« La congestion portuaire demeure une réalité en Afrique de l’Ouest et du centre », a expliqué Yann Alix, délégué général de la fondation Sefacil, en introduction de la première table ronde du Carrefour du Journal de la Marine Marchande organisé le 17 avril à Paris. Celle-ci avait pour thème « les ports secs, une réponse à la congestion portuaire en Afrique? » Le temps d’attente des navires à l’ancre et celui passé bord à quai y sont plus élevés que dans les ports des autres continents. La productivité de la manutention est assez faible. Les linéaires de quai sont souvent saturés. Les entrepôts portuaires sont utilisés pour du stockage prolongé. Les tracasseries administratives, démultipliées par un environnement encore dominé par des procédures « papiers », limitent les possibilités de décongestion logistique. Un autre souci concerne l’importance du secteur informel, qui continue à perdurer dans cette partie de l’Afrique, aussi bien au niveau bancaire que logistique. Dans un tel contexte, « la réalisation de ports secs peut être une solution pour l’ensemble des acteurs de la chaîne logistique », a continué Yann Alix. Toutefois, il faut d’abord s’interroger sur le type de port sec qui convient le mieux pour favoriser la décongestion portuaire en Afrique; sachant qu’un port sec peut être une aire de stationnement et de délestage physique pour la gestion des conteneurs vides et des poids lourds, voire une aire sécurisée avec entrepôts. Il peut évoluer vers des entrepôts sécurisés sous douane avec une anticipation des procédures. Il peut devenir un entrepôt de groupage-dégroupage de marchandises voire de transformation de certaines catégories de produits. Il faut veiller à ce que la congestion ne se déplace pas du port maritime au port sec. Surtout si celui-ci est situé au milieu d’un réseau de transports en étoile en fonction des flux, car la congestion portuaire peut alors devenir une congestion de corridor.
Un rôle de fluidification
Selon Yann Alix, « compte tenu de la dispersion spatiale des flux en Afrique, un port sec doit répondre à une double logique: décongestion des flux maritimes et gestion des flux imports vers les pays proches ». Yann Danvert, directeur grands comptes de Bolloré Africa Logistics, a précisé que dans le premier cas, le port sec est implanté dans les pays côtiers et aide à faire face à l’essor des trafics dans les terminaux africains. Il sert à stocker les conteneurs pendant la période de dédouanement, « toujours assez longue même si les progrès sont manifestes ». Il reste à trouver une solution pour la gestion des conteneurs vides à repositionner avant de les renvoyer en Europe ou en Asie. Dans le deuxième cas, le port sec est situé dans les pays intérieurs du continent africain et joue un rôle de fluidification. Il peut être géré par un opérateur privé ou public-privé dans le cadre d’un partenariat ou d’une concession. C’est un centre d’éclatement des marchandises. Il rabat les trafics pour l’export. Il permet de massifier le transport et de réduire les coûts car tous les acteurs de la chaîne logistique y sont présents et les procédures se déroulent dans un même lieu. Pour Yann Danvert, « en Afrique, un port sec intérieur constitue une soupape de sécurité pour désengorger le port maritime. C’est un enjeu stratégique pour les autorités portuaires ». De son côté, Philippe Dehays, directeur de l’agence de Rouen de Centrimex, a estimé qu’il existe trois types de ports secs en Afrique: ceux qui sont proches des ports maritimes, les intermédiaires et les lointains comme Bamako ou Niamey. Ils favorisent la décongestion des ports maritimes, permettent des gains de parts de marché et réduisent les impacts environnementaux des activités logistiques. Ils supposent d’améliorer l’intermodalité, la fluidité des flux, les transports, notamment le ferroviaire, ou encore d’assouplir les formalités administratives et douanières. Pour Philippe Dehays, il faut reconnaître que « tous les États ont droit à la mer, même ceux qui ne disposent pas d’un accès direct ». Hervé Deiss, rédacteur en chef du Journal de la Marine Marchande (JMM) et animateur de la table ronde, a ajouté: « Il est même possible de dire que toutes les régions de tous les États ont droit à un accès à mer. »
Des causes multiples
« Nous avons bien compris la nécessité des ports secs au Sénégal, a déclaré Papa Ibrahima Sow, directeur de la stratégie du port autonome de Dakar. Notre port est enclavé dans la ville et n’a aucune autre possibilité pour gagner de l’espace. » Des investissements ont eu lieu pour réaliser trois ports secs dans le pays ainsi qu’une plate-forme à Bamako, au Mali, avec des entrepôts sous douane. Papa Ibrahima Sow a indiqué que « pour favoriser la décongestion portuaire, nous bénéficions de l’appui des deux États, aussi bien d’ordre financier que réglementaire, notamment pour améliorer les solutions de transport ». Pour Léandre Sery Drepoba, directeur commercial et marketing du port autonome d’Abidjan, « la congestion portuaire est une réalité. Avant d’envisager toute solution, il faut en déterminer les causes ». Celles-ci peuvent être multiples: une inadaptation des infrastructures et/ou des outils de manutention, des difficultés au niveau des formalités administratives et douanières, une faible capacité de transport par la route ou le ferroviaire, un manque d’espace portuaire notamment en termes de parkings, etc. « Il est essentiel de travailler aussi sur la fluidité interne du port maritime », a complété Léandre Sery Drepoba. À Abidjan, un premier port sec devrait voir le jour d’ici 2017. Pour Georges Varango, directeur marketing du port de Cotonou, « nous avons connu deux expériences. Nous avons mis place un port sec à 2 km du port de Cotonou. Tout se passe très bien. Nous en avons installé un autre à 60 km de Cotonou. Concédé à une société locale dont l’un des opérateurs a fait faillite, ce site est en grande difficulté et se trouve lui-même en situation de congestion, a-t-il relaté. Il faut donc faire appel à des entreprises spécialisées et professionnelles. Il est aussi nécessaire de coordonner les projets au niveau des régions et d’impliquer les différents États concernés ». Khaled Nageib, directeur général d’Egyptian Port Development Group, a lancé un appel pour la réalisation de six ports secs en Égypte dans les années à venir. « Nous avons annoncé 12 Md$ d’investissement, y compris pour la création de ports secs car nous avons un problème de congestion portuaire. Nous avons besoin de partenaires internationaux. » Tarik Dourasse, directeur du pilotage, a fait part de l’expérience du Port de Tanger Med: « Nous n’avons pas de port sec au Maroc car nous disposons d’un littoral de 3 000 km. Nous avons connu une période de congestion portuaire il y a quatre ou cinq ans pour les trafics passagers et rouliers notamment. Pour améliorer la situation, nous avons opté pour la dématérialisation des procédures, un système d’information pour le suivi de la marchandise au sein de la communauté portuaire, une modernisation du travail douanier. »
Le conteneur n’est pas seul concerné
Hervé Cornède, directeur commercial et marketing d’Haropa, a rappelé que la congestion portuaire ne concerne pas seulement l’Afrique mais tous les continents. Les solutions privilégiées par Haropa portent sur la mise en place d’un système de transport intégré avec des procédures douanières et un Cargo Community System identiques dans tous les terminaux. Le dédouanement est effectué en moins de cinq minutes. Le passage de la marchandise vers l’arrière-pays est facilité par des dessertes organisées autour de l’axe Seine avec les modes ferroviaires et fluviaux. Lyon, Bâle, Ludwigshafen, Strasbourg peuvent ainsi être des ports secs pour Haropa. Pour la solution fluviale, un nouveau système, le Cloud containing, va être lancé en juin pour faciliter le repositionnement des conteneurs dans les terminaux d’Ile-de-France. Pour Haropa, les solutions à la congestion portuaire passent donc par une amélioration des infrastructures de transport et la dématérialisation des flux d’informations. Un avis partagé par Pascal Ollivier, directeur du développement de Soget: « Les infrastructures sont importantes mais l’information et le partage d’information vont devenir indispensables. Car le guichet unique conduit les États à prendre davantage conscience de l’importance d’avoir une vue nationale pour la fluidification des trafics. » Pour Pascal Ollivier, un port sec peut alors être un pays dans son intégralité comme la république démocratique du Congo. Une fois la marchandise parvenue au port sec, elle doit y rester très peu de temps. Aussi, ce n’est pas tant le port sec qui est important mais plutôt l’organisation et les échanges entre les acteurs de la chaîne logistique autour de la marchandise pour la faire repartir le plus rapidement possible vers l’importateur puis le consommateur final. Selon Pascal Ollivier, « l’arrêt au port sec constitue une problématique et un enjeu mondial, pas seulement africain. Il peut être vu comme un arrêt au stand en Formule 1, soit le plus court possible ». Pour David Giboudeau, directeur général de Grimaldi ACL France, la congestion portuaire en Afrique traduit d’abord la progression des volumes et des trafics et symbolise le développement de ce continent. Il a rappelé que la congestion portuaire en Afrique concerne tous les types de marchandises: conteneurs, colis lourds, vracs, ro-ro, conventionnel. Aussi, il faut trouver une solution à la congestion portuaire pour toutes les différentes sortes de marchandises et non pas seulement pour les conteneurs. Le port sec peut répondre à cette problématique à condition d’avoir bien défini son rôle, son financement, son modèle économique, sa rentabilité. « L’intérêt de tous les acteurs de la chaîne logistique est de voir évacuer le plus rapidement possible toutes les marchandises du port maritime, mais aussi du port sec », a relevé David Giboudeau. Pour celui-ci, le port sec ne doit pas freiner le développement des terminaux et des quais dans les ports maritimes pour les marchandises autres que le conteneur. Et s’il faut bien évidemment évacuer les marchandises, il faut aussi faire attention aux infrastructures dans les ports maritimes eux-mêmes.
Dématérialiser les procédures
Sur les autres solutions possibles à la congestion portuaire, en dehors des ports secs, Pascal Ngotene, directeur général du Port autonome de Pointe-Noire, a indiqué qu’il serait important de « briser les monopoles et d’instaurer une concurrence pour sortir le conteneur du port ». Pour Serigne Thiam Diop, Cemarco, il faut améliorer les infrastructures et les procédures administratives. Une analyse semblable a été présentée par Damas Kakoudja, représentant Europe et Amériques du Conseil gabonais des chargeurs: « Les ports africains vivent des difficultés nautiques, de manutention, de logistique, etc., qui entraînent une situation de congestion. En Afrique de l’Ouest et du centre, les ports secs desservent l’arrière-pays et sont assez éloignés des ports maritimes. Il existe un risque de déplacement des difficultés des terminaux maritimes aux ports secs si toutes les conditions d’une logistique efficace ne sont pas améliorées. Il existe aussi des dysfonctionnements au niveau des acteurs de la communauté portuaire. Ceux-ci doivent apprendre à travailler ensemble pour améliorer le passage portuaire. Tous doivent travailler sur la dématérialisation des procédures. »
En conclusion de la table ronde sur « les ports secs, une réponse à la congestion portuaire en Afrique? », Yann Alix a relevé qu’aucun port sec ne peut exister sans marchandises, il est donc indispensable de bien étudier la géographie des flux avant toute implantation d’une telle infrastructure. Un port sec constitue aussi un gisement d’emplois et de services, il faut bien veiller à en définir la valeur ajoutée pour le territoire. Enfin, il faut organiser un environnement juridique et légal favorable au port sec, en mobilisant les acteurs administratifs et politiques, si besoin au plus haut niveau des gouvernements et des États.