Ces grandes boîtes à chaussures de 20 000 EVP qui vrillent à la mer

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Avec un sens appréciable de l’image, Ludovic Gérard a ainsi rappelé qu’un grand porte-conteneurs (PC) peut être assimilé à une grande boîte à chaussure navigant sans son couvercle. Sa résistance à la torsion est alors bien plus faible que lorsqu’elle est dotée de son couvercle. En effet, les panneaux de cales des PC, contrairement aux autres types de navires, ne sont pas réellement solidaires du reste de la coque. Ils y sont assujettis, mais ils participent peu à la résistance de la poutre navire. En outre, la forme boxshape des cales affaiblit la résistance à la torsion.

Passé une certaine longueur, et selon la direction du champ de vagues, la coque se vrille avec une certaine facilité. Bien sûr, à ce mouvement de torsion, s’ajoute celui, bien connu, d’arc et de contre-arc. Au bout d’un certain temps, cela peut casser. La casse du MSC-Napoli (ex CGM -Normandie) au pied du château et du MOL-Comfort ont créé une certaine émotion, a rappelé Ludovic Gérard.

C’est la raison pour laquelle ont été conçus les PC twin islands: la passerelle est avancée vers le tiers avant du navire et la salle des machines reste sur l’arrière. Sous le château, se trouve une sorte de poutre transversale qui ferme l’arrière de la partie avant de la coque. La salle des machines rigidifie, elle, l’arrière de la partie centrale de la coque, de sorte que ces PC peuvent être assimilés à trois navires « soudés » l’un derrière l’autre. Pour renforcer la résistance à la torsion, des tôles de 80 mm d’épaisseur sont utilisées pour construire le haut des flancs du navire. Et au fur et à mesure que l’on descend vers la quille, l’épaisseur de la tôle se réduit pour atteindre les 25 mm au minimum. Enfin, ces navires ont des doubles coques, ce qui renforce leur résistance. L’écart entre les deux coques est de l’ordre de 2 m. Depuis la mise en œuvre de Marpol 12A sur les caisses à combustible sur les navires de charge, les cuves à combustible ne sont plus installées dans cette double coque pour éviter un déversement à la mer, en cas de collision par exemple. Pour fixer les idées, les trois 16 000 EVP de CMA CGM ont une capacité de 14 500 m3 de fuel lourd.

Pour mieux prendre en compte les contraintes que subissent ces navires, CMA CGM a équipé le CMA CGM-Rigoletto (9 415 EVP vides ou 6 919 à 14 t) et le Magellan (13 300 EVP vides ou 9 936 EVP à 14 t) de nombreux capteurs d’accélération et autres jauges de contrainte (déformation, compression). Le premier est instrumenté depuis plusieurs années, car il a participé au programme de recherche Lashing@Sea, piloté par l’Institut de recherche néerlandais Marin. Cela permet de faire de jolies séquences d’animation, montrant comment le pont principal du navire réagit lorsque de grosses vagues arrivent de face: le pont subit des vibrations qui s’amortissent en se dirigeant vers l’arrière. La question qui devrait se poser est de savoir si ces vibrations sont d’une amplitude suffisante pour déclencher l’ouverture inopinée de twist locks automatiques un peu fatigués, reliant des pièces de coin légèrement ovalisées. Ce sujet n’a pas été abordé durant la présentation. On note cependant, sur l’animation en 3D, un petit conteneur qui s’agite à l’extrémité arrière du PC. Il semble illustrer l’un des deux conteneurs bourré d’instruments de mesure qui ont été utilisés dans l’étude Lashing@Sea. Par un effet ressort de la coque, ces conteneurs ont enregistré des accélérations 50 % plus importantes que les estimations.

Réduire les consommations

La fin de “l’amphi” a été consacrée à rappeler les efforts de CMA CGM pour réduire les consommations quand les soutes sont chères, et les navires insuffisamment remplis pour transférer complètement le coût du combustible aux chargeurs: optimisation les appendices (safran, bulbe, hélice) pour réduire la résistance à l’avancement, et donc les consommations; moteur diesel à deux temps retravaillé pour fonctionner à faible charge liée au slow steaming; navire exploité le plus finement possible en soignant l’assiette; conteneurs reefers plus légers et dont le système de réfrigération a été lui aussi optimisé; etc. CMA CGM, le BV et le chantier coréen Daewoo ont terminé leur étude commune sur le futur PC fonctionnant au GNL. Une spécification technique existe maintenant qui permet de concevoir des PC prééquipés GNL pour pouvoir brûler, selon la réglementation applicable, du fuel lourd ou du méthane liquide.

À la question de savoir si, comme MSC, CMA CGM a recours à une notation allégeant les contraintes de chargement en pontée selon la route maritime suivie, Ludovic Gérard a répondu positivement. CMA CGM utilise la notation du BV qui est comparable à celle du DnV GL entre l’Extrême-Orient et l’Europe. Mais lorsqu’un avis de coup de vent est annoncé, le centre de navigation de Marseille a toute autorité pour recommander au commandant, qui est le décideur final, de rester à quai ou dans une zone protégée. La direction commerciale de la ligne concernée doit suivre les recommandations du centre de navigation lorsque la sécurité est concernée, assure Ludovic Gérard.

Faisons un rêve: Mærsk, MSC, CMA CGM, Evergreen, etc., cèdent à cette notation. De combien faudra-t-il agrandir les ports pour qu’ils puissent conserver à quai les PC, dès lors que les prévisions météo sont mauvaises?

Interrogé sur les navires sans équipage ou à équipage déporté qui hantent les esprits de Rolls Royce et des chercheurs du projet européen Munin (Maritime Unmanned Navigation Through Intelligence in Networks), Ludovic Gérard a répondu qu’actuellement « on n’y croit pas ». Croyait-on aux porte-conteneurs à la fin des années cinquante ou aux 4 000 EVP d’USL dans les années quatre-vingt?

L’étude Lashing@Sea justifie les demandes franco-britanniques à l’OMI

Le fait que CMA CGM poursuive ses recherches, sur les accélérations et les contraintes que subissent ses porte-conteneurs, suppose qu’elle y trouve un certain intérêt. Elle ne peut donc que soutenir la proposition franco-espagnole « d’installer, lorsque cela est approprié, des capteurs qui signaleraient à l’équipage les accélérations soudaines du navire ». Il est également question de « définir des limites propres au navire applicables à ces accélérations et prévoir les mesures à prendre pour les atténuer et revenir à une situation raisonnable ». Cette proposition a été faite lors du sous-comité de l’OMI dédié au transport des cargaisons et des conteneurs de septembre 2014. Celle-ci, comme les cinq autres, n’a pas été retenue. Et pourtant, elle correspond assez bien à l’une des constatations de l’étude Lashing@Sea: les équipages ont répondu qu’il leur était difficile de déterminer quand les charges deviennent trop importantes, et donc de décider quand et comment agir pour que le navire reste dans des conditions de travail sûres.

Mærsk, CMA CGM et les cinq sociétés de classification membres de l’IACS, qui ont toutes financé cette étude, ne peuvent donc que soutenir la proposition.

En outre, la synthèse du rapport Lashing@Sea souligne que faute de centralisation des données relatives aux pertes de conteneurs, il est difficile d’estimer l’importance du problème. L’Espagne et la France ont donc proposé à l’OMI, en septembre dernier, de « mettre en place un système obligatoire de déclarations types pour signaler les conteneurs perdus, et un moyen à bord d’identifier facilement le nombre exact de conteneurs perdus ». Mærsk et CMA CGM ne peuvent que soutenir cette idée et agir, notamment au sein du World Shipping Council, pour que leurs homologues la soutiennent aussi, ne serait-ce que pour l’intérêt bien compris du secteur.

Par ailleurs, la R&D sur les grands PC semble se concentrer sur “l’accessoire”, les appendices et le moteur de propulsion. Nous sommes loin de la démarche innovante de Nedlloyd qui, au milieu des années quatre-vingt-dix, exploitait sept porte-conteneurs sans panneau de cale, les conteneurs étant tenus dans les glissières soudées en fond de cale. L’expérience n’a pas été un grand succès: trop d’eau dans les cales? Trop de marchandises mouillées? Ou l’attitude contre-productive du port de Rotterdam, entre autres, qui considérait que le volume taxable comprenait la pontée. La taxation portuaire des porte-conteneurs, voilà un beau sujet à traiter devant l’Académie de marine, ou ailleurs.

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