Journal de la marine marchande (JMM): alors que tout le monde vante les vertus écologiques des acheminements par voie fluviale, les opérateurs tirent la sonnette d’alarme. Partagez-vous leur analyse?
Gilbert Bredel (G.B.): Oui, parce qu’il ne faut pas confondre discours et réalité. C’est vrai qu’on a un beau discours environnemental, et, en parallèle, la suppression de l’écotaxe par le même ministère. Maintenir de la rentabilité sur le fluvial devient compliqué. Comme Contargo travaille beaucoup sur les pays du Nord, nous ne sommes pas les plus à plaindre. D’autant que la Belgique appliquera une écotaxe au mois de mai, ce qui devrait renchérir un peu le coût de la route et nous préserver de la compétitivité.
JMM: est-ce la raison pour laquelle vous travaillez peu en france?
G.B.: Nous travaillons un peu sur Dunkerque. C’est le port sur lequel ça se passe plutôt bien. Nous sommes bien traités sur les terminaux et nous pouvons accéder directement aux quais avec nos barges. Nous n’intervenons pas au Havre avec les problèmes d’accès à Port 2000 et le grand flop de la plate-forme prétendument multimodale dans laquelle ils ont investi 130 M€ à 140 M€. C’est une gigantesque bêtise. Ça ne fait que rajouter des coûts au ferroviaire et au fluvial, dont on sait déjà que ce sont des modes de transport d’une compétitivité compliquée mais dont on veut développer les parts de marché pour des questions environnementales, et pour éviter des problèmes de congestion portuaire.
Quant au port de Marseille-Fos, les accès sont plutôt faciles mais nous avons ce problème de surfacturation des frais de manutention qui ne sont supportés que par le fluvial et non par le ferroviaire ou le routier. Ce qui fait que nous partons avec un handicap de 50 € à 60 € par conteneur alors que nous n’avons même pas encore commencé à charger.
JMM: identifiez-vous d’autres goulets d’étranglement qui nuisent au développement du fluvial?
G.B.: Le principal goulet d’étranglement est politique. Ce n’est ni un problème d’infrastructure, ni de boulons, de portiques, de conteneurs ou de bateaux, c’est simplement une décision politique qui va à contre-courant. Il faudrait simplement prendre la décision de mettre le fluvial au même niveau que le routier. Mais non. On déclare qu’on veut faire du transport combiné pour des causes environnementales, et dans le même temps le fluvial coûte plus cher, on arrête les aides au transport combiné (la fameuse aide au coup de pince) et on ne taxe pas les poids lourds. Bref, ils font l’exact contraire de ce qu’ils disent. Mais ce n’est pas nouveau…
JMM: il n’y a donc aucun réel problème d’infrastructure qui mériterait d’être réglé pour lutter contre les goulets d’étranglement?
G.B.: Les problèmes d’infrastructure que nous avons concernent les hauteurs de pont dans le Nord-Pas-de-Calais qui interdisent de charger les barges au-delà de deux couches. À certains endroits, il pourrait être intéressant de relever les ponts de quelques mètres, permettant d’augmenter les capacités des bateaux de 50 %, ce qui représente un gain de compétitivité de l’ordre de 25 %. Mais dès qu’il s’agit d’investir 1 € dans le Nord-Pas-de-Calais, Le Havre monte sur ses grands chevaux. Ils feraient bien mieux de s’occuper de leur propre compétitivité. Quand je vois les trafics de région parisienne qui partent du Havre pour aller à Dunkerque et redescendre à Paris, à leur place, je m’inquiéterais.