Le concept d’économie circulaire a été médiatisé dès le Grenelle de l’environnement, en 2007, pour progressivement percer dans le paysage scientifique et politique du pays. Dans une note stratégique et prospective « Économie circulaire et stratégies portuaires », Nicolas Mat (de l’institut des Mines et Télécom d’Alès) et Juliette Cerceau (de Pacte) avec le soutien de la Fondation Sefacil soulignent « l’absence d’une définition unique, partagée et consolidée du concept, qui est en passe de devenir une expression générique désignant un concept économique en faveur du développement durable, s’appuyant principalement sur les notions complémentaires d’écoconception, d’économie de la fonctionnalité et d’écologie industrielle, mais sans remise en cause profonde du modèle économique dominant ». Sans définition précise de l’économie circulaire, il ressort que cette notion tend vers un objectif, celui de préserver les ressources naturelles et de tendre vers un système économique sobre en carbone et réduisant les énergies non renouvelables. Aujourd’hui, la notion d’économie circulaire se retranscrit au travers de politiques nationales. L’écologie industrielle est pour sa part perçue au travers d’une dimension plus locale. Elle « cherche à optimiser, dans une logique de proximité, le management local des ressources et de déchets en densifiant les interactions entre parties prenantes occupant une même aire géographique ou fonctionnelle ».
Les espaces portuaires, selon les auteurs de la note stratégique et prospective, sont devenus des initiateurs en matière d’économie circulaire et d’écologie industrielle.
De nombreux défis à relever
Il reste que de nombreux défis doivent être relevés pour asseoir de façon plus pérenne les ports dans le concept d’économie circulaire. Le premier défi, selon les deux auteurs de la note, est de positionner le port comme territoire stratégique pour la mise en œuvre de cette économie. Les ports, selon Nicolas Mat et Juliette Cerceau, demeurent les principales places d’importation et de transformation des énergies fossiles. « Les espaces portuaires se confrontent aux grands enjeux de la mutation industrielle, et notamment celui de l’adaptation aux enjeux de réduction des émissions de gaz à effets de serre et des flux d’hydrocarbures traités ainsi que de diversification du bouquet énergétique. » Alors que les ports ont favorisé le développement économique basé sur le « tout pétrole », les mutations économiques les obligent à rechercher de nouveaux modèles économiques basés sur le « bas carbone ». « Ils apparaissent propices à la mise en œuvre de symbioses industrielles, sous la forme d’un maillage complexe, dense, et varié d’échanges de flux, d’utilités et de services. » Les ports s’inscrivent dans un contexte internationalisé et recherchent avec l’économie circulaire une façon de se différencier en proposant des services complémentaires allant au-delà de leurs prestations plus classiques dans une optique de développement de filières économiques intégrées. Les ports peuvent aussi apparaître comme une réponse aux déséquilibres des zones qui émettent et d’autres qui sont en déficit. Mais, soulignent les auteurs de la note, l’économie circulaire peut aussi être une menace pour les ports. Dès lors que le concept est poussé à son extrême, « cela pourrait se traduire à long terme par une remise en cause des échanges internationaux de certains produits échangés en vrac ». Et les auteurs en concluent qu’il faut appréhender les espaces industrialo-portuaires comme des leviers d’innovation entre économie circulaire globale et écologie industrielle locale. Pour cela, ils proposent de considérer les ports comme des « zones d’expérimentation des symbioses industrielles », « des leviers pour la mise en œuvre de politiques innovantes et durables à une échelle allant au-delà de la simple circonscription portuiare », et des « nœuds d’un réseau international qui peuvent développer des échanges de sous-produits et d’utilités entre places portuaires ».
Le second défi à relever doit définir les périmètres d’analyse et d’actions du territoire portuaire. Trois grandes tendances se distinguent dans le périmètre de l’espace portuaire, selon les auteurs: d’abord, cela peut se matérialiser sous la forme d’un éco-site, à savoir un complexe unifié, intégré et optimisé par la mise en synergie ou la mutualisation d’équipements (une circonscription portuaire ou un terminal), un aménagement dessiné où les activités économiques et les infrastructures sont choisies pour apporter une réponse à la faisabilité technique (valorisation thermique de la chaleur issue de l’incinération des résidus). En second lieu, il peut s’agir d’un éco-territoire comme par exemple un espace géographique déterminé comme une baie, une ville portuaire. Il peut aussi s’agir du développement d’innovation technologiques pour optimiser les flux, ou enfin une meilleure organisation fonctionnelle de la gestion des flux. Enfin, le troisième type de périmètre s’applique à l’éco-réseau. Cela correspondrait à un espace portuaire, une région ou un pays considéré comme un tout pour formaliser un réseau interportuaire ou une spécialisation fonctionnelle de l’activité industrialo-portuaire autour d’infrastructures permettant d’interconnecter des ports, comme par exemple la construction navale sur plusieurs sites couplée avec d’autres activités comme la déconstruction navale.
Le troisième défi vise à reconsidérer la fonction du port dans la circulation des ressources. Dans leur analyse à la lumière de la réforme portuaire de 2008, les deux auteurs de la note de synthèse considèrent que l’espace portuaire est destiné à muter depuis un modèle économique basé sur l’importation, la transformation et le stockage de pétrole brut vers de nouvelles sources de financement. « L’économie circulaire et l’écologie industrielle pourraient alors constituer de nouveaux revenus, à travers l’implantation de nouvelles activités industrielles. » Une évolution qui aurait des impacts sur le chiffre d’affaires des ports. Il faudrait alors voir la compétitivité des ports non plus sur les échanges internationaux mais également sur la densification des échanges locaux.
La dynamique française est en marche
Le dernier défi à relever, selon les auteurs de cette note, porte sur l’articulation des initiatives régaliennes et spontanées et la structuration d’une communauté portuaire de l’économie circulaire. Quelle que soit son origine, autorité portuaire, industriels, collectivités locales, la dynamique française est en marche. « Il apparaît complémentaire à l’échelle nationale de structurer une véritable politique en matière d’économie circulaire déclinée à l’échelle législative et réglementaire, fiscale et économique, ainsi que territoriale, susceptible de valoriser et pérenniser ces démarches spontanées », note les auteurs. Parce que l’économie circulaire est à l’interface entre la stratégie industrielle et l’évolution des territoires. Et là, les ports ont un rôle à jouer pour la mise en œuvre de cette économie. Derrière cette volonté politique se retrouve une communauté d’acteurs portuaires engagés dans cette économie.
Fort des constats tirés et des défis à relever, Nicolas Mat et Juliette Cerceau exposent trois propositions stratégiques. La première vise à mettre le territoire portuaire au service d’un projet métropolitain adoptant une vision d’économie circulaire. Il s’agit de structurer des projets d’économie circulaire et d’écologie industrielle en lien avec la métropolisation des différentes places portuaires. Il faut aussi renforcer les interactions fonctionnelles entre les espaces portuaires, agricoles, urbains et industriels. Cette proposition tend à valoriser le potentiel des couloirs fluviaux par une mise en réseau des territoires portuaires autour de la gestion de leurs déchets. La seconde proposition est d’anticiper et d’accompagner la diversification de la fonction portuaire. Ils proposent de faire du port un opérateur local d’énergie. Ils envisagent l’optimisation de la collecte des déchets de navires.
La dernière proposition vise à structurer une politique nationale de l’économie circulaire en s’appuyant sur l’expérimentation et la mise en réseau des territoires portuaires. Dans ce cadre, la structuration des acteurs en réseau au niveau national avec des comités doit être créée. Au niveau local, des agences locales de l’économie circulaire doivent être mises en place.