À l’heure de la COP21, nul ne peut ignorer les enjeux liés à la réduction de l’empreinte carbone des acheminements terrestres. Une prise de conscience devenue globale, y compris chez les transporteurs routiers, pourtant souvent pointés du doigt. Comme l’indique Marc Grolleau, le président de l’Aftri (Association française du transport routier international): « Il faudrait vraiment avoir un tout petit esprit pour ignorer ces problématiques. »
Naturellement, le report vers les voies d’eau semble pouvoir constituer, au moins partiellement, une réponse adaptée. C’est ce que rappelait au mois de mars Iliana Ivanova, membre de la Cour des comptes européenne à l’origine d’un rapport sur le sujet: « Un seul cargo peut remplacer des centaines de camions et ainsi permettre de réduire les embouteillages, la pollution et les accidents de la route dans toute l’Union européenne (UE). La diminution de la part modale du transport routier au profit du transport fluvial peut être bénéfique pour l’ensemble des citoyens de l’UE. » Voilà pour le vœu pieux. Et de rajouter: « Cependant, plus de 10 ans après avoir été déclaré prioritaire par l’UE, le développement de ce mode de transport accuse un retard par rapport au transport par la route et par le rail. » Voilà pour la réalité.
Avec 14,1 Mt transbordées par barges à partir des quatre ports hexagonaux desservis, VNF évoque l’augmentation des volumes de 50 %. Un chiffre d’envergure, s’il n’avait fallu attendre 15 ans (de 2000 à 2014) pour y parvenir… Pourtant, comme le rappelle à juste titre VNF, en permettant une bonne pénétration de l’hinterland, les pré et post-acheminements par voies d’eau offrent un avantage concurrentiel aux ports maritimes.
Les raisons du retard français
Guillaume Dury, directeur du développement chez VNF, évoque des raisons historiques pour expliquer les différences de développement du fluvial entre les ports du Nord et leurs homologues français. « Du fait de leur encombrement, les ports de Rotterdam ou d’Anvers ne considèrent pas la massification des post-acheminements comme une option. Malheureusement, nous n’avons pas en France de terminaux maritimes suffisamment encombrés pour que les ports mettent en œuvre une politique très volontariste de post-acheminements massifiés vers les territoires. » Pour le responsable VNF, cette situation est d’autant plus dommageable que les voies fluviales peuvent absorber des niveaux de croissance conséquents.
Le deuxième frein au développement du fluvial est structurel. Écluses inadaptées, ponts de hauteur insuffisante et cours d’eau trop étroits sont identifiés par Iliana Ivanova comme autant de goulets d’étranglement. Malgré les 1 278 M€ de financement accordés par l’UE entre 2007 et 2013 au titre du RTE-T (Réseau transeuropéen de transport), la commissaire constate que ces points noirs persistent et reconnaît la nécessité de recourir à des financements nationaux, publics ou privés, pour résorber ces goulets.
Gilbert Bredel, président de Contargo Nord France, approuve cette analyse en évoquant certains ponts du Nord dont la hauteur interdit de charger plus de deux hauteurs de conteneurs sur les barges. Parfaitement conscient et sensibilisé à la perte de productivité que cela implique, VNF rappelle que les coûts pour arriver à trois hauteurs de conteneurs sont très conséquents. « Ce n’est pas un projet identifié à l’heure actuelle comme prioritaire dans les CPER (Contrat de plan État-Région). L’ordre de grandeur est du milliard d’euros », indique Guillaume Dury.
Un autre problème structurel, parfois vivement critiqué, concerne la difficulté d’accès des barges aux quais de Port 2000 (voir entretien page 16). Les chiffres donnent raison aux opérateurs. Alors qu’entre 2000 et 2014, le trafic fluvial a progressé de 112 % à Dunkerque, de 69 % à Rouen et de 47 % à Marseille, il n’évolue que de 7,5 % au Havre. Ce port est d’ailleurs le seul à enregistrer un recul de ses volumes entre 2010 et 2014 (4,8 t contre 4,3 t). Pour mettre un peu d’huile dans les rouages, un projet de chatière est à l’étude. Dans l’attente, seules quelques rares – et coûteuses – unités fluviales peuvent accéder aux quais de Port 2000.
La voie du Nord
Ultime sujet de mécontentement, et non des moindres, la surfacturation des frais de manutention à laquelle sont uniquement soumis les opérateurs fluviaux. Une exception française d’autant plus difficile à digérer que l’aide au coup de pince de 35 M€ accordée par l’État sera supprimée à la fin de l’année comptable 2016. Aujourd’hui, la manutention d’un conteneur est facturée une soixantaine d’euros au fluvial contre 14 € dans les années 1990, se souvient Philip Maugé. Le responsable Scat ne décolère pas: « Le tarif c’est 65 €, mais il y a de surcroît plein de petits astérisques: ce n’est pas pendant les périodes de nuit, ce n’est pas moins de 50 mouvements, ce n’est pas le week-end et ainsi de suite. Et le fluvial serait, parait-il, ce qui permet d’améliorer la performance environnementale. » Une asymétrie de traitement que déplore également Guillaume Dury qui rappelle que dans les ports du Nord, ces frais sont mutualisés entre les trois modes. Gilbert Bredel renchérit: « Si d’un côté vous surfacturez 60 € par conteneur au fluvial et que de l’autre vous lui en retirez 20 avec la disparition de l’aide au coup de pince, vous avez un gap de 80 €. Avec des prix de marché de l’ordre de 450 € ou 500 € sur la région parisienne, c’est simplement impossible. Si les opérateurs combinés fluviaux faisaient 80 € de marge par conteneur, je serais en vacances aux Maldives. » Petite lueur d’espoir tout de même avec l’expérimentation, actuellement en cours à Dunkerque, qui a précisément opté pour la mutualisation de ces coûts. VNF, qui « soutient très fortement cette initiative, espère qu’elle s’étendra aux ports de Marseille et du Havre afin de diminuer le coût de passage portuaire qui constitue un élément de compétitivité essentiel de la chaîne fluviale ». Si sa perte de compétitivité devait se confirmer, cela se traduirait par une montée en puissance du routier qui représente déjà 80 % à 85 % des acheminements hexagonaux (contre 50 % à 60 % à Anvers et Rotterdam). Gilbert Bredel redoute alors de réels problèmes d’encombrement sur les voies d’accès au port. Peut-être faudra-t-il en arriver là pour que les ports français, à l’instar de ceux de Rotterdam et d’Anvers, incluent dans leur convention de terminal un pourcentage de mode d’acheminement massifié. Pour Philip Maugé, l’avenir des ports français, sur la partie conteneur, est lié à cette problématique: « Nous avons grosso modo une année pour gérer cela, sinon, fin 2016, il va falloir qu’on fasse autre chose avec nos bateaux. »