Fin octobre, GTT a annoncé avoir reçu des approbations de principe pour son concept de navire de soutage de 4 000 m3 équipé de la technologie de confinement à membrane Mark III Flex et opéré avec une pression de ciel gazeux allant jusqu’à 2 bar gauge (barg). Les approbations de principe émanent des sociétés de classification Lloyd’s Register et Bureau Veritas après des programmes de recherche conjoints de plusieurs mois. GTT rappelle que le code IGC (International Code for the Construction and Equipment of Ships Carrying Liquefied Gases in Bulk) de l’Organisation maritime internationale (OMI) fournit une norme pour assurer la sécurité des navires transporteurs de gaz. Le code IGC se concentre sur le gaz naturel liquéfié (GNL) en tant que cargaison et non pas comme combustible. Il impose que les cuves utilisant des systèmes d’isolation à membrane (confinement) notamment ne puissent dépasser une pression de 0,25 barg sauf si la structure porteuse (celle du navire) est échantillonnée pour supporter une pression comprise entre +0,25 barg et maximum 0,7 barg. « Échantillonnée, cela signifie que la structure porteuse du navire doit supporter la surpression, c’est-à-dire la pression relative au-delà de la pression atmosphérique », explique Arthur Barret, directeur du programme soutage GNL de GTT. Les valeurs précisées par le code IGC ont été définies lors de son adoption en 1983 et n’ont pas été révisées au cours des décennies suivantes malgré plusieurs mises à jour. La dernière d’entre elles va entrer en vigueur en janvier 2016. Comme le code IGC ne porte pas sur le GNL comme combustible, l’OMI a lancé l’élaboration d’un nouveau texte, l’International Code of Safety for Ships using Gases or other Low Flashpoint Fuels (code IGF). Ce nouveau code doit entrer en vigueur en 2017 et concerne non seulement le GNL comme carburant mais aussi d’autres combustibles à faible point d’éclair comme le méthanol. Le code IGF va remplacer le chapitre 16 du code IGC et la ligne directrice intérimaire MSC 285 avec laquelle l’OMI a voulu mettre en place un certain niveau de sécurité et de fiabilité pour les opérations liées au GNL en tant que combustible. Parmi celles-ci figurent des exigences similaires à celles du code IGC mais aussi pour la station d’avitaillement du navire, sans toutefois rentrer dans des normes techniques et opérationnelles pour l’avitaillement. « Le nouveau code IGF reprend intégralement les prescriptions du code IGC sans les mettre à jour, notamment celles portant sur la pression des cuves », indique Arthur Barret. Forte de ce constat, la société française a décidé de travailler sur la limite de 0,7 barg. « Nous avons lancé des études pour déterminer comment monter en pression au-delà de 0,7 barg tout en préservant l’échantillonnage de la structure, continue Arthur Barret. Nous disposons aujourd’hui d’outils informatiques puissants et de méthodes de calculs plus fiables, grâce notamment aux éléments finis, qui permettent d’optimiser la matière en fonction des contraintes induites par les différents cas de chargement et prenant en compte les phénomènes de fatigue. » Les calculs de structure menés par GTT ont démontré qu’un échantillonnage adapté de la structure porteuse permettait d’opérer les cuves jusqu’à 2 barg dans les mêmes conditions de sécurité, moyennant une augmentation raisonnable du poids de coque métallique (+8,3 %).
Un choix plus large d’approvisionnement
La possibilité d’augmenter la pression à 2 barg au lieu de 0,7 barg apporte une plus grande flexibilité opérationnelle, notamment dans la gestion du Boil Off Gas (BOG, en français: évaporation de gaz, voir encadré page suivante) pendant les opérations aussi bien de chargement que de soutage. « Tout l’enjeu de la possibilité d’une montée en pression possible jusqu’à 2 barg est de pouvoir disposer d’un buffer (en français: stockage tampon temporaire) pour gérer l’excédent de BOG sans le brûler », souligne Arthur Barret. Cela permet, par exemple, d’augmenter significativement le temps de montée en pression dans la cuve, dans les cas où la consommation de gaz du navire est inférieure à la production naturelle de BOG. C’est le cas pour des navires cargo de type tankers ou vraquiers lorsque le navire est au mouillage en zone d’attente ou à quai. Cela peut aussi être intéressant en cas d’avarie de propulsion ou de black-out pour un navire à propulsion électrique. « Mais, le buffer est surtout intéressant pendant les opérations de transfert de GNL depuis le navire de soutage vers le navire client », ajoute Arthur Barret. La possibilité d’une montée en pression jusqu’à 2 barg facilite l’opération et donne davantage de temps pour gérer le BOG. D’autre part, cela permet éventuellement de transférer du GNL à des températures plus élevées, ce qui offre au client final un choix plus large d’approvisionnement, certains fournisseurs n’étant pas en mesure de garantir un GNL très froid (entre -163 et -158 °C). Toutefois, il faut rappeler que plus le GNL est froid, plus il est dense, moins il prend de volume dans les cuves, plus le chargement et la quantité d’énergie stockée sont élevés. À l’inverse, quand le GNL se réchauffe, sa densité diminue augmentant le volume pris dans la cuve, la quantité d’énergie stockée dans la cuve est alors moindre. La limite maximale de remplissage dépend ainsi de la pression de tarage des soupapes de sûreté compte tenu de la relation entre la température du GNL et sa pression de vapeur saturante. « Plus la pression maximale dans la cuve est élevée (pression de tarage des soupapes de sûreté), moins la cuve pourra être remplie pour tenir compte de l’expansion possible du GNL (baisse de sa densité) sous l’effet de son réchauffement correspondant à cette pression plus élevée », précise Arthur Barret. Ainsi, une cuve tarée à 0,7 barg pourra être remplie à 98 %, limite absolue de remplissage des cuves GNL dans le code IGC. Elle ne pourra être remplie qu’à 95 % si elle est tarée à 2 barg avec du GNL à -161 °C lors du remplissage. « Il en résulte que plus la pression de tarage est élevée, plus l’énergie stockable est réduite, ce qui réduit d’autant la distance parcourable. »
Une nouvelle utilisation des cuves à membrane
« L’achat de GNL carburant suppose un changement de raisonnement pour les armateurs, relève Arthur Barret. Le GNL est une énergie et s’achète en fonction de son pouvoir calorifique exprimé en BTU, par exemple, et non pas en masse exprimée en tonnes comme le fuel lourd ou le MDO ». Au final, pour GTT, travailler avec les sociétés de classification permet d’avancer sur le contenu des codes de l’OMI grâce aux régimes dérogatoires prévus par ces textes. « Et nous parvenons à démontrer que les niveaux de sécurité atteints sont équivalents à ceux définis dans le nouveau code IGC et le code IGF, conclut Arthur Barret. Cela permet de valider cette nouvelle utilisation des cuves membrane grâce aux méthodologies Alternative Design ou Limit State Design décrites dans ces codes permettant d’adopter un régime dérogatoire. »
Les solutions pour gérer l’excédent de Boil Off Gas
Le Boil Off Gas (BOG) signifie évaporation de gaz et constitue un phénomène naturel. Il se produit quand le GNL, même très bien isolé dans une cuve, un équipement ou une installation, se trouve exposé à une source de chaleur. Une partie du GNL – gaz sous forme liquide à -161 °C à la pression atmosphérique – redevient alors gazeux. La pression monte dans la cuve et l’excès de gaz doit être évacué. C’est la gestion du BOG. Selon les normes de l’OMI, le BOG doit être évacué une fois que la pression atteint 0,7 barg pour des raisons de sécurité au niveau de la structure du navire, c’est-à-dire pour assurer la protection contre la surpression de la cuve. C’est le rôle des soupapes de sûreté qui s’ouvre à la pression de tarage de 0,7 barg et libère alors la surpression de gaz à l’atmosphère. « Tout l’enjeu consiste à gérer intelligemment la pression dans la cuve avant d’atteindre cette pression limite », précise Arthur Barret. Le travail de GTT a consisté à montrer que pour les petits méthaniers, navires de soutage GNL ou pour les cuves de GNL carburant installées dans les navires fonctionnant au gaz, cette limite pouvait être augmentée moyennant un échantillonnage adapté n’induisant pas un surpoids et un surcoût excessif. Ainsi l’évacuation de l’excédent de BOG s’effectuera à une surpression de 2 barg, par exemple par les soupapes de sûreté, au lieu de 0,7 barg, ce qui procure à l’équipage une marge plus confortable et donc une plus grande flexibilité opérationnelle. Plusieurs solutions existent pour gérer l’excédent de BOG.
– Il est utilisé pour les besoins énergétiques du navire: propulsion, production d’électricité ou de vapeur, etc.
– Il peut être réchauffé en sortie de cuve, compressé et stocké dans des bouteilles à haute pression (CNG) pour être utilisé ultérieurement via un détendeur quand le besoin est là.
– Il est aussi possible de reliquéfier l’excédent de BOG via des machines dédiées. Cela consiste à faire circuler l’excédent de BOG dans un échangeur fonctionnant avec un fluide réfrigérant. Sous l’effet du refroidissement, le BOG se reliquéfie et retourne dans la cuve.
– Une autre solution consiste à sous-refroidir le GNL par circulation à l’extérieur de la cuve dans un réfrigérant du même type que celui utilisé pour la reliquéfaction ou par la disposition d’un réfrigérant immergé à l’intérieur de la cuve. Cette méthode permet d’éviter la formation de BOG.
– Dans certains cas, notamment si le navire fonctionne avec une propulsion électrique en particulier avec un réseau en courant continu au lieu d’un courant alternatif, il est possible d’utiliser l’excédent de BOG pour produire davantage d’électricité que le besoin immédiat et stocker l’excédent dans des batteries pour un usage ultérieur.
– Il est possible de brûler l’excédent de BOG dans une chaudière pour produire de la vapeur et recondenser l’excédent de vapeur (steam dumping). C’est une pratique utilisée sur les méthaniers à propulsion vapeur mais qui revient à gaspiller l’énergie contenue dans l’excédent de BOG. Il s’agit d’une mesure de sécurité permettant d’éviter de relâcher du méthane dans l’atmosphère via les soupapes de sûreté.
– Il est possible de brûler l’excédent de BOG dans une Gas Combustion Unit (GCU) pour les navires ne disposant pas de chaudière. C’est le cas des méthaniers à propulsion électrique ou utilisant des moteurs 2 temps dual fuel désormais. Il s’agit là aussi d’une perte d’énergie.
– Le stockage temporaire dans le ciel gazeux par montée en pression peut être une solution temporaire très efficace car n’engendrant aucune perte. Dans ce cas, la possibilité de monter en pression au-delà de 0,7 barg est appréciable. Cette pratique associée au « spraying » (circulation d’une petite quantité de GNL par une pompe dédiée qui refoule vers une rampe de sprayers fixée sous le plafond de cuve) permet une montée très lente en pression et donc un délai accru avant d’atteindre la pression de tarage des soupapes.
Au final, disposer d’un buffer avec la possibilité de voir la pression monter jusqu’à 2 barg au lieu de 0,7 barg sans conséquence sur la structure du navire ou de la cuve fournit donc une souplesse dans la gestion du BOG lors des opérations de chargement ou de soutage.