Journal de la marine marchande (JMM): diriez-vous qu’il existe des goulets d’étranglement dans les ports maritimes français qui nuisent au développement du fluvial?
Philip Maugé (P.M.): Parler de goulets d’étranglements est un doux euphémisme. Au Havre, c’est une problématique très sensible avec laquelle nous devons composer pour tenter de survivre.
JMM: quels soucis rencontrez-vous?
P.M.: Quand Le Havre a souhaité se développer avec Port 2000, les opérateurs fluviaux n’ont pas eu d’écluse. Comme il fallait bien trouver une solution pour y accéder, Le Havre s’est mis en tête de faire un chantier multimodal, solution à laquelle les opérateurs ont adhéré mollement. Passer par un site de transbordement ne devait être qu’un pis-aller ou un plan B, pas une solution de premier plan.
JMM: en tant qu’opérateur fluvial, avez-vous été consulté sur le sujet?
P.M.: Oui bien sûr, mais on sentait bien que le sujet dépassait largement le cadre de la simple logistique et du transport combiné. Le port avait une réelle volonté de se développer et, ce faisant, de résoudre un certain nombre de questions liées à son organisation ferroviaire. L’idée qu’il fallait une desserte directe de Port 2000 pour les unités fluviales ne leur a pas sauté à l’esprit, ce qui était déjà un souci. On a évoqué des problèmes financiers, ce qui peut s’entendre. Ce qui s’entend moins, c’est qu’aucun passage n’ait été réservé pour permettre, dans le futur, quand les finances le permettraient, cet accès direct pour les unités fluviales. C’est pourtant ce que font tous les autres ports maritimes du Nord.
JMM: comment faites-vous pour accéder à port 2000 dans ces conditions?
P.M.: Nous avons deux unités fluviales spécifiques qui peuvent y aller moyennant du personnel supplémentaire à bord, un pilote ou un marinier titulaire de la licence de pilote. Il s’agit de bateaux récents avec des autorisations spéciales, renouvelées tous les deux ans et demi avec des visites intermédiaires chaque année. Et comme nous n’avons pas de quai dédié, nous sommes en conflit d’emplacement avec les navires de mer. Je vous laisse imaginer, entre un navire de mer et une barge fluviale, lequel des deux gagne, même si nous avons un RDV.
JMM: diriez-vous aujourd’hui que les procédures administratives et documentaires constituent également un goulet d’étranglement?
P.M.: Oui, même si on va dire que je polémique. Aujourd’hui, par exemple, j’ai un bateau monté en cale sèche. En septembre, il a reçu la visite de Veritas qui a fait plusieurs recommandations, a donné un avis technique sur le bateau et a rédigé un rapport d’une cinquantaine de pages. Le service instructeur de l’État, dont le rôle consiste à mettre un coup de tampon pour délivrer l’autorisation, impose un délai de plusieurs mois. Les affaires maritimes ont également leur mot à dire puisqu’il faut passer par la mer pour rejoindre Port 2000. En attendant le renouvellement de notre titre de navigation, nous avons une autorisation temporaire, valable jusqu’en février.
JMM: vous dressez un tableau assez sombre. ça ne présage rien de bon quant à l’avenir du fluvial sur le havre.
P.M.: Pour vous donner une idée, j’avais sept unités qui travaillaient en fluvial porte-conteneurs l’année dernière. Cette année, j’en ai trois et demie. Ça parle de soi. Il nous reste malgré tout une chance de nous en sortir. Pour cela, nous devons tous nous mettre autour de la table et y rester jusqu’à ce que nous trouvions une solution. Ce n’est pas la pierre philosophale que nous cherchons, mais c’est malgré tout un sujet compliqué. Nous devons le faire maintenant. Dans deux ans, ce sera trop tard. D’autant qu’il y a eu des annonces sur Seine Nord, la future liaison grand gabarit entre la région parisienne et le nord de l’Europe. Ça confirme que si on n’est pas prêt à temps, nos petits copains, eux, le seront.