Jean-Bernard Raoust: 39 ans de courtage en quelques lignes

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JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): COMMENT ÊTES-VOUS ENTRÉ DANS LA PROFESSION?

JEAN-BERNARD RAOUST (J.-B.R.): Après mes études à Sup de Co Paris, je me suis orienté vers l’expertise comptable chez un des cabinets anglo-saxons de l’époque. Deux années terriblement ennuyeuses. Je rêvais de voir le monde, de parler anglais, de faire du commerce international. Travaillant aux Chargeurs réunis, mon père connaissait Pierre Jourdan-Barry. En 1975, période bénite, on trouvait facilement un emploi. Pierre Jourdan-Barry m’a donc recruté. Avec mon téléphone à cadran, j’ai donc appris à appeler le plus vite possible dix, vingt armateurs ou leurs courtiers pour leur proposer d’acheter tel ou tel navire.

JMM: PAS DE TÉLEX?

J.-B.R.: Si, bien sûr, mais avec un télex, vous ne connaissez pas la réaction du destinataire. Au téléphone, il peut plus difficilement vous dire que vous n’êtes pas le premier et que donc, il n’est pas « moralement » tenu de travailler l’affaire avec vous. Le principe étant « first arrived, first served ».

Ces contraintes et la tradition faisaient que le métier de courtier était géographiquement concentré: les Grecs de Londres travaillaient avec les Anglais, les Allemands avec les Allemands, et nous, nous traduisions le monde pour nos clients français, peu portés sur l’anglais.

JMM: QUARANTE ANS PLUS TARD, LE TÉLÉPHONE À CADRAN EST DEPUIS LONGTEMPS AU MUSÉE.

J.-B.R.: Et la révolution des communications a bouleversé le monde et le microcosme du courtage. Tout le monde appelle tout le monde en direct. De ce fait, le rôle d’informateur privilégié du courtier s’est progressivement effacé.

Pour survivre dans le métier de courtage et rester parmi les meilleurs, il faut apporter au client de la valeur ajoutée, de l’intelligence et de l’originalité, que cela soit dans les connaissances techniques, dans les différents types de financement disponibles ou le commercial.

À ce stade, il faut segmenter les marchés du courtage: l’affrètement de navires passe encore à 90 % environ par les courtiers, l’achat/vente d’occasion à environ 70 %, et la construction neuve de l’ordre de 50 %. Un exemple: il ne reste plus au monde que trois chantiers navals capables de construire des méthaniers. Difficile pour le courtier d’amener une solution innovante de construction dans ce cas. Il peut toujours essayer d’être utile via une charte, un financement ou un joint-venture.

JMM: QUAND BRS A-T-IL PRIS LE VENT DU GRAND LARGE?

J.-B.R.: À la fin des années 1980, BRS a commencé à s’installer à l’étranger pour se rapprocher de ses clients potentiels. Cela n’a pas été toujours un succès. En 1988, lorsque BRS a été racheté par ses courtiers, nous avons dû fermer des bureaux. Certains ont été rouverts quelque temps plus tard. Bref, nous sommes présents en nom propre à Londres pour l’affrètement sec et les produits dérivés; en Chine pour tous les métiers après avoir commencé par la construction neuve en 1997; en Croatie pour la construction neuve; à Athènes pour l’achat/vente et l’affrètement sec; à Dubai pour l’affrètement pétrolier et le vrac sec depuis 2002; à Bombay pour l’affrètement sec; à Genève pour la construction neuve et l’affrètement sec et liquide. Le département trading de Total s’y est installé. Celui de Lafarge est à Zürich. Nous sommes également présents à Singapour pour l’affrètement sec, liquide et offshore; à Hambourg, pour l’affrè– tement de porte-conteneurs; à Oslo pour l’achat/vente ainsi qu’à Rio pour l’achat/vente et l’offshore.

Tous les bureaux étrangers ont vocation à faire ensemble des métiers au fur et à mesure que les équipes s’étoffent. D’autres ouvertures dans de nouveaux pays sont à l’étude.

Malgré le téléphone portable ouvert en permanence, les boîtes mail, il est important d’être à proximité physique du client, pour au moins deux raisons. La première est évidente, on ne peut pas suivre commercialement longtemps depuis Paris un client qui se délocalise à Genève, par exemple. D’autre part, un courtier BRS qui s’installe à Genève va prospecter la place. Ce que ne fera pas nécessairement celui qui reste à Paris. La maison conserve donc son client et en trouve d’autres.

JMM: LA MAISON OU LE COURTIER?

J.-B.R.: La maison. En effet, BRS est un modèle unique dans le secteur car ses courtiers sont ses actionnaires. Nous avons décidé de partager les informations et les clients. Même avec un faible turn-over de l’ordre de quatre à cinq départs sur un total de 150 courtiers, le client reste attaché au groupe BRS. Cette « collectivisation » se traduit dans la rémunération: outre un fixe, le courtier reçoit une prime annuelle en fonction des résultats de son département, Affrètement, Construction neuve, etc. Puis en fonction des résultats du bureau auquel il est rattaché. À cela s’ajoute, pour ceux qui sont devenus actionnaires après un certain temps de présence, un dividende. Vous savez, le courtage est un métier « d’homme », il n’y a pas de machine susceptible de le remplacer. « Il vote avec ses pieds. » En clair, s’il n’est pas content de son sort, les chiffres s’en ressentent. Et il finit par partir.

JMM: QUEL EST LE PROFIL D’UN BON COURTIER ET QUELLE EST SA FORMATION ET LA DURÉE DE CELLE-CI?

J.-B.R.: Tout d’abord, il doit de préférence, si possible, être de la nationalité du pays dans lequel il travaillera. Personne mieux qu’un Chinois ne comprend la mentalité chinoise. BRS recrute des équivalents bac + 5. Pour rester en Chine, par exemple, nous recrutions dans les universités maritimes qui sont d’un excellent niveau. La pratique de l’anglais est obligatoire. L’ouverture au monde, aux différentes cultures est plus difficile à identifier mais compte tout autant. Il doit être capable de faire face à de curieux tests de la part de ses futurs clients, comme ingérer de petits poissons vivants trempés dans du saké. Une grande expérience japonaise.

La formation initiale est moins importante: juridique, technique ou financière. Il faut compter trois ans de formation spé– cifique aux différentes formes de courtage et deux ans supplémentaires pour se former un réseau de clients qui vous trouvent à la fois efficace et sympathique. Car l’un ne va pas sans l’autre.

JMM: SOUVENT, VOS RAPPORTS ANNUELS FONT ALLUSION À DES DÉCISIONS DIFFICILES À EXPLIQUER RATIONNELLEMENT, À L’ARRIVÉE SOUDAINE DE BEAUCOUP D’ARGENT, NOTAMMENT DANS LA CONSTRUCTION NAVALE. FINALEMENT, LA CONSTRUCTION NEUVE N’A-T-ELLE PAS POUR PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES L’IRRATIONNEL ET SON INCAPACITÉ À S’AUTORÉGULER?

J.-B.R.: Il est exact qu’après la crise de 2008, les banques sont sorties du financement de navires après avoir constaté leurs pertes. Certains grands fonds d’investissements ont massivement investi dans le shipping, considérant qu’il avait atteint le bas du cycle, d’autant qu’il y avait beaucoup d’argent qui cherchait à s’employer. Mais dans le vrac sec, la piscine est encore plus profonde. Certains de ces investisseurs spéculateurs sont en train de sortir eux aussi en constatant leurs pertes. Mais les banques reviennent à petits pas. Le secteur du pétrole se tient bien car de nombreux pétroliers servent de stockage flottant, en attente d’une remontée du cours du pétrole. Si celle-ci se produit, elle entraînera une arrivée massive de pétroliers disponibles sur le marché et donc une baisse importante des taux d’affrètement. Je parlerai plus volontiers de « régulation sous contrainte »; la contrainte des pertes constatées.

JMM: QUELQUES MOTS SUR LE GROUPE BRS AVEC UN CHIFFRE D’AFFAIRES?

J.-B.R.: Quatre cents salariés dont 150 courtiers. Avec un chiffre d’affaires en 2014 de l’ordre de 100 M€. Dans l’activité courtage, 60 % à 70 % proviennent de l’affrètement, tous vracs confondus, et le solde du département « assets » qui comprend la construction neuve et l’achat/ vente d’occasion. Ces deux activités sont regroupées car elles sont souvent assez proches l’une de l’autre. Selon la situation bilancielle de l’armateur et sa capacité d’emprunt, il peut être plus judicieux de faire construire ou au contraire de se tourner vers l’occasion ou le lease-back.

Nous sommes présents dans le grand yachting de luxe sous tous ses aspects ainsi que dans le courtage de produits dérivés de fret. Nous disposons d’une minorité de blocage chez Cap Marine, courtier en assurance maritime, qui est installé dans les bureaux parisiens de BRS. Nous avons une grosse activité de vente d’informations maritimes en ligne regroupée dans la société AXS Marine. Elle se décline sous la marque Alphaliner pour le conteneur, Alphabulk, Alphatanker, etc. AXS Marine propose également des services en ligne concernant les caractéristiques des ports et des navires, des calculs de voyage, la géolocalisation des navires, des calculs de rentabilité.

JMM: N’Y A-T-IL PAS UN CONFLIT D’INTÉRÊT INTERNE ENTRE LE FAIT DE VENDRE DES INFORMATIONS MARCHÉS ET L’USAGE QUI PEUT EN ÊTRE FAIT POUR AUGMENTER LA VALEUR AJOUTÉE ATTENDUE DU COURTIER?

J.-B.R.: Exact. Mais un arbitrage a été fait. Nous considérons qu’il est préférable de vendre ces informations plutôt que de les garder en interne. Cela évite par exemple que d’autres occupent cette niche de marché. Par ailleurs, nous estimons que le courtier saura toujours apporter un peu plus que de l’information vendue. Ne serait-ce que le tri entre les informations pertinentes et les autres. Chez AXS Marine, 60 informaticiens travaillent en Bulgarie pour répondre aux demandes spécifiques de nos clients.

JMM: VOTRE SITE INTERNET FAIT EXPLICITEMENT RÉFÉRENCE AU GROUPE BRS LUXEMBOURG. DOIT-ON COMPRENDRE QUE LA HOLDING DE TÊTE Y EST BASÉE.

J.-B.R.: Exact, comme pour un certain nombre de grandes entreprises françaises présentes à l’international.

JMM: QU’EST-CE QUI JUSTIFIE QUE L’ÉTABLISSEMENT PRINCIPAL RESTE À PARIS?

J.-B.R.: Plus grand-chose, si ce n’est l’histoire de la maison, son image depuis 1856. Il me semble qu’il n’est pas bon commercialement d’être une société « apatride ». L’Oréal reste française et Nestlé suisse malgré leur implantation mondiale, et tous les constructeurs automobiles ont une nationalité, même si leurs usines sont ailleurs.

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