Arnaud de Boissieu est « homme de terre », prêtre de la Mission de France et accueille depuis 12 ans les marins en escale à Marseille-Fos et à Port-de-Bouc dans les locaux du Seamen’s Club (un conteneur mis à disposition par le port), ou leur rend visite à bord pour leur apporter des nouvelles de leur pays (souvent les Philippines, la Russie, l’Inde…), sous la forme de journaux préalablement téléchargés sur internet et imprimés. De petites attentions pour maintenir un lien entre mer et terre. Roland Doriol, lui, est « homme de mer », prêtre jésuite qui a été marin-électricien durant 22 ans, puis 15 ans aumônier d’une école maritime aux Philippines. Il a invité les jeunes diplômés à lui écrire lors de leurs voyages en mer, et les lettres reçues ont inspiré librement la compilation des récits ici présentés. Le livre est dédié à « tous les marins de la marine marchande, ouvriers silencieux des coulisses de la mondialisation », et préfacé par Régis Hutin, p.-d.g. du groupe Ouest-France. L’ouvrage est ainsi organisé en une alternance régulière de courts récits autobiographiques écrits par Arnaud de Boissieu qui témoigne de ses rencontres avec les marins en escale et de courriers électroniques échangés, non pas entre les membres d’équipage et leurs familles, mais entre marins, anciens camarades de classe, aujourd’hui dispersés sur les mers du monde, comme ces courriels entre Eddieboy et Kiko qui mesurent leurs rêves de grand large à l’aune des difficultés présentes. Le lecteur entre ainsi dans le rude univers de travail et la vie intérieure des « petites mains de la marine marchande ». Il découvre le découragement qui accable parfois les navigateurs, les dangers en mer, la douleur de l’isolement, la pénibilité des tâches, l’incertitude des lendemains, mais aussi la vocation qui les anime: l’appel du large, l’amour du travail bien fait, la fascination pour les navires. C’est par exemple l’histoire de Celal, marin de 36 ans, qui en a passé 18 à bord du même vraquier, désormais hors d’état de service. C’est à Celal que revient la dernière mission: fermer et condamner les portes du navire, gestes qu’il accomplit consciencieusement, cérémonieusement. L’indice du degré de satisfaction des marins diffusé sur le réseau social Crewtoo est un outil de mesure utile, mais ces « lettres de mer et paroles de terre » offrent une perspective sensible et vivante sur la vie des hommes et femmes de mer.
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Lettres de mer: embarquement poétique dans le monde de la marine marchande
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