en reste. « Sur l’océan Indien, a indiqué Matthieu Roger, directeur marketing de Mærsk France, nous réalisons peu de transbordements. Nous privilégions des liaisons directes depuis l’Asie et l’Europe. » Cette approche par service direct n’est pas définitive, assure le responsable de Mærsk France. Quant à MSC, l’armateur italo-suisse joue la carte de la complémentarité. « Les flux réunionnais et mauriciens ne sont pas identiques. Nous devons nous adapter et nous réalisons des transferts d’escale d’une île à l’autre », a expliqué M. Audiger, directeur de l’agence MSC Réunion.
Si les deux ports de La Réunion et Port Louis ont des visions parfois identiques, les origines des trafics ne sont pas similaires. Quant à La Réunion 65 % des flux arrivent d’Europe et 22 % d’Asie, à Maurice, les flux en provenance d’Europe sont beaucoup plus faibles.
Coopération interportuaire
Patrick Bret, responsable des trafics nord/sud d’Haropa, a mis les pieds dans le plat. « Il faudrait trouver un service de feedering entre les différentes îles et les ports de la côte orientale de l’Afrique. Il faut mutualiser un navire. Quant au hub, il faut que vous décidiez de sa localisation entre vous. » Patrick Bret a aussi prêché pour sa paroisse. « À Haropa, nous sommes ocean indian minded. Avec la réorganisation des services de CMA CGM, nous sommes à 21 jours de votre île, soit trois jours de moins qu’Anvers. Il faut bien le prendre en compte. » Cette coopération interportuaire qu’Haropa a mise en place peut parfaitement se décliner au travers de ports de différentes nationalités. Rotterdam, Anvers et Duisbourg l’ont déjà éprouvé tout comme les ports du Yangtsé.
Cette complémentarité entre les ports, mais aussi la mise en place du hub de CMA CGM représentent un potentiel de développement pour les transitaires de la place réunionnaise. « Le hub est pour nous une opportunité que nous devons saisir. Nous disposerons de plus nombreuses escales avec des temps de transport plus courts et des liaisons directes vers toutes les destinations du monde. Il faut maintenant concrétiser ce potentiel en exportant ce que les Réunionnais produisent », explique Hervé Marodon, président de TLF La Réunion. Il considère que la zone de chalandise des produits réunionnais sera multipliée par trois avec ce nouvel outil. « Il faut maintenant vendre nos produits en plus de notre savoir-faire », continue Hervé Marodon.
Zone logistique franche
La nouvelle position maritime de La Réunion dans la région doit aussi développer l’activité des logisticiens. Jusqu’à présent, les Réunionnais ont utilisé les conteneurs comme un entrepôt de stockage pour leurs marchandises. « Nous disposons sur l’île de nombreux entrepôts sous douane pour y faire du groupage et du dégroupage. Il nous faut développer sur ce créneau », continue le président de TLF de La Réunion.
Ce système est déjà en place à l’île Maurice. Le gouvernement local a créé une structure pour gérer une zone logistique franche à l’arrière de son terminal, la MFD (Mauritius Freeport Development). Sur une surface de 56 000 m2, cette zone offre des disponibilités pour l’entreposage sec et une capacité de stockage de 7 000 EVP. Et pour inciter les clients à bénéficier des avantages de cette zone, le terminal de Port Louis offre une réduction de 50 % sur les tarifs de manutention. Un avantage qui n’est pas toujours du goût des observateurs étrangers. Pour les responsables du port de Tamatave (Toamasina), cette incitation payée par une société d’État est une concurrence déloyale.
Le marché de la conteneurisation dans le sud-ouest de l’océan Indien
Intervenant lors de la 10e Indian Ocean Ports & Logistics Conference, Jacques Charlier, professeur à l’université de Louvain, a dressé un bilan des vingt dernières années de progression du trafic conteneurisé dans l’océan Indien. En 2014, la totalité de l’océan Indien a traité 65,2 MEVP, soit 9,5 fois plus qu’en 1992. Sur le sud-ouest de l’Océan, le trafic portuaire a représenté 7,5 MEVP, selon les données de Jacques Charlier. En 22 ans, le trafic portuaire a été multiplié par 7,5.
En 1992, indique Jacques Charlier, seuls quelques grands ports conteneurisés émergent à l’image de Durban en Afrique du Sud, Colombo au Sri Lanka, Mumbai en Inde, Dubaï et Jeddah. En 2014, de grands ensembles portuaires sont nés. Dubaï s’impose comme le port majeur de la région de l’océan Indien devançant Colombo, Jeddah, Salalah sorti de terre au début des années 2000. Et dans ce concert concurrentiel vif, Port Réunion se développe avec un trafic de 230 000 EVP. Sur la côte orientale de l’Afrique, Mombasa, Dar es Salaam rejoignent le club des grands ports. Durban conserve sa position de premier port conteneurisé du sud-ouest de l’océan Indien avec 2,7 MEVP en 2014. Mombasa réalise cette même année un trafic proche du million d’EVP. Port Louis à Maurice, Port Réunion et Toamasina affichent des trafics inférieurs à 1 MEVP mais restent malgré tout dans la course. Et derrière le succès de certains ports, d’autres établissements voient le jour. Durban, saturé, s’étend sur l’ancien aéroport pour ouvrir, à l’horizon 2025, un futur terminal. À Nqura, en Afrique du Sud, a été créé un hub de transbordement. Au Kenya, Mombasa étend ses capacités et le gouvernement local a décidé de créer un nouvel établissement sur le site de Lamu. En Tanzanie, Dar es Salaam ne dispose pas d’espaces pour se développer et a concédé à une société chinoise, CHEC (China Harbour and Enginereeing Company), les travaux pour créer un port ex nihilo sur le site de Bagamoyo.
Dans ce contexte, les ports insulaires tentent de jouer un rôle dans le transbordement. Parmi les projets, hormis celui de Port Réunion, Port Louis, à Maurice, a engagé un programme d’investissement pour accueillir des navires de plus grandes tailles. De 405 000 EVP réalisés en 2014, le port mauricien vise un trafic de 1 MEVP en 2025. À Madagascar, Toamasina (Tamatave) ne se laisse pas distancer. Il a engagé des travaux d’envergure en ajoutant 450 mètres de linéaires de quai à une profondeur de 16 m. Il espère voire son trafic doubler à 425 000 EVP en 2020. Enfin, Port Réunion, avec la réception de ses nouveaux portiques et l’agrandissement de sa darse, devrait passer d’un trafic de 225 000 EVP en 2014 à 400 000 EVP en 2018. Au final, le port réunionnais prendrait de l’avance sur ses voisins.