L’exigence californienne de voir à partir de 2020 les navires utiliser l’électricité de quai pour alimenter leur réseau électrique aura donc mis une dizaine d’années à débarquer timidement en France. La réflexion nationale commence, comme souvent, par un rapport demandé par l’administration pour « comprendre la nature et l’intensité des différents enjeux en tenant compte du contexte français ». Confiée à AJI-Europe/Efec, l’étude est remise à l’administration en juin 2009. Elle souligne que, dans un premier temps, les rouliers et les ferries seront les clients les plus probables du branchement à quai. Pour alimenter le débat, l’étude suggère 17 propositions pour « identifier les le viers à privilégier pour favoriser le développement du courant de quai dans les ports français ».
Depuis, rien ou presque en termes d’information publique. Le CO2, les NOx, les SOx et surtout les particules fines générés par le trafic portuaire intéressent peu. Les surmortalités peuvent attendre. Depuis 2010, les sept Grands ports maritimes français disposent d’un outil informatique commun pour évaluer les émissions polluantes générées par leurs trafics.
En juillet 2012, l’Association internationale des ports et des rades (IAPH) recense 20 ports maritimes permettant le branchement à quai. Sans surprise, la côte Pacifique arrive en tête avec Los Angeles, Long Beach, San Francisco, San Diego et Seattle. Suit la Suède avec Göteborg, Helsingborg, Stockholm et Pitea. Trois ports finlandais, Anvers, Lübeck, Oslo et Rotterdam font le reste. Au Havre, des études étaient en cours. À Marseille, on attendait que la CMN soit assurée de son avenir de transporteur sur la Corse.
Un grand pas international est franchi en juin 2011 puis juillet 2012 avec la publication respectivement d’une première norme internationale définissant les prises de courant et les connecteurs du navire (CEI 62613-1), et d’une seconde relative à l’alimentation des navires à quai (ISO/IEC/IEEE 80005-1). C’est ainsi que dans le monde entier, la tension d’alimentation par la terre d’un navire à passagers doit être de 11 kV. Celle des navires de charge est de 6,6 kV. Malheureusement, la fréquence du courant alternatif reste toujours au choix du constructeur du navire, 50 Hz ou 60 Hz. Ce qui peut obliger à passer par un coûteux système de convertisseur. Mais la tendance mondiale est à la généralisation du 60 Hz, estime Hugues Berthet, responsable de la division Business Development Shore connection pour l’Europe et le Moyen-Orient de Schneider Electric (SE). Pour tous les navires sauf les porte-conteneurs, la norme impose que la prise mâle d’alimentation soit disponible à partir d’une potence installée à quai et monte vers le navire. N’utilisant pas toujours le même poste à quai, les porte-conteneurs sont ou seront équipés de leur propre prise d’alimentation qui descendra vers le point de branchement. Hapag-Lloyd, par exemple, a opté pour un conteneur de 40’ dans lequel se trouve tout le système depuis la prise électrique jusqu’au câble alimentant le circuit électrique en lieu et place des générateurs fonctionnant du DO.
Soigner les « interrupteurs »
L’une des grandes difficultés du branchement à quai des navires vient du fait que le système doit fonctionner par intermittence du fait des escales des navires, explique Hugues Berthet. Les « interrupteurs » ou disjoncteurs moyenne tension et le transformateur de quai (permettant l’isolation galvanique) doivent avoir une grande endurance pour supporter des mises sous tension quotidiennes. Or dans leurs usages terrestres, ces équipements sont rarement débranchés. Ils supportent en moyenne 1 000 manœuvres. Schneider Electric a donc testé durant trois ans (et pour un coût de 5 M€) le système complet de transfert de puissance et de conversion pour arriver à une fiabilité de 10 000 manœuvres de mise sous tension et hors tension. Rappelons qu’il s’agit de couper jusqu’à 11 000 V avec un courant maxi de 630 A (soit une puissance de 12 MW correspondant à la puissance nécessaire pour une ville de 15 000 habitants), le tout dans un environnement humide et salin.
L’autre difficulté vient du réseau électrique des navires: du triphasé sans neutre et sans terre. La synchronisation avec le courant de quai est délicate mais se fait de façon habituelle à bord, rappelle Hugues Berthet.
Dernière grande difficulté: le temps nécessaire pour établir le branchement électrique. À Los Angeles, l’autorité portuaire s’est réservée le monopole du branchement et impose la présence de deux personnes. Le système SE installé à bord des trois ropax de La Méridionale est beaucoup plus rapide et totalement piloté par le bord. Il faut moins de cinq minutes pour récupérer à la gaffe le connecteur, bien sûr hors tension, et alimenter le navire en courant de quai. C’est en février que le troisième ferry de La Méridionale a été équipé du système après quatre semaines de travaux. Une porte étanche située à 10 m au-dessus de la flottaison a été créée pour faire passer le connecteur. Le transformateur (poids 4 t, dimension 4 m × 3 m × 3 m) d’isolation galvanique, qui permet d’abaisser la tension de 6,6 kV à 400 V, ainsi que divers autres équipements électriques sont entrés par les portes du pont-garage. Leur intégration a nécessité des modifications de la structure du navire qui ont été confiées à STX Europe. La Méridionale n’est pas pionnière dans le branchement à quai: Schneider Electric a déjà équipé les ferries de Stena Line.
À la mi-avril, le GPMM a retenu l’offre d’Eiffage énergie pour « électrifier » les trois postes à quai utilisés par les navires de La Méridionale. Tous les équipements seront fournis par Schneider Electric qui se portera garant des performances, depuis le réseau 20 kV du port jusqu’à la fourniture de 400 V au navire.
En ce qui concerne la Shore BoX TMde Schneider Electric, le GPMM prend un risque maîtrisé car cette société française a déjà équipé en tout ou partie certains quais de Los Angeles, Casablanca et Tanger pour brancher la frégate multimissions, et deux quais à Riga (Lettonie). Bergen a été livré en mai.
ABB, Schneider Electric et Siemens, par exemple, ont de quoi se réjouir de la directive 2014/94. Elle tend à favoriser les carburants alternatifs – dont l’électricité – dans les ports, en priorité dans ceux qui font partie du réseau central RTE-T, au plus tard avant le 31 décembre 2025. Sous réserve que le réseau électrique régional puisse le supporter, il n’y a pas de raison technique pour que les ferries en escale à Calais ou à Nice ne soient pas branchés. Compte tenu de la puissance électrique disponible en Corse, il va falloir attendre encore plusieurs années.