JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): QUEL A ÉTÉ LE CONTEXTE DE VOTRE ARRIVÉE À LA FEPORT?
LAMIA KERDJOUDJ-BELKAID (L.K.-B.): J’ai pris mes fonctions en tant que secrétaire générale de la Fédé ration européenne des opérateurs portuaires privés (Feport) le 1er mars avec pour mission de repositionner cette structure comme l’une des parties prenantes importantes du secteur maritimo-portuaire. Mon arrivée à la Feport marque sans doute un moment particulier de la vie de la fédération puisqu’elle intervient à un moment qui pourrait être assimilé à la fin d’un premier cycle et au début d’un nouveau, empreint, sans doute, de davantage de « maturité ». Après une existence de plus vingt années au cours desquelles la Feport a fait sa place parmi d’autres acteurs, notamment à la faveur de certains dossiers tels que les paquets portuaires qui ont nécessité une action défensive forte, nous abordons maintenant une nouvelle étape. Nous allons bien sûr poursuivre le suivi de certains dossiers clés mais nous aspirons désormais à initier des débats plus stratégiques pour notre secteur, à interpeller les acteurs institutionnels communautaires sur des sujets fondamentaux pour les ports de l’Union européenne (UE) à l’horizon 2030. La Feport souhaite contribuer aux débats de façon plus aboutie. Nous sommes une jeune fédération. Nous n’avons pas autant de ressources que d’autres acteurs du secteur maritimo-portuaire, mais nous disposons d’une structure « agile ». Nos règles de travail, de fonctionnement mais aussi d’élaboration de positions communes devraient, en effet, nous permettre de dépasser l’inertie et/ou l’absence d’action coordonnée qui peuvent caractériser les fédérations de taille plus importante.
JMM: QUEL EST VOTRE RÔLE?
L.K.-B.: Mon rôle est de bâtir une stratégie à moyen et long terme. En effet, je fais partie de ces professionnels du lobbying et des affaires publiques qui croient en l’anticipation et en la proactivité. Il n’y a rien de pire que d’attendre que l’épée de Damoclès tombe sur vous et de subir. Il faut toujours anticiper, être une force de proposition car c’est comme cela que l’on acquiert un avantage compétitif. C’est un exercice pas toujours facile, mais c’est le rôle des directions de la stratégie ou du développement ou des affaires extérieures au sein des grands groupes ou des multinationales. C’est de cette façon que ces derniers continuent à être performants, à innover. C’est ce modèle que j’ai eu l’occasion de déployer et de tester dans le passé que je souhaite mettre en place au sein de la Feport. Nous sommes une fédération qui représente des entreprises privées résolument engagées dans la bataille de la compétitivité, de la concurrence intra et interportuaire, il ne faut pas l’oublier. C’est la performance de nos entreprises qui fait, entre autres, la force et la compétitivité des ports européens. Les entreprises représentées par la Feport excellent dans leur domaine. Elles ont besoin de leur fédération pour les aider à continuer à exercer leurs activités de manière sereine. Elles ont aussi besoin de construire ensemble une vision de l’évolution du secteur à un horizon plus lointain, c’est-à-dire à 20 ou 30 ans. Pour y parvenir, il faut parler de tous les sujets importants autorisés par les règles du Traité fondateur de l’UE (TFUE), même les plus difficiles et pour lesquels le consensus semble compliqué à obtenir. Mais telle est la condition pour peser sur les débats. Une partie de ma mission consiste à repositionner la Feport comme une des parties prenantes importantes dans le secteur maritime et portuaire. Un peu plus de 20 ans après sa création, la Feport souhaite être représentative d’un segment particulier du secteur portuaire. Les opérateurs portuaires ne sont pas des entités publiques mais privées. Elles prennent des décisions d’investissements privés qui mobilisent des montants considérables pouvant atteindre plusieurs milliards d’euros partout en Europe. C’est pour cette raison que nos opérateurs ont besoin de stabilité juridique et fiscale pour investir. La Feport, c’est 1 700 opérateurs de terminaux répartis dans toute l’Europe. Contrairement à leurs clients armateurs, les opérateurs portuaires privés européens ne sont pas mobiles. Ils sont basés dans les ports de l’UE. Les concessions de terminaux sont octroyées pour plusieurs décennies, 20, 30 ans, voire plus. Nos clients, eux, sont mobiles et n’ont aucune obligation de continuer d’escaler à un terminal pour des durées aussi longues. La « volatilité » de nos clients est un risque que les opérateurs de terminaux sont capables de gérer. Elle les motive pour rester compétitifs et performants, y compris lorsque la taille des navires atteint des proportions gigantesques. Peser sur les débats est l’une des raisons d’être de la Feport et cela implique d’être « pourvoyeur d’expertise ». Influencer de façon professionnelle, c’est convaincre, persuader sur la base factuelle de données chiffrées. Il faut « respecter » ses interlocuteurs institutionnels en leur apportant des éléments de contexte qui leur permettent de mieux appréhender la réalité du secteur. C’est aussi une façon de les responsabiliser car ils ne peuvent pas prétendre ensuite qu’ils ne connaissaient pas la portée de leurs actions politiques et leurs conséquences. Pour être « pourvoyeur d’expertise », la Feport s’appuie sur ses membres et sur sa structure interne, à savoir les trois comités permanents. L’un se consacre à l’environnement et à la sécurité-sûreté. Un autre est en charge des questions sociales dont font partie les sujets du dialogue social européen lancé en juin 2013. Le troisième travaille sur la stratégie portuaire, ce qui inclut toutes les questions stratégiques et prospectives. Ces trois comités sont les piliers de la Feport en termes de travail, d’expertise et de collecte des données du marché. Ils sont chargés d’élaborer des recommandations en vue d’une validation par le comité exécutif (Board of Directors) de la Feport. Il était important pour moi de structurer ainsi le travail car les process et procédures internes permettent d’inscrire l’action dans la durée de façon pérenne. Enfin, mon rôle au quotidien consiste à encadrer notre petite équipe, à animer les travaux en interne, à coordonner l’action de la Feport avec celle de nos membres, à dialoguer avec toutes les parties prenantes, à construire la cohésion interne, établir une relation de confiance avec nos interlocuteurs, à consolider nos réalisations sur certains dossiers, à préparer l’avenir grâce à nos membres et pour nos membres.
JMM: QUEL EST L’OBJECTIF DE LA FEPORT À BRUXELLES?
L.K.-B.: Notre rôle est d’abord d’expliquer, de convaincre le plus en amont possible, en « temps de paix », de tous les sujets. Il n’y a rien de pire que de faire du lobbying en temps de crise ou d’urgence, c’est-à-dire lorsqu’un texte est sur la table et que vos intérêts sont en compétition avec ceux d’autres. Aussi, il faut faire de la pédagogie très tôt, avancer ensemble avec d’autres acteurs lorsque cela est pertinent, c’est-à-dire construire des coalitions et des alliances lorsque cela est possible. Il faut également ne pas constamment tout rejeter. Nous ne vivons pas dans une bulle mais dans un monde multipolaire. Il faut prendre en considération le fait que nos interlocuteurs institutionnels ont leurs agendas et leurs priorités. Il nous faut les comprendre.
Enfin, il faut expliquer à nos membres que parfois le statu quo n’est pas une option possible. Le rôle d’une fédération est d’alerter ses membres sur la nécessité de bouger, de proposer. De mon point de vue, dire non dans le cadre d’un dialogue, d’une négociation n’est pas professionnel. Un professionnel doit faire preuve de créativité, comprendre les attentes de ses interlocuteurs et être capable de savoir comment promouvoir les intérêts de son industrie de façon constructive. Ce n’est pas facile mais c’est comme cela que l’on fait bouger les lignes. Notre objectif à la Feport est d’infléchir les politiques européennes chaque fois qu’elles ne tiennent pas compte des réalités de notre industrie et pénalisent nos opérateurs. Il est d’éviter de subir. Pour cela, il faut faire des propositions. Il est aussi de suggérer au législateur européen de s’emparer de certains sujets de nature à améliorer la compétitivité de notre industrie.
JMM: QUI SONT LES MEMBRES DE LA FEPORT?
L.K.-B.: Nos membres sont de deux natures. Nous avons des associations nationales comme l’Unim, membre fondateur de la Feport, et des entreprises ou groupes internationaux. Ces derniers sont soit des acteurs globaux comme PSA, Hutchinson, DP World, soit des acteurs européens de premier plan comme Eurogate, HHLA, Terminaux de Normandie, etc. Cela donne à la Feport un ancrage très fort dans la réalité opérationnelle. Je le constate régulièrement au sein des comités. En effet, à chaque fois que nous avons un sujet technique, nous parvenons à mobiliser des experts dans les entreprises directement et par le biais des associations nationales. C’est une vraie force.
JMM: QUEL EST LEBILANDE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE LA FEPORT ORGANISÉE LE 5 DÉCEMBRE?
L.K.-B.: L’assemblée générale de 2014 a été un moment fort. Tous les membres de la Feport y ont assisté. À cette occasion, le plan d’action pour 2015 a été adopté. Ce plan stratégique vise à positionner la Feport sur un certain nombre de dossiers dont le règlement portuaire fait partie, mais pas seulement. Tout au long de l’année 2015, nous allons prendre position sur un certain nombre de sujets dont la formation ou l’environnement, par exemple, car nos membres font beaucoup de choses qui ne sont pas connues et il est grand temps de les faire connaître. La démarche dynamique et proactive que nous voulons mettre en œuvre reflète aussi la diversité des aspirations de nos membres. Ceux-ci sont des grands groupes, des entrepreneurs de père en fils ou encore des sociétés familiales non cotées en Bourse. Tous veulent faire reconnaître aujourd’hui la spécificité de leur activité, sa contribution à la chaîne de valeur. Dans un port, on l’oublie souvent, c’est l’opérateur portuaire qui charge et décharge les marchandises. Dans la majorité des ports de l’UE, les autorités portuaires concèdent des terre-pleins, des quais puis ce sont les opérateurs privés qui équipent ces quais où des navires accostent. Si les quais ne sont pas équipés par les opérateurs, il n’y a pas de navires qui accostent et donc pas d’activité. Les décisions d’investissement impliquent une prise de risque importante pour les entreprises de manutention. Une fois la décision prise d’acheter un ou des portiques à plusieurs millions d’euros, il faut les commander, les recevoir, les installer. Après, la bataille commence: il faut faire venir les navires. Opérateur de terminal, c’est donc un métier avec des objectifs de rentabilité.
JMM: QUELLE DÉMARCHE EST MISE EN ŒUVRE POUR CONCRÉTISER LE NOUVEAU POSITIONNEMENT DE LA FEPORT?
L.K.-B.: Nous sommes ouverts au dialogue, un dialogue à 360° qui n’exclut personne car nous souhaitons que nos interlocuteurs – qu’ils soient institutionnels ou non institutionnels – intègrent les spécificités de notre secteur. Nous sommes une fédération qui ne veut pas être perçue comme un interlocuteur qui dit non à tout car cela est contreproductif et pénalisant. Nous voulons expliquer notre activité de manière pédagogique sans tabou ni omission car tous nos opérateurs sont fiers d’exercer leur métier. Telle a été notre attitude concernant les questions environnementales, objet d’une consultation récente de la Commission. Nous avons contribué, nous avons expliqué. Nous avons indiqué que nous avions déjà une méthodologie pour les calculs des émissions des terminaux avec des solutions mises en place depuis 2005 par certains membres de la Feport. Nous avons souligné que ceux-ci étaient en avance sur ce sujet. Dans ces conditions, nous avons pu demander à la Commission de ne pas tout réinventer, de regarder ce qui se fait déjà et d’œuvrer avec nous. Ce dossier est vraiment symbolique du parti pris de notre nouveau positionnement: ne pas dire non a priori, être constructif, avoir un esprit collaboratif. Les questions environnementales et de responsabilité sociétale sont une réelle préoccupation dans nos sociétés aujourd’hui. Elles sont tout sauf cosmétiques pour les groupes et entreprises que la Feport représente. Nous sommes face à une « lame de fond » que nous choisissons d’accompagner plutôt que de nous y opposer. Nous ne vivons pas dans une bulle. Nous sommes lucides et pragmatiques. Nous sommes installés dans les ports qui sont situés à proximité des villes dont les citoyens acceptent mal les nuisances des activités industrialo-portuaires. En Scandinavie, plusieurs ports travaillent sur la cohabitation avec la ville. Les opérateurs portuaires investissent, font des efforts sur la réduction du bruit ou des émissions car cela va dans le sens d’une intégration et d’une acceptation meilleures de leurs activités par les riverains. La Feport est ouverte au dialogue. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous ne nous battrons pas pour défendre nos positions de façon très ferme si cela s’avère nécessaire, par exemple concernant le règlement portuaire.
JMM: COMMENT SE DÉROULE LE DIALOGUE SOCIAL À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE ENTRE LES REPRÉSENTANTS DES EMPLOYEURS ET DES TRAVAILLEURS PORTUAIRES?
L.K.-B.: De mon point de vue, dans un contexte de crise économique, le dialogue social est tout sauf un sujet à prendre à la légère. La première réunion du dialogue social à laquelle j’ai assisté lorsque j’ai rejoint la Feport en mars m’a interpellée tant par son contenu que sa forme. Beaucoup de scepticisme, de la méfiance de part et d’autre y compris vis-à-vis de la Commission européenne car, rappelons-nous, deux paquets portuaires ont marqué les esprits. Depuis, beaucoup de chemin a été parcouru grâce à l’intelligence et à la responsabilité des différentes parties prenantes au dialogue social. Depuis le mois de mars, nous avons fait du chemin. Nous avons aujourd’hui une véritable plate-forme d’échange constructif qui va sans doute nous permettre de surprendre beaucoup de monde, surtout du côté des institutions européennes. Les employeurs et employés du secteur portuaires sont prêts à faire face aux défis et aux enjeux qui se présentent. Au sein de la Feport, nous sommes plus que jamais conscients d’employer des milliers de travailleurs portuaires et que la performance des entreprises passe par une vision partagée de l’avenir. Il faut barrer la route aux préjugés, à la peur, à la méfiance, aux idées reçues. Il faut être capable de parler de tout. Il ne doit pas y avoir de tabous. Il peut y avoir des divergences mais pas de non-dits car ce sont eux qui font le lit des positions radicales et destructrices portées par une minorité d’acteurs. Pas de tabou, cela signifie que nous sommes prêts à parler de sujets comme l’automatisation ou la semi-automatisation, la surcapacité, l’évolution du marché, la concurrence, etc. Prenons l’exemple de l’automatisation. Il est quelque peu immature de croire que le fantasme de tous les opérateurs portuaires est d’avoir des terminaux automatisés fonctionnant sans aucun être humain partout en Europe. Certes, dans certains endroits, là ou les types de navires traités ou le modèle d’affaires le justifient, il y a des terminaux automatisés. L’automatisation ou la semi-automatisation n’est toutefois pas la panacée. Les opérateurs eux-mêmes le disent. Certains opèrent sur des terminaux traditionnels, d’autres sur des semi-automatisés ou complètement automatisés. Il faut comprendre que derrière la question de l’automatisation, il y a un enjeu de productivité dictée par les attentes des clients des opérateurs portuaires. Pour moi, ce sujet est assez emblématique des transformations du secteur depuis quelques décennies qui doivent faire l’objet de discussions entre employeurs et employés. Je fais le pari que nous parviendrons à parler de tout car tel est notre intérêt à tous, mais aussi notre responsabilité de prendre notre destin en main et faire de la majorité des ports européens les meilleurs au monde.
JMM: QUE SIGNIFIE LA DÉCLARATION SIGNÉE CONJOINTEMENT PAR LES REPRÉSENTANTS DES TRAVAILLEURS PORTUAIRES ET DES EMPLOYEURS SUITE À LA DERNIÈRE RÉUNION DU DIALOGUE SOCIAL EUROPÉEN?
L.K.-B.: Ce qui s’est passé lors de la réunion du dialogue social du 12 décembre est très important, notamment au lendemain de la décision de la Cour de Justice de l’UE (CJUE) relative aux règles de recrutement des travailleurs portuaires en Espagne. ETF et IDC, les syndicats participants au dialogue social, auraient pu opter pour un boycott de la réunion suite à la décision de la CJUE. Tel n’a pas été le cas. Cela confirme ce que j’ai évoqué précédemment sur le sens des responsabilités. Au lieu d’une rupture du dialogue, nous avons signé et publié une déclaration commune. Nous avons acté un engagement conjoint à poursuivre le dialogue social et à l’élargir. Selon moi, pour le secteur de la manutention, c’est un événement fondateur car il augure de discussions et de développements positifs. Nous avons souhaité tous ensemble signifier à la Commission européenne que nous sommes capables de parler de tous les sujets. Nous allons donc élargir le champ des thèmes abordés dans le cadre du dialogue social. Cette étape est importante car dans un contexte de crise comme celui que connaît l’UE, il est important que les partenaires jouent un vrai rôle pour préserver l’avantage compétitif des ports de l’UE face à la concurrence des ports non-européens, mais aussi l’emploi dans le secteur. Représentant la majorité des employeurs (entreprises de manutention) au niveau européen, la Feport est bien décidée à mettre l’énergie et l’implication nécessaires pour réussir le dialogue social.
JMM: QUEL EST LE CONTENU DE LA DÉCLARATION CONJOINTE?
L.K.-B.: Nous avons un programme de travail pour le dialogue social à l’échelle européenne entre les représentants des travailleurs portuaires et des employeurs qui comprend la formation et les qualifications, la santé et la sécurité, la promotion du travail des femmes. Cet agenda va continuer à être déroulé en 2015. Au travers de la position commune Feport, Espo, IDC et ETF, nous avons voulu signifier à la Commission européenne que nous nous sentons suffisamment responsables et engagés pour élargir le champ des discussions à d’autres sujets que ceux initialement prévus. Par ce texte commun, nous informons la Commission que nous allons élargir le champ des discussions pour prendre en considération l’évolution du marché. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que la Commission européenne s’abstienne de proposer des textes législatifs relatifs à des sujets qui pourraient être traités dans le cadre du dialogue social européen.
JMM: QUE PEUT FAIRE LA COMMISSION EUROPÉENNE SUITE À LA DÉCLARATION CONJOINTE?
L.K.-B.: Nous souhaitons que notre demande à la Commission européenne soit entendue car nous sommes bien décidés à utiliser les prérogatives qui découlent du Traité fondateur de l’UE (TFUE) régissant le dialogue social. Nous espérons également avoir prochainement la confirmation de la part de la Commissaire aux Transports, Violeta Bulc, que le secteur portuaire européen aura son soutien. Nous espérons qu’elle partage notre vision du rôle que le dialogue social peut jouer pour préparer l’avenir, préserver la compétitivité et la productivité dans les ports européens.
JMM: QUEL PEUT ÊTRE LE RÔLE DE LA COMMISSAIRE AUX TRANSPORTS VIOLET A BULC PAR RAPPORT LA DÉCLARATION CONJOINTE?
L.K.-B.: Nous attendons une réaction de sa part à la position Feport, Espo, IDC et ETF sur le dialogue social. Dans ces récentes déclarations, la commissaire aux Transports Violeta Bulc a déclaré qu’elle n’était pas une partisane de la réglementation pour la réglementation. Elle semble vouloir s’abstenir de faire de nouvelles propositions sauf si cela s’avère nécessaire. Cela constitue plutôt une bonne nouvelle. Violeta Bulc dit également vouloir accorder de l’importance au dialogue social. Enfin, elle souhaite être à l’écoute de l’industrie. Bien qu’il nous manque encore des éléments tangibles pour savoir ce que sera son programme de manière claire, nous avons déjà affiché notre volonté de coopérer avec la commissaire aux Transports et son cabinet mais aussi avec les différents services de la direction des Transports. Nous espérons une réaction positive et un soutien au dialogue social.
JMM: OÙ EN EST LE PROJET DE RÈGLEMENT PORTUAIRE?
L.K.-B.: Après une interruption du travail législatif au niveau du Parlement européen sur le projet de règlement portuaire du fait des élections européennes, le texte a fait l’objet de discussions, d’amendements et, enfin, d’une approche générale par le Conseil européen des Transports au cours de la présidence italienne au deuxième semestre 2014. Nous avons aujourd’hui deux textes qui cohabitent. Le Parlement et le Conseil n’ont pas encore officiellement commencé à discuter du contenu des deux versions. Le rapporteur du Parlement, Knut Fleckenstein, a évoqué un nouveau travail sur le texte, sans doute pas avant le printemps 2015. À la Feport, nous avons suivi tous les travaux au sein du Conseil comme nous l’avions fait pour le Parlement. Nous sommes satisfaits de constater que les trois institutions ont exclu la manutention du chapitre II du règlement relatif à l’accès au marché, confirmant ainsi que le secteur est bien ouvert à la concurrence. Cela étant dit, nous demeurons dubitatifs concernant la raison d’être de ce texte qui continue à nous échapper. Est-ce vraiment urgent de s’attaquer aux services portuaires alors que d’autres sujets importants évoqués lors de la consultation de la Commission en 2007 suite au rejet des deux précédents textes sur la libéralisation des services portuaires ne sont pas abordés? Quels sont les sujets clés pour les ports à l’horizon 2030? Est-ce justifié d’aborder le secteur portuaire de façon parcellaire et fragmentée? Concernant le texte du règlement lui-même, de nombreux articles tels que proposés par le Conseil ont introduit des principes de subsidiarité. Cela est plus que surprenant pour un règlement et va à l’encontre de l’objectif d’harmonisation souhaité au départ. Cela signifie pour les opérateurs portuaires, qu’en fonction du pays où ils exerceront leurs activités, les règles risquent de ne pas être identiques. Est-ce vraiment cela que les législateurs souhaitent? En ce qui concerne les entreprises que nous représentons, l’incertitude juridique constitue un réel frein à l’investissement. Nous le ferons savoir à tous nos interlocuteurs car il en va de la compétitivité des ports de l’UE.
JMM: QUELLE EST LA POSITION DES OPÉRATEURS DE TERMINAUX EN MATIÈRE DE CONCURRENCE ET DE LIBÉRALISATION?
L.K.-B.: À Bruxelles, certains réclament davantage de libéralisation et d’ouverture. Sauf que la concurrence pour la concurrence et la libéralisation pour la libéralisation est un dogme qui peut être plus destructeur que générateur de bienfaits pour les secteurs concernés. Au sein de la Feport, nous sommes favorables à la concurrence, à l’ouverture, à la transparence, à l’harmonisation. Nous voulons des règles transparentes, applicables partout, si possible de la même façon, pour éviter toute concurrence déloyale. Toutefois, nous attirons l’attention des institutions communautaires sur la nécessité de légiférer lorsque cela est vraiment nécessaire, une fois l’impact des mesures proposées réellement évalué et qu’il s’avère vraiment positif. La concurrence intraportuaire existe, de même que la concurrence interportuaire qui est encore parfois féroce. Dans la plupart des places portuaires en Europe, au minimum deux opérateurs de terminaux proposent leurs services. Aussi, lorsque nous entendons dire que l’une des priorités de la Commission européenne est la concurrence intraportuaire, nous avons l’impression que Bruxelles fait toujours référence à ce qui peut, ici ou là, dysfonctionner dans une minorité de ports européens pour justifier des propositions législatives pouvant perturber les services d’opérateurs portuaires ouverts à la concurrence dans la majorité des ports de l’UE, et ce, depuis des années.
JMM: QUELLE EST LA POSITION DES OPÉRATEURS DE TERMINAUX EN MATIÈRE D’EMPLOIS ET DE FORMATION?
L.K.-B.: L’emploi constitue un thème majeur avec la crise économique actuelle. Les opérateurs portuaires créent des milliers d’emplois et investissent chaque année des montants considérables pour la formation des travailleurs portuaires. Dans le cadre du dialogue social européen, les efforts des employeurs que nous représentons sont reconnus par les organisations syndicales. En Europe, pour les travailleurs portuaires, nous disposons des meilleurs centres de formations au monde.
JMM: QU’EST CE QUE LE MULTI-TASKING
L.K.-B.: Le multi-tasking ou la promotion des emplois multitâches permet de favoriser l’employabilité et la mobilité des travailleurs portuaires sur les terminaux. Sachant qu’il s’agit d’une mobilité horizontale et verticale pour une gestion optimisée de la main-d’œuvre. Aujourd’hui, un travailleur portuaire peut passer quelques heures sur un portique puis d’autres sur une grue et terminer sa journée en accomplissant d’autres tâches. Dans le cadre d’une gestion optimisée des emplois et des compétences, le multi-tasking peut constituer une option intéressante à discuter voire à mettre en place là où cela est pertinent.
JMM: QUELLE PEUT-ÊTRE L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS DE LA MANUTENTION À L’HORIZON 2030?
L.K.-B.: Dans le cadre du projet EU Portraits lancé par la Commission européenne, Feport, Espo IDC et ETF ont demandé au consortium d’identifier les besoins en formation dans le secteur portuaire à l’horizon 2030. Quels seront les métiers en 2030? Quels sont les prérequis pour les exercer? Comment faire évoluer les métiers actuels vers les mutations nécessaires? Comment créer des passerelles entre les métiers en développant le multi-tasking? Cela revient à élaborer une cartographie des métiers du futur utile dans le cadre du dialogue social européen et qui permettra d’anticiper l’avenir.
JMM: COMMENT AMÉLIORER LA PLACE DES FEMMES DANS LE SECTEUR DE LA MANUTENTION?
L.K.-B.: Nous avons signé avec nos partenaires du dialogue social une position commune dans laquelle nous avons tous pris l’engagement de nous assurer qu’il n’y a pas de discrimination envers les femmes souhaitant accéder aux professions portuaires. Certains membres de la Feport font déjà des campagnes de recrutement en direction des femmes. Ces campagnes ont rencontré un vrai succès même si celui-ci reste limité, hélas. Dans plusieurs ports, des femmes occupent des postes de grutier, portiqueur, conducteur de chariot-cavalier, etc. Nos membres souhaitent faire encore plus en faveur de l’inclusion des femmes dans le secteur. Toutefois, nous sommes persuadés que nous n’y réussirons que si les travailleurs portuaires masculins soutiennent la démarche. En effet, comme dans beaucoup de secteurs où les femmes sont minoritaires, l’inclusion et l’intégration ne peuvent réussir que si les travailleurs en place y contribuent. Le secteur de la manutention portuaire souffre d’une image archaïque et dépassée qui rebute les femmes mais aussi les jeunes. Nous devons tous travailler à modifier cette perception négative. C’est une priorité de la Feport en 2015. Notre nouveau site internet, qui comprend de nombreuses vidéos et photos, devrait contribuer à donner une autre image plus moderne, car réelle, du secteur de la manutention.
JMM: QUEL SERAIT VOTRE VŒU POUR L’AVENIR À LA FEPORT?
L.K.-B.: Je souhaite que la Feport devienne chaque jour un peu plus un interlocuteur reconnu, fiable et de confiance pour tous nos partenaires, qu’ils soient institutionnels ou non institutionnels. Je souhaite que notre fédération soit le reflet de la performance, du savoir-faire de nos membres qui opèrent partout dans les ports de l’UE. Je souhaite que la Feport soit reconnue comme force de proposition, c’est-à-dire volontaire et proactive. Enfin, je souhaite que la Feport participe à l’élaboration d’une réelle vision des ports européens à l’horizon 2030. Seule une vision holistique intégrant toutes les dimensions – à savoir attractivité pour l’investissement, financement des infrastructures, aides d’État, transparence des règles applicables, concurrence des ports non européens, etc. – permettra aux acteurs du secteur portuaire en général comme aux opérateurs portuaires privés que la Feport représente de préserver leur avantage compétitif et de continuer à offrir les meilleurs services dans les ports européens.
JMM: QUEL SERAIT VOTRE VŒU POUR LE SECTEUR MARITIME ET PORTUAIRE?
L.K.-B.: L’industrie maritimo-portuaire gagnerait à utiliser l’intelligence individuelle des parties prenantes de façon plus collective. Je m’explique: ainsi que je le dis précédemment, je crois à la coresponsabilité et la proactivité. Nous avons les politiques européennes que nous méritons du fait de notre inaction ou de notre « corpo-centrisme ». Chaque fédération est souvent en compétition seulement avec les autres et centrée sur elle-même, au grand bonheur des acteurs institutionnels qui peuvent ainsi, plus que jamais, jouer leur rôle d’arbitre. Il n’existe pas aujourd’hui de plate-forme d’échange de l’industrie impliquant tous les acteurs de la chaîne de transport en amont et en aval du maillon maritimo-portuaire alors que beaucoup de sujets nous concernent tous. Par exemple, les douanes, la sûreté, la santé, la sécurité, etc. Pour des raisons qui ne peuvent être pragmatiques, il y a très peu de concertations multilatérales dans la durée ou de positions communes en dehors de sujets conjoncturels ou ad hoc entre les acteurs de la chaîne. Lorsque j’ai commencé à travailler à Armateurs de France en 1998, il existait une plate-forme intéressante: le Forum des industries maritimes. Celui-ci regroupait tous les acteurs institutionnels et non institutionnels du cluster maritimo-portuaire européen. Toute la chaîne de l’industrie était représentée: construction navale, commissionnaires de transport, opérateurs portuaires, autorités portuaires, chargeurs, armateurs, services portuaires technico-nautiques. Ce Forum composé de différents groupes de travail permettait l’échange et a, par exemple, vu naître toutes les initiatives en faveur du Short Sea Shipping. Mon propos ne vise pas à recommander la relance de ce Forum. Il vise à alerter mes collègues des autres fédérations sur la nécessité d’avancer de manière moins dispersée; certaines industries en ont fait les frais lorsque la machine législative s’est emballée. Il s’agit de construire ensemble une vision globale sur les sujets transversaux, de faire des propositions avec un réel contenu et non pas juste de la communication comme c’est, hélas, souvent encore le cas. C’est notre intérêt à tous si nous parvenons à faire preuve d’empathie et de professionnalisme. À la lumière de ce que je viens d’évoquer, mon vœu pour le secteur maritimo-portuaire serait sans doute que nous réussissions tous ensemble à démontrer au plus grand nombre que l’économie européenne est soutenue par notre action individuelle et collective. Et que nous contribuons tous les jours à la création de milliers d’emplois dans l’UE. C’est très concret et, je l’espère, de nature à nous attirer le soutien d’acteurs institutionnels européens.
Une professionnelle du transport maritime
Lamia Kerdjoudj-Belkaid est secrétaire générale de la Fédération européenne des opérateurs portuaires (Feport) depuis mars 2014. Elle possède une expérience professionnelle de plus de 18 ans en ayant occupé différentes fonctions dans le secteur maritime et logistique. Elle a notamment été responsable des affaires extérieures chez Armateurs de France pendant sept ans. Elle a alors suivi l’élaboration du paquet Erika et les deux projets de paquets portuaires. Elle a également participé en tant qu’expert senior et conseiller à plusieurs projets européens financés par différentes directions générales de la Commission européenne. Lamia Kerdjoudj-Belkaid détient différents masters en transport maritime et logistique ainsi qu’en littérature britannique. En 2008, elle a obtenu un MBA de l’Essec et de l’école de commerce de Mannheim.
Des pratiques de recrutement de travailleurs portuaires en Espagne contraires aux règles européennes
Le 11 décembre, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu l’arrêt suivant: « En obligeant les entreprises d’autres États membres souhaitant exercer l’activité de manutention de marchandises dans les ports espagnols d’intérêt général, d’une part, à s’inscrire auprès de la société anonyme de gestion des dockers (Sociedad Anónima de Gestion de Estibadores Portuarios – Sagep) ainsi que, le cas échéant, à participer à son capital et, d’autre part, à recruter en priorité des travailleurs mis à disposition par cette société, dont un nombre minimal de ceux-ci engagé de manière permanente, le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 TFUE. » Le recours de la Commission européenne contre l’Espagne annoncé le 20 juin 2013 obtient ainsi un résultat positif. À l’appui de sa requête, la Commission européenne a souligné que « les entreprises de manutention de marchandises ne sont pas autorisées à recourir au marché pour recruter leur personnel dans les principaux ports espagnols », notamment ceux de Barcelone, Algésiras, Valence et Bilbao. « Au contraire, les règles en vigueur les obligent à participer financièrement au capital d’entreprises privées (Sagep), qui leur fournissent en retour la main-d’œuvre nécessaire. » Dans ces conditions, « les entreprises de manutention de marchandises ne peuvent librement recourir au marché pour recruter du personnel que si la main-d’œuvre proposée par ces entreprises privées ne convient pas ou est insuffisante ». La Commission a estimé que ces pratiques restrictives risquaient de dissuader les entreprises de manutention d’autres États membres de s’établir dans les ports espagnols. Une telle situation constituant alors « une atteinte aux dispositions de l’article 49 du Traité fondateur de l’UE (TFUE) relatives à la liberté d’établissement » qui s’appliquent pleinement aux activités portuaires comme à toutes les autres.