Journal de la marine marchande (JMM): le concept d’haropa est né de la réforme portuaire de 2008. Depuis lors, des critiques s’élèvent sur la seine et en France sur la création de ce système portuaire. Certains accusent haropa d’être un système qui avale Rouen. Pensez-vous que ces critiques soient justifiées?
Jean-Louis le Yondre (J.-L.L.Y.): Pour moi, en tant que président du conseil de développement d’Haropa, ces critiques n’ont pas de sens. En créant Haropa, regroupant les trois ports, nous avons créé un système portuaire sur un axe industriel et marchand prépondérant en France qu’est la Seine. Haropa répond à une demande des clients de disposer d’un schéma logistique intégré.
Après, il ne faut pas se voiler la face. Le Grand port maritime du Havre reste le leader incontestable de l’axe Seine. Néanmoins, nous ne pouvons pas dénigrer le rôle d’Haropa. Il permet d’éviter les antagonismes entre les trois ports de par l’harmonie qui règne entre le préfet et les directeurs généraux des ports. Haropa, c’est avant tout un lieu de communication entre les trois ports pour y prendre les bonnes décisions. Il ne faut pas tomber dans le nihilisme.
Il est aussi nécessaire de se placer en fonction des évolutions du monde maritime. Le gigantisme des navires est inéluctable. Les armateurs demandent de plus grands tirants d’eau. Nous n’y pouvons rien, mais il faut être en mesure de répondre à leur demande. Alors, certains choisissent Le Havre plutôt que Rouen, mais cela n’empêche pas la place rouennaise d’être présente. De nombreux connaissements sont émis à Rouen, même si le chargement maritime se réalise au Havre. De plus, le paramètre coût intervient pour les armateurs. En choisissant Le Havre, l’armateur dispose d’une capacité plus grande. Nous le savons tous, en matière de manutention, dès lors que le diviseur est grand, le coût à la tonne ou à la boîte se réduit. Alors, pour certains opérateurs, le coût de la remontée à Rouen et le diviseur plus faible pour la manutention en font un port peut-être un peu plus cher que Le Havre. Ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, il y a quelques années, le groupe MSC a décidé de transférer ses escales rouennaises du service sur l’Australie au Havre. N’oublions jamais qu’au final, l’armateur décide des escales.
JMM: votre approche se comprend, mais alors, était-il nécessaire de procéder à l’approfondissement du chenal de la seine jusqu’à rouen?
J.-L.L.Y.: Les travaux sur le chenal de la mer à Rouen ont été réalisés par l’arasement des pointes de la voie navigable. Il existe sur le port de Rouen des infrastructures portuaires, comme les silos, qui apportent à la place un intérêt pour certains trafics. En améliorant son tirant d’eau, Rouen conserve toute sa pertinence pour les trafics céréaliers. Pour replacer le débat sur le fond du sujet, il y a eu une demande de la part des céréaliers français pour garder à Rouen l’attrait pour leurs trafics et une décision de la part de l’État.
JMM: au havre, la construction du chantier multimodal est achevée. cet outil reste cependant désert et peu utilisé par les opérateurs. n’est-ce pas là aussi un investissement dispendieux?
J.-L.L.Y.: Je ne pense pas qu’il faille être aussi stricte. Une infrastructure comme le chantier multimodal prend du temps entre sa décision et sa mise en service. Entre la décision de le construire et sa livraison, 12 ans se sont écoulés. Ce qui était valable il y a 12 ans ne l’est plus aujourd’hui. Le chantier multimodal a été pris à bras-le-corps par toute la communauté portuaire pour rationaliser le ferroviaire sur la place havraise. Jusqu’à présent, le ferroviaire et le fluvial ont bénéficié de subventions, appelées aides à la pince, qui étaient complétées par des participations du Grand port maritime du Havre pour développer le ferroviaire et le fluvial. Le ministère des Transports a annoncé que ces aides à la pince seront supprimées à la fin de l’année 2016. Dans le même temps, le GPMH a décidé de ne plus donner de subventions en raison de la livraison du chantier multimodal.
Pour que ce chantier soit opérationnel et utilisé, le GPMH a décidé d’accorder des aides à la société en charge de l’exploitation de ce chantier, la LHTE (Le Havre Terminal Exploitation). Charge à eux de devenir bénéficiaires rapidement. Ceci dit, il ne faut pas oublier que le multimodal est une alternative. Dans certains cas, la route demeure plus économique et continuera de disposer d’une part des pré et post-acheminements sur Le Havre.
JMM: fallait-il alors envisager de conserver la SAITH plutôt que de créer la LHTE?
J.-L.L.Y.: Il aurait peut-être fallu conserver la SAITH pendant quelque temps. Cette structure peut répondre à des besoins futurs, même si dans un second temps nous aurions pu envisager la création de la LHTE.
JMM: cette approche est ferroviaire, mais le chantier multimodal doit aussi permettre au transport fluvial de gagner des parts de marché. cet outil permettra-t-il au fluvial de se développer?
J.-L.L.Y.: Entre le fluvial et le ferroviaire, les choses sont différentes. Un lobby pour créer une chatière tente de s’imposer sur la place havraise. Le port a alloué 2 M€ pour les études économiques, environnementales et hydrographiques de ce projet. À l’issue de ces études, si le budget pour la réalisation de cet ouvrage est accepté, il faudra encore quatre ans de génie civil dans le meilleur des cas, ce qui nous amène à une réalité opérationnelle en 2022. Il faut donc trouver des solutions alternatives pendant ce temps. Or le chantier multimodal est aussi un outil destiné à dynamiser le transport fluvial.
L’approche sur le fluvial doit prendre en compte la disponibilité des quais. Lorsqu’un navire est présent, il lui est donné la priorité. Le navire prend le pas sur le fluvial. Alors lorsque les quais sont occupés par les navires, le chantier multimodal permet au fluvial de consolider la marchandise. Il en est de même pour le ferroviaire.
Je ne pense pas qu’il faille placer en opposition les projets ferroviaires et fluviaux. Ce chantier multimodal doit fonctionner. Pour cela, il faut agir pour l’informatiser. Il faut l’organiser pour qu’il soit performant et, enfin, il faut envisager son avenir sous son aspect social. Nous devons prévoir une compression du personnel docker sur ce terminal.
Pour la rationalisation de ce chantier, nous devons examiner tous ses éléments pour agir sur les coûts. Tout le monde doit se mettre autour de la table pour envisager l’avenir de ce chantier en œuvrant pour sa réussite.
JMM: lors d’une réunion du conseil de développement du havre, une résolution a été adoptée à l’unanimité sur le projet du canal à grand gabarit seine-nord. Certains y ont vu une attaque contre ce projet. La place havraise est-elle opposée au projet de canal seine-nord?
J.-L.L.Y.: Nous avons adopté à l’unanimité des membres du conseil du développement, comprenant, outre les opérateurs économiques, des personnalités politiques, une résolution sur le projet du canal à grand gabarit Seine-Nord. Le texte de cette résolution n’est pas d’aller à l’encontre de Seine-Nord mais plutôt d’envisager l’axe Seine. Nous disposons d’un axe industriel et marchand qu’il faut développer. Prenons le cas du ferroviaire et notamment du cercle Serqueux-Gisors. Après 25 ans de débat, nous avons enfin obtenu le budget pour l’amélioration de cet axe. Cette liaison nous permet de nous développer vers la Suisse et l’Italie. Notre discours vise à améliorer nos infrastructures avant de nous développer sur d’autres destinations.
De plus, il faut prendre en compte l’ensemble de ce projet depuis la région parisienne jusqu’aux Pays-Bas. Pour leur part, les Belges et les Néerlandais n’ont assuré aucune maintenance des canaux sur cet axe. Faut-il dépenser des milliards d’euros pour avoir, au final, des soucis sur la partie belge de cette liaison? Nous ne le pensons pas.
Par ailleurs, le projet n’a pas résolu la problématique des tirants d’air de ce canal. Nous demandons à avoir un ingénieur qualifié en hydrographie qui vienne nous expliquer, preuves scientifiques à l’appui, que nous disposerons d’un tirant d’eau et d’air garanti. En tant que citoyens français et opérateurs économiques, nous attendons des réponses sérieuses sur ce projet.
JMM: cette approche est-elle une façon détournée de refuser la concurrence avec anvers?
J.-L.L.Y.: Le Havre se pose en véritable concurrent du port d’Anvers. Ceci est une réalité économique. Néanmoins, Le Havre reste le premier port du commerce extérieur français. Nous avons connu des heures difficiles dans le passé qui ne s’effacent pas d’un trait de plume. En face, nous avons le port d’Anvers qui a su se montrer fiable, performant et a réalisé de nombreux investissements. Nous avons travaillé sur les conditions d’attractivité du Havre, et aujourd’hui les cadences dans notre port sont bonnes. Il reste encore des points à araser comme des doublons de personnels sur certains postes, là où, à Anvers ou à Rotterdam, un seul ouvrier travaille. Il reste que les trois grands noms de la conteneurisation, Mærsk Line, MSC et CMA CGM sont présents dans le port du Havre, ce qui nous donne une crédibilité internationale.
JMM: la réforme portuaire de 2008 a substantiellement modifié l’organisation du travail sur les quais. D’autres évolutions sont-elles à prévoir?
J.-L.L.Y.: Avant la loi de 2008, les horaires des grutiers et des dockers étaient différents. Aujourd’hui, l’harmonisation par le commandement unique est opérationnelle sur le port. Cette réforme a considérablement amélioré les choses et le président de l’Unim de l’époque, Christian Paschetta, a été à l’essentiel sur cette réforme.
Aujourd’hui, les choses continuent d’évoluer. Nous constatons que le métier tend à s’automatiser comme ont pu le faire des terminaux en Europe du Nord. Ce sujet est celui de l’avenir. Nous devons en parler avec les syndicats. Il faut prévoir des formations vers l’informatique. Nous voyons que tous les ports qui se sont automatisés ont des problématiques importantes sur le passage à l’automatisation. Il est inéluctable qu’à terme cette industrialisation par la robotique arrivera sur nos quais. Il faut donc préparer la future génération qui travaillera sur les quais à s’intéresser de plus près aux questions liées à la robotique et à l’informatique. Cette préparation doit se faire sur l’ensemble de la chaîne.
JMM: en tant que président du conseil de surveillance de la Soget, comment réagissez-vous à la mise en place d’un ccs propre chez MGI alors que vous développiez auparavant le système ap + commun aux deux sociétés?
J.-L.L.Y.: Avant d’envisager une réponse claire à votre question, il faut regarder ce que pèse la Soget. Actuellement, la Soget comprend 127 salariés. Elle a développé son réseau à l’international. Elle est présente en Indonésie, en RDC, en Jamaïque, au Bénin et en Côte d’Ivoire. Ce développement international a un poids majeur dans notre société puisqu’il représente 40 % du chiffre d’affaires. Les marges dégagées par ce développement supportent largement les charges nécessaires. La Soget reste une société rentable qui dégage des bénéfices.
Pour expliquer notre position face à la mise en place de CI5 de MGI, je rappelle qu’il y a cinq ans, la Soget a réalisé qu’AP +, outil performant, trouverait sa fin et serait dépassé technologiquement. Le conseil de surveillance et le directoire ont donc décidé de construire un nouveau système que nous avons appelé S)One. Nous avons procédé à des tentatives pour rapprocher MGI et la Soget autour de S)One. La société marseillaise n’a pas souhaité intégrer notre système et a développé son propre CCS. Les institutionnels français ont déclaré récemment qu’il ne pourrait y avoir deux systèmes en France. Pour trouver un accord entre les deux sociétés, nous nous sommes adressés à un avocat qui examine actuellement les conditions de ce rapprochement et nous donnera ses conclusions dans les prochains mois. Ensuite, le conseil de surveillance et le directoire prendront leur décision.
JMM: vous demandez depuis plusieurs semaines l’allongement de port 2000. Pourquoi s’engager dans une telle bataille alors que les terminaux actuels ne sont pas encore saturés?
J.-L.L.Y.: Nous disposons sur Port 2000 d’une réserve de 700 m de linéaire de quais. Au total, cet allongement nous permettrait d’avoir 3 000 m de linéaire de quai. La raison de ce projet est simple. Le port Nord du Havre n’a pas la capacité géophysique de recevoir les plus gros navires actuellement en circulation. Nous devons préparer le futur en disposant des infrastructures pour accueillir la flotte de 2020. Il faut souligner que les armateurs étant apatrides, mondialisés, ce sont eux qui donneront le tempo et qui dirigeront les opérations maritimes planétaires. Les ports qui ne sauront pas les accueillir seront réduits à devenir des ports de cabotage. Je demande donc à ce que le conseil de surveillance du Grand port maritime du Havre entérine cette démarche et donne les moyens à nos départements d’ingénieurs de commencer l’étude de ce projet.
JMM: parmi les dossiers de ce début d’année, l’entrée en service du nouveau code des douanes unique vous inquiète. Quels sont vos griefs à l’égard de ce document?
J.-L.L.Y.: Ce code des Douanes unique, le CDU, doit être mis en place le 1er mai 2016. Il est mortifère pour nous. Il permet à n’importe qui de faire n’importe quoi. Nous entrons dans l’hyperlibéralisation alors que nous sommes dans un état d’urgence. Plusieurs points inquiètent. Le premier concerne le statut de notre profession, dont une partie va se voir supprimer le statut de commissionnaire en douanes agréé qui s’est avéré au cours des années un label de sécurité et d’honnêteté, même si nous avons eu à souffrir d’exceptions. Il permettait au ministère des Finances d’avoir des compagnons de route surveillés. C’est fini, ce statut va être remplacé par le Customs Representative, titre qui sera attribué à l’ensemble de notre profession dans le cadre de l’Union européenne.
Le second effet négatif de ce code porte sur les aménagements que chaque État membre pourra faire du CDU. La direction générale des Douanes françaises mais aussi celle de Roumanie, de Hongrie ou de tout autre pays membre, pourront l’appliquer à leur façon. En France, cela signifie qu’un bureau soit créé à Paris pour centraliser toutes les opérations douanières des grands comptes. Cela signifie que nous allons paupériser les centres régionaux comme Le Havre, Roissy ou Marseille au profit d’un « colbertisme ». Le troisième point négatif de ce code des Douanes unique permet à n’importe quel ressortissant de s’installer dans tous les États membres avec le titre de Customs Representative et de traiter toutes les opérations depuis un bureau pour toutes les marchandises entrant à n’importe quel point frontalier. Ainsi, un industriel français qui dispose de 25 bureaux en Europe peut décider que son bureau déclaratif sera à Bucarest. Les points frontaliers de tous les autres pays recevront leurs instructions depuis ce bureau. Je vous laisse imaginer ce que cela peut devenir à terme.
Le dernier point noir de ce code permet à toute personne physique ou morale de s’installer en Europe comme Custom Representative en choisissant un ou plusieurs points de bureau déclaratif, et en captant tous les trafics non seulement européens mais aussi mondiaux, puis gérer un ensemble d’opérations du commerce extérieur français, entre autres, et européen. Dans les conditions géopolitiques actuelles, alors que le président de la République a clairement déclaré vouloir un contrôle aux frontières, que 1 000 agents des Douanes, gardes-frontières supplémentaires, ont été engagés et que nous vivons les plus grands phénomènes des flux migratoires que nous ayons connu au cours des dernières décennies, il est aberrant et criminel de laisser s’installer des organisations terroristes dans toute l’Europe via le statut de Custom Representative.
Compte tenu de ces différents points, nous demandons avec d’autres opérateurs économiques que la mise en place de ce CDU soit suspendue en France tant que l’état d’urgence demeure.