Un vieux morceau de tissu sale et déchiré accroché à un hublot, une chaise posée sur un pont et le bruit des vagues à quelques mètres. Ce sont ces choses qui rattachent encore le Costa-Concordia au présent. Pour le reste, tout a disparu. Il ne reste plus rien de ses magnifiques salons, des grandes baies vitrées et des espaces luxueux où les passagers pouvaient se délasser entre deux escales. Sur les murs, des petits morceaux d’algues se sont incrustés comme pour montrer que la mer a pris possession des lieux. Et près de quatre ans après le terrible naufrage qui a coûté la vie à 32 personnes, le géant de la mer ressemble à ces vieilles épaves rouillées que l’on voit dans les documentaires et les films américains, et qui grincent au gré du vent. L’odeur de la mort rode encore tout autour de la carcasse du paquebot, l’atmosphère est lugubre.
Dernier tour de piste
Coincé entre deux navires flamboyants grâce à leur séjour dans les chantiers de réparation, l’ancien joyau de la mer a une piètre allure et ne réussit pas à se fondre dans le paysage. Si tout se passe bien, si la feuille de route dressée par l’entreprise de démolition Ship Recycling est respectée, le paquebot sera réduit à un tout petit tas de ferraille avant Noël 2016. Le hasard fait drôlement les choses, car c’est à Gênes que le navire est né… et qu’il est mort.
Deux ans après le naufrage, le paquebot avait fait son dernier tour de piste. Accompagné par les sirènes des bateaux des pêcheurs de l’île en signe d’hommage, encadré par les vedettes des gardes-côtes et tiré par quatre remorqueurs, le Costa-Concordia avait fait une entrée triomphale dans le port de Gênes. C’était un 26 juillet et le port se préparait depuis des mois à cet événement. Il faut dire que démolir un tel navire représentait un sacré défi économique. Avec ses 290 m de long, 35,5 m de large, 70 m de haut et 8,2 m de tirant d’eau, le géant venu mourir à quelques kilomètres à peine des chantiers où il avait été construit neuf ans plus tôt pouvait rapporter gros. Pour preuve, la lutte entre les ports italiens et turcs, entre autres, pour remporter l’appel d’offres lancé en 2013 pour la démolition du monstre. Pour Gênes, le démontage du Costa-Concordia devait se traduire par de magnifiques retombées. Notamment au niveau de l’emploi. L’opération de démolition, toutes phases comprises, devant durer deux ans, cela voulait dire du travail pour plusieurs centaines de personnes, 700 au total selon les estimations dressées au tout début du projet de démantèlement. Avant l’arrivée du paquebot, la presse locale avait fait état des queues formées par des ouvriers spécialisés ou non, jeunes et moins jeunes, armés de leur curriculum vitae devant l’agence pour l’emploi. La ville, dévorée par la crise qui frappe la péninsule de plein fouet, espérait aussi que l’arrivée du Costa-Concordia aurait attiré plus de visiteurs. Et par conséquent, favorisé le tourisme, les affaires, en un mot le circuit économique local. Pour l’heure, il est encore trop tôt pour dresser un bilan. Mieux vaut attendre la disparition totale du Costa-Concordia pour brosser un portrait réel des retombées définitives.
Bilan des opérations
Depuis l’arrivée du paquebot dans le port de Gênes, un an et demi a quasiment passé. C’est à la fois beaucoup et peu au vu de l’ampleur de l’ouvrage auquel s’est attelée la société Ship Recycling. En regardant l’épave aujourd’hui, on voit que la hauteur du bâtiment a sacrément baissé. Normal, six ponts ont déjà été découpés. Et puis le paquebot a été totalement vidé depuis son arrivée dans le port génois. Pour diminuer le tirant d’eau, quelque 5 700 t de matériel ont été évacuées. Les meubles, les décorations, tout est passé à la casse. « Tout était en piteux état après deux ans les pieds dans l’eau », lâche un membre de Ship Recycling. Aujourd’hui, il reste encore quelques valises, quelques traces des anciennes vies à bord, au fond du navire. Mais rien ne pourra être récupéré, tout est pourri, abîmé par l’eau de mer.
À un an du jour J, c’est-à-dire la fin des travaux de démontage, les démolisseurs brossent un bilan partiel des opérations. Deux cents personnes sont à pied d’œuvre sur l’épave et d’autres recrutements sont prévus à cour terme. La plupart de ces personnes resteront d’ailleurs inscrites dans le carnet d’adresses de Ship Recycling qui a formé une partie de la masse salariale pour démolir le paquebot. Quelque 80 entreprises dont 75 de nationalité italienne sont impliquées dans cette opération dont le coût est estimé à quelque 80 M€.
Des prévisions respectées
En l’état actuel, les prévisions sont respectées à la lettre: 5 700 t d’acier ont déjà été évacuées, six ponts démolis et un des caissons métalliques servant de ballasts lors de la remise à flot et du remorquage du paquebot, ôté. D’ici la mi-décembre, le caisson placé à tribord sera également démonté. Les prochaines étapes prévoient le démontage des ponts restant, le découpage des structures externes et la pose de plaques de scellement sur le pont 0 pour garantir un système de flottabilité parfait lorsque tous les caissons métalliques auront été retirés. C’est à ce moment-là d’ailleurs que l’épave sera déplacée au sec pour le découpage final. « Nous ne sommes pas pressés, ce que nous avons toujours dit, d’ailleurs. Notre objectif est de faire un bon travail, et de garantir des conditions de sécurité totale aux travailleurs mais aussi au niveau de l’environnement », explique l’ingénieur Ferdinando Garrè, administrateur délégué de Ship Recycling. Cela se comprend, l’opération Costa-Concordia, qui constitue un ballon d’essai, devant être utilisée comme carte de visite par Ship Recycling. L’idée est de profiter des lois européennes sur la démolition des navires pour élargir le portefeuille clientèle une fois que le Costa-Concordia aura été réduit en poussière. « Nous avons déjà été contactés par des clients potentiels », confie Ferdinando Garrè. Des clients potentiels qui ont peut-être déjà signé des contrats juteux. Mais cela ne se dit pas.