JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): QUELLE IMPRESSION CELA VOUS FAIT-IL D’ÊTRE À NOUVEAU À QUELQUES MÈTRES DE FRANCESCO SCHETTINO ET D’ASSISTER À SON PROCÈS?
ANNE DECRÉ (A.D.): J’éprouve plusieurs types de sentiments. De la tristesse, de la colère. C’est aussi le film de cette nuit-là qui recommence quand on entend le déroulé de la catastrophe. Heureusement que dans ma vie de tous les jours, il y a des moments où j’arrive à échapper aux « souvenirs ». Être à côté de Francesco Schettino me déplaît. Mais c’est important, essentiel d’être ici, pour moi et pour tous les autres, les victimes, les survivants, les gens qui nous soutiennent et ceux qui font partie de notre collectif.
JMM: QUELLES SONT LES IMAGES QUI VOUS REVIENNENT?
A.D.: Je repense aux odeurs, aux cris. En regardant les films projetés durant le procès sur le déroulé du naufrage avec les indications sur les inclinations du navire, les horaires, automatiquement, je revois à tout. L’endroit où j’étais, à telle heure… Je me revois sur l’île, impuissante, en train de regarder le navire se coucher sur son flanc. Je repense au moment où j’ai eu le sentiment que je n’allais pas m’en sortir, en voyant le premier corps. Je repense aussi aux derniers moments heureux, juste avant le drame. On était au théâtre sur le navire, puis les hurlements ont commencé. Il y a eu un black-out au niveau des trois ponts, une grosse vibration. Les chaloupes ont été prises d’assaut. Je me souviens des gens qui attendaient sur le navire qu’on vienne les chercher. Il y avait un grand silence, encore plus terrifiant que les hurlements.
JMM: COMMENT EST NÉ LE COLLECTIF DES NAUFRAGÉS FRANÇAIS DU COSTA-CONCORDIA?
A.D.: J’avais pris les adresses mails des survivants pendant le retour en France en car. Après, j’ai contacté tout le monde et j’ai dit qu’on allait monter une association. Notre collectif a deux objectifs: d’abord venir en aide à chaque victime française, les aider dans leurs démarches et faire avancer la sécurité maritime. Nous avons constitué un groupe de travail au sein du collectif. Il faut faire avancer les normes de sécurité. Il peut apparaître que le matériel de sauvetage soit insuffisant, comme par exemple le nombre des chaloupes. Il faut aussi travailler sur la communication pendant les naufrages. Ne rien savoir, ne pas avoir de dialogue avec l’équipage augmente l’angoisse. Il faut aussi travailler sur les méthodes d’évacuation.