Au début 2000, les trafics portuaires africains ne représentaient pas 3 % des manutentions portuaires mondiales. Ces marchés africains, qualifiés de niches, demeuraient la chasse gardée d’opérateurs maritimes historiques, ancrés localement et fins connaisseurs des logistiques terrestres et portuaires. Qu’en est-il aujourd’hui en 2015? Tanger Med, Las Palmas, Durban et Port Saïd constituent une sorte de quadrature du cercle africain pour améliorer la connectivité maritime mondiale du continent. Ces points focaux du transbordement stratégique ne doivent pas occulter la mise en opération de près de 25 nouveaux terminaux conteneurisés en Afrique subsaharienne sur la dernière décennie. Les « Big Ones » ne représentent plus seulement les grands prédateurs de la savane, mais bien les opérateurs globaux de terminaux qui s’allient avec les armements les plus puissants pour investir les futures interfaces africaines. Dernièrement, pas moins de 12 consortiums internationaux ont été « short listés » pour le second terminal de Mombasa au Kenya. Perspectives économiques et démographiques, démocratisation et stabilisation politiques, consolidations bancaire et financière, tertiarisation et industrialisation des potentiels africains: les ingrédients de la nouvelle attractivité internationale du continent sont identifiés.
Changement d’échelle
Quand MSC annonce en 2014 la reconfiguration du service Africa Express entre l’Asie et l’Afrique avec 10 unités de 6 500 EVP et même un 8 450 EVP, un changement d’échelle s’opère qui pose plusieurs questionnements stratégiques:
– MSC devient-il le premier armement à articuler une vraie logique de hub maritime en Afrique de l’Ouest avec l’utilisation du nouveau terminal de Lomé comme unique touchée stratégique sous-régionale?
– Qui de Lomé, Abidjan, Téma, « les ports de Lagos », Kribi ou encore Pointe-Noire pourrait devenir un vrai hub portuaire ouest et centrafricain?
– Et y a-t-il un avenir portuaire régional sans être un hub?
Un hub maritime répond à une logique organisationnelle maritime avec un armement (ou un pool d’armement, voire une alliance) qui va utiliser un terminal stratégique pour optimiser le déploiement de « mother ships » en les alimentant par une myriade de feeders sous-régionaux. Pour l’Afrique de l’Ouest, Abidjan avait commencé à jouer ce rôle pour CMA CGM/Delmas avant que la crise ivoirienne ne perturbe cette organisation maritime depuis le terminal SETV.
Pour les autorités portuaires ouest et centrafricaines, le changement de paradigme est total: devenir un hub régional devient une marque de différenciation stratégique fondamentale. S’imposer en tête de pont portuaire signifie que les infrastructures doivent être calibrées pour recevoir les plus grosses unités actuelles, et surtout à venir. Fiabilité, qualité et sécurité doivent se conjuguer avec des personnels qualifiés, des équipements optimaux sur les superstructures, des profondeurs nautiques garanties, des services aux navires sans faille, des systèmes d’information garantissant fluidité et traçabilité, etc. Cela constitue en quelque sorte un saut technologique et même idéologique majeur que pratiquement toutes les autorités portuaires cherchent à revendiquer. Or, même avec des perspectives à 10, 12 ou 15 millions de conteneurs sur la rangée Dakar-Pointe-Noire, seules quelques places portuaires disposeront des volumes pour servir des armements maritimes qui n’ont pas encore entamé de sérieuses collusions stratégiques sur les trades africains.
Un hub portuaire, même régional, se nourrit d’une position géostratégique à la confluence entre plusieurs routes maritimes. Or, Europe/Afrique d’une part et Asie/Afrique de l’autre ne se marient pas en mode « cross-trade ». Le feedering ouest et centrafricain n’en est encore qu’à ses balbutiements malgré de très grosses opportunités pour les années à venir avec la stimulation des échanges entre nations africaines. Reste à voir si Amérique latine/Afrique ou même un « effet Panama » pourraient ajouter une dose de complexité dans les futurs agencements stratégiques des armements. Une chose est claire: les marchés africains vont continuer de grandir et stimuler de nouvelles hiérarchies portuaires… et maritimes.