Les retouches apportées à la taxe au tonnage par la loi de finances rectificative pour 2014

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Ceci est suffisamment rare pour être remarqué, d’autant plus que ces modifications sont intervenues dans la plus grande discrétion: absentes du texte initial du projet de loi de finances rectificative pour 2014, elles résultent de deux amendements adoptés en dernière lecture devant l’Assemblée nationale. Ces amendements ont été adoptés sans difficulté: ils ne viennent en effet pas modifier profondément le régime existant, mais apportent plutôt certaines adaptations qui, dans l’ensemble, sont les bienvenues.

La modification la plus substantielle porte sur les aménagements apportés au régime des plus-values. On notera ensuite quelques modifications apportées aux conditions d’application de ce régime lui-même.

Aménagement du régime des plus-values

Afin de saisir pleinement la portée des aménagements qui ont été introduits, il apparaît nécessaire de procéder à un bref rappel des dispositions antérieurement applicables.

Les plus-values réalisées dans le régime de la taxe au tonnage sont exonérées d’impôt sur les sociétés, celui-ci est déterminé sur une base forfaitaire calculée d’après le tonnage des navires exploités par la compagnie.

Lorsque, ce qui est fréquent, un navire a été détenu par une entreprise maritime avant que celle-ci n’ait opté pour la taxe au tonnage, la loi (article 209-V du CGI) prévoit qu’il doit être fait application d’un abattement égal au rapport existant entre la durée de détention du navire pendant l’application du régime de taxation au tonnage, et la durée totale de détention du navire.

Pour calculer ce rapport, la durée de détention doit être décomptée à partir de la date à laquelle le navire est définitivement entré dans l’actif du bilan de la société. L’application de ce système demeure assez simple lorsqu’une entreprise maritime acquiert directement un navire.

En revanche, la situation est plus complexe dans l’hypothèse où l’entreprise acquiert les actions d’une société propriétaire d’un navire, qu’elle absorbe cette société et devient ainsi directement propriétaire du navire.

Dans une telle situation, l’administration fiscale rappelle que le rapport institué par l’article 209-V du CGI se calcule de la façon suivante(1): la « durée totale de détention » du navire est décomptée à partir de sa date d’acquisition par la société absorbée.

Corrélativement, les périodes de détention sous le régime de taxation au tonnage par la société absorbée sont à prendre en compte au niveau de la société maritime absorbante.

Dans le cas, donc, où la société qui avait acquis le navire avait opté pour la taxe au tonnage, la situation est globalement neutre: lorsque l’entreprise maritime qui en acquiert les parts absorbe cette société, elle est en quelque sorte réputée avoir acquis elle-même le navire sous-jacent depuis l’origine.

En revanche, ce système peut s’avérer pénalisant lorsque la société qui, la première, a acquis le navire, n’a pas opté pour la taxe au tonnage, ce qui est une hypothèse assez fréquente en pratique. Elle se rencontre en effet lorsqu’une société maritime fait appel à un établissement financier qui, via une filiale ad hoc, acquiert le navire et le donne en crédit-bail à la société maritime. Ce schéma, comme on le sait, permet à l’établissement financier d’amortir le navire (article 39C du CGI), et donc de réaliser des économies dont une partie est rétrocédée à l’armateur par une minoration des loyers qui lui sont facturés(2).

Dans une telle hypothèse, il est généralement prévu que l’armateur acquière au terme d’une durée convenue les parts de la société ad hoc constituée par l’établissement financier: l’armateur absorbe ensuite cette société en vue de détenir directement le navire.

Sur le plan fiscal, ce mode de financement peut pénaliser l’armateur lors de la revente du navire: en effet, la durée totale de détention sera décomptée à partir de la date d’acquisition du navire par la structure ad hoc. En revanche, la période de détention sous le régime de la taxe au tonnage ne sera décomptée qu’à partir du moment où l’armateur en sera devenu juridiquement propriétaire à l’issue de la fusion, alors même qu’il exploitait le navire depuis plusieurs années sous le régime de la taxe au tonnage en tant que locataire.

Cette situation est d’autant plus pénalisante qu’elle n’existe pas dans les autres schémas d’acquisition par une entreprise maritime.

Lorsque celle-ci acquiert le bien directement, et est déjà sous le régime de la taxe au tonnage, il y a une exacte corrélation entre la durée totale de détention et la durée de détention sous le régime de la taxe au tonnage, aboutissant à une exonération totale de la plus-value.

Il en va également ainsi en cas de conclusion d’un contrat de crédit-bail suivi, à l’échéance du contrat, par la levée d’option et l’acquisition du navire directement: la durée de détention est alors calculée à compter de cette date d’acquisition, et il y a donc, ici encore, entière corrélation entre durée totale de détention et durée de détention sous le régime de la taxe au tonnage.

Cette difficulté avait été mise en évidence dans le rapport sur la compétitivité des transports et services maritimes français rédigé par le député Arnaud Leroy le 23 octobre 2013.

Ce rapport préconisait une exonération de la plus-value (identique à celle prévue en cas d’acquisition en direct du navire) sous réserve de réinvestir le produit de cession dans un délai de 36 mois.

Ce n’est pourtant pas sous cette condition qu’Arnaud Leroy a présenté un amendement n° 475 dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2014.

Cet amendement, qui a été adopté(3), prévoit que dans le schéma décrit précédemment, la durée de détention sous le régime de la taxe au tonnage ne doit pas être décomptée de la date à laquelle l’armateur est devenu propriétaire du navire (soit après la fusion), mais depuis la date de début d’exploitation du navire. La période durant laquelle l’armateur est simplement locataire est donc désormais prise en compte.

Ce faisant, il y aura en règle générale une parfaite corrélation entre la durée totale de détention (qui commence à la date d’acquisition par la structure ad hoc) et la durée de détention sous le régime de la taxe au tonnage (qui commence à la date de début d’exploitation par l’armateur), aboutissant ainsi à une exonération complète de la plus-value de revente ultérieure.

Nous ne pouvons que nous féliciter de cet aménagement qui opère, sur le plan fiscal, une neutralité entre les différents schémas de financement de l’acquisition d’un navire par une société maritime.

Il convient toutefois de relever que la date d’entrée en vigueur de cette mesure demeure encore conditionnelle. En effet, tout régime de faveur réservé à certaines catégories de contribuables est susceptible de constituer une aide d’État qui doit être notifiée à la Commission européenne préalablement à son entrée en vigueur afin qu’elle en examine la compatibilité avec les règles du marché intérieur. Cette obligation s’applique notamment aux mesures nouvelles apportées aux régimes d’aides existants, tels que la taxe au tonnage en vigueur en France(4).

C’est pourquoi le gouvernement a notifié cette réforme à la Commission afin de solliciter son avis sur la compatibilité de cette mesure avec le droit communautaire et que ce nouveau régime n’entrera en vigueur qu’après la date de la réception par le gouvernement d’une réponse positive de la Commission européenne sur ce point.

Aménagement des conditions d’application du régime de la taxe au tonnage

A) Sur l’engagement de maintien de la proportion de tonnage sous pavillon communautaire

Jusqu’à présent, l’application du régime de taxe au tonnage était conditionnée, entre autres choses, à un engagement pris par l’armateur de maintenir ou augmenter le niveau de sa flotte sous pavillon communautaire durant la période couverte par l’option. Cet engagement résultait d’une réforme entrée en vigueur en 2005. Auparavant, le régime de taxe au tonnage français, qui avait été validé par la Commission européenne, prévoyait que la fraction de tonnage non communautaire de la société qui souhaitait se placer sous ce régime ne pouvait pas excéder 75 %.

Or, la réforme entrée en vigueur en 2005 n’avait jamais été notifiée à la Commission européenne. Celle-ci a donc introduit une procédure d’infraction à l’encontre de la France. La Com mission reprochait également à la France de ne pas prendre en compte pour l’application de ce critère les navires battant pavillon d’un État partie de l’Espace économique européen(5). C’est donc pour répondre à ces griefs que la loi de finances rectificative pour 2014 a modifié ces dispositions sur deux points:

– elle a réintroduit un seuil minimal de 25 % de tonnage exploité par la société maritime et battant pavillon communautaire. Ce faisant, on revient au système tel qu’il existait avant 2005;

– elle a précisé que ce seuil s’apprécie en prenant en compte non seulement les navires battants pavillon d’un État de l’UE, mais également ceux battant pavillon d’un État de l’EEE.

Par ailleurs, la nouvelle législation vient préciser que, pour les groupes intégrés fiscalement, cette proportion s’apprécie au regard du tonnage net total exploité par les différentes sociétés membres du groupe.

Ces nouvelles dispositions s’appliquent aux entreprises qui exercent l’option pour la taxe au tonnage au titre d’un exercice clos à compter du 27 novembre 2014.

B) Sur les navires éligibles à la taxe au tonnage

Jusqu’à présent, la loi prévoyait que sont éligibles à la taxe au tonnage les navires qui sont: soit possédés en pleine propriété ou en copropriété, soit affrétés coque-nue ou à temps. La loi de finances rectificative pour 2014 vient préciser que sont aussi éligibles les navires pris en location dans le cadre d’un contrat de crédit-bail ainsi que dans le cadre d’un contrat de location avec option d’achat.

Cette précision nous semble être un peu surabondante, dans la mesure où en règle générale le contrat de location qui est conclu dans l’un ou l’autre de ces deux hypothèses est un contrat d’affrètement coque-nue.

Elle vient cependant conforter la position des entreprises de transport maritime, ce qui ne peut qu’aller dans le sens d’une plus grande sécurité juridique des opérations susvisées, ce dont on ne pourra que se féliciter.

1) Voir BOI-IS-BASE-60-40-30-10-20130325 n° 130.

2) Dans ce schéma, le propriétaire du navire ne peut pas opter pour la taxe, et il n’y aurait d’ailleurs pas intérêt.

3) Il est devenu l’article 74 de la loi de finances rectificative pour 2014.

4) Voir à cet égard les développements figurant au II ci-après.

5) La Norvège, par exemple.

Exemple:la société A, qui a opté pour la taxe au tonnage, conclut en 2008 un contrat de crédit-bail portant sur un navire avec la société X1, filiale du groupe financier X.

En 2013, la société A rachète auprès de X les parts de X1, et absorbe cette dernière. Elle devient juridiquement propriétaire du navire en 2013. Elle le revend un an plus tard, en 2014, en réalisant une plus-value.

L’abattement applicable sur cette plus-value sera établi comme suit:

• durée totale de détention: six ans (de 2008 à 2014);

• durée de détention sous le régime de la taxe au tonnage: un an (de 2013 à 2014);

• abattement applicable sur la plus-value: 1/6, soit 16,67 %.

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