C’est avec émotion que l’ensemble des équipes de la rédaction, de la fabrication, du commercial – et toutes les personnes qui œuvrent pour que Le Journal de la Marine Marchande (JMM) soit sur votre bureau tous les vendredis matin – vous présente sa 5 000e édition. L’occasion pour nous de regarder vers le passé mais aussi de commencer à prévoir les prochaines années.
C’est le 10 avril 1919 que le numéro 1 du Journal de la Marine Marchande est paru sous la plume de son rédacteur en chef et créateur, René Moreux (voir encadré). Hasard du calendrier ou volonté du fondateur de la revue, le numéro 1 du JMM paraît sept ans moins deux jours après le naufrage du Titanic.
De la voile à la vapeur
À l’époque, les conditions sont difficiles. La France et plus généralement l’Europe sortent d’une guerre qui a décimé les populations et toutes les infrastructures. Dès les premiers numéros, l’actualité maritime et portuaire vient noircir les pages. Il s’agit d’abord de régler les questions liées au traité de Versailles et à la répartition de la flotte militaire et de commerce allemande. C’est aussi à l’époque le basculement des navires à voile vers les navires à vapeur. Très rapidement, le JMM va prendre le cap pour suivre attentivement les évolutions technologiques. Au cours de ces 96 années, l’évolution de la marine marchande n’aura de cesse de se tourner vers le gigantisme.
En cette année 1919, dès les premiers numéros, les questions sociales à bord des navires prennent déjà toute leur importance. L’application de la journée de huit heures dans la marine marchande pose de nombreux problèmes. Et pour ne citer qu’un extrait du JMM, les armateurs français s’interrogent sur la façon dont ils vont devoir réorganiser leurs navires. Avec deux « bordées » par navire auparavant, la journée de huit heures va obliger les armateurs à prévoir une troisième bordée, soit des espaces supplémentaires pour la vie à bord, « et ce au détriment de l’espace pour les cargaisons qui vont se réduire ». Et déjà les prémices de navires plus grand se font jour.
L’année 1919 sera le départ d’une grande aventure. Au cours des années suivantes, la France va connaître des bouleversements politiques et économiques. Dès le début, la présence du JMM s’affirme dans l’ensemble des ports appartenant à la France. Plusieurs correspondants locaux œuvrent pour une information de la réalité économique et politique locale. Le journal se divise en une partie sur la vie maritime et une partie sur la vie des ports. Les ports de métropole sont traités, mais une rubrique intitulée « De nos colonies » s’intéresse aussi aux ports français de l’étranger. L’international n’est pas oublié et les journalistes parlent de ports en développement comme Rotterdam et Anvers.
Des crises graves
Au cours de ces années, il faudra faire face à des crises graves. D’abord la crise de 1929, puis la Seconde Guerre mondiale. Le JMM continuera de servir l’information. Au sortir de la guerre, le premier ministre britannique Winston Churchill remettra la Victoria Cross au JMM pour les informations importantes qu’il aura donné au cours du conflit sur les ports du monde. Après viendront les guerres d’indépendance dans les colonies. L’Indochine et l’Algérie étant les plus marquantes. L’accession à l’indépendance des pays africains et asiatiques a été suivie de près par la rédaction du JMM. La crise du canal de Suez, le développement des ports français et des ports de la planète, la course au gigantisme des navires, l’arrivée de la conteneurisation, des méthaniers, les premiers navires à propulsion nucléaire en Norvège, le développement de la route arctique, autant de sujets qui ont donné lieu à des articles et études approfondies. Ces années ont été aussi le théâtre de mouvements sociaux comme les grèves de la victoire en 1936, Mai 68, et surtout les mouvements dans les ports et la marine marchande française.
En 1907, la flotte française se situait au cinquième rang mondial avec 2 285 728 t brutes. Pendant la guerre elle a perdu 920 000 t brutes, mais elle demeure dans les premiers rangs mondiaux. Le JMM retranscrit la réalité maritime économique. Le maritime, le fluvial et le ferroviaire dominent les trafics. La route n’est qu’un épiphénomène quand l’aérien devient une nouvelle source de concurrence aux paquebots transatlantiques. C’est ainsi que le JMM prendra le nom de Journal de la marine marchande et de la navigation aérienne.
Les conditions ont bien changé
Aujourd’hui, les conditions ont bien changé. Quatre-vingt-seize ans plus tard, le secrétaire d’État à la Marine Marchande a disparu pour laisser sa place à un des portefeuilles du secrétaire d’État du ministère de l’Écologie et du Développement durable. La flotte française s’est désagrégée et ne représente aujourd’hui que 211 navires et se situe dans le dernier tiers du classement mondial. Hier ports majeurs, Marseille, Le Havre, Dieppe ou Dunkerque se battent face à des concurrents dont les investissements n’ont jamais été remis en cause. Dans les classements des premiers ports mondiaux, celui de New York n’est plus dans les dix premiers, laissant la place aux ports chinois.
Le monde a basculé en adoptant la conteneurisation, abandonnant peu à peu le conventionnel. La route est venue dévorer les parts de marché du ferroviaire et du fluvial.
Ces mutations portuaires et maritimes, les équipes de la rédaction les ont suivies avec l’objectivité qui caractérise la profession de journalistes. Si ce numéro 5000 est une étape importante dans la vie d’un journal hebdomadaire, puisqu’il représente plus de 96 années d’information maritime, il est aussi la première marche d’un décompte que nous souhaitons mener avec vous: celui qui nous mènera au centenaire du Journal de la Marine Marchande. Le numéro 5183 devrait être celui du 12 avril 2019, soit 100 ans et deux jours après notre centenaire.
De René Moreux à Wolters Kluwer France
René Moreux, le créateur et premier rédacteur en chef du Journal de la Marine Marchande, sera aussi un homme qui pèsera dans la politique maritime française. Il interviendra à plusieurs niveaux aux côtés des ministres en charge de la Marine marchande entre les deux guerres. René Moreux prendra des positions parfois ambiguës à l’égard du pouvoir ou de certains événements, mais restera une figure du monde maritime. Il portera haut le JMM et permettra à notre revue de se placer parmi les grands journaux dès son démarrage. Outre ses fonctions de rédacteur en chef, René Moreux sera membre de l’Assemblée de l’Union de France au parti des Mouvements des Républicains Populaires, une formation politique qui mène « une politique de gauche avec des voix de droite, tout en siégeant au centre », précisera un de ses dirigeants, Georges Bidault.
René Moreux a joué un rôle jusqu’en 1956, quand il passera le relais à son fils Christian Moreux. En 1984, le JMM sera cédé à son imprimeur, Serge Marpaux, avant de rejoindre les rangs de Wolters Kluwer France en 2000.