On savait que les conteneurs pouvaient tomber à l’eau les jours de grande tempête d’hiver, ou que leur poids brut marchandise pouvait être assez souvent mal déclaré. Depuis 2004, on « découvre » qu’ils peuvent aussi intoxiquer plus ou moins gravement le personnel qui les dépotent. Pour éviter que des parasites et autres insectes ravageurs se déplacent d’un continent à l’autre avec la marchandise, la convention internationale pour la protection des végétaux de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) exige, depuis des années, que la cargaison des vraquiers céréaliers soit fumigée avec des gaz hautement toxiques. Quelques accidents souvent mortels ou des cas suspects ont été recensés depuis 2006, visant principalement des navigants victimes de la phosphine, gaz dédié aux produits alimentaires.
Pour les mêmes raisons, les conteneurs venant d’Asie ou d’Amérique du Sud doivent également être fumigés quand ils contiennent des produits alimentaires, des vêtements, du textile ou de l’électronique. Compte tenu de la dangerosité des gaz de fumigation, il est également obligatoire d’installer sur les portes du conteneur un panneau agrémenté d’une tête de mort indiquant la date de la fumigation, le type de gaz utilisé et la date de la ventilation ainsi que la mention « Défense d’entrer ». En 2004, cinq dockers néo-zélandais meurent immédiatement après avoir ouvert un conteneur. Un sixième est atteint de graves troubles neurologiques.
De nombreux accidents
À Rotterdam, en 2007, deux dockers perdent connaissance à l’ouverture d’une boîte et sont hospitalisés durant quatre jours en soins intensifs. Sept ans plus tard, ils connaissent toujours des troubles neurocognitifs et sont définitivement inaptes au travail. À Hambourg, 26 cas d’intoxication à des produits de fumigation sont analysés: 19 ont eu lieu à l’ouverture et au dépotage des conteneurs. Chez un importateur néerlandais d’électroménager, quatre proposés au dépotage des conteneurs sont intoxiqués en dix mois. À Melbourne et à Brisbane, les douaniers procèdent à des prises d’échantillons qui montrent que dans les cartons mêmes, on trouve des concentrations 30 à 50 fois supérieures à la valeur limite d’exposition (VLE), variable selon le gaz.
Une certaine émotion s’empare des autorités sanitaires allemandes et néerlandaises qui mènent alors des études qualitatives sur leurs importations conteneurisées. Dix à vingt pourcents posent des problèmes sanitaires directement liés à la présence non signalée de gaz de fumigation ou à leur surdosage. Soixante-dix pourcents de ces conteneurs présentent des concentrations supérieures aux VLE professionnelles sur 8 h; 35 % ont des concentrations supérieures aux VLE sur 15 mn (pic); 0,6 % présente des concentrations immédiatement mortelles, a rappelé le professeur Baur, chef du service de santé au Travail à l’Université de la Charité de Berlin. Plus de 55 % des conteneurs qui contenaient des chaussures posaient des problèmes sanitaires. Ce pourcentage était de plus de 45 % pour les conteneurs de meubles ou de produits alimentaires, de plus de 30 % pour de l’électronique.
Merci à la CGT et au Monde!
En France, il faut attendre 2010 pour que la CGT des Douanes, soutenue par celle des dockers, commencent à ruer dans les brancards. Cela déclenche une première étude menée dans le port du Havre par l’INRS-Carsat Normandie sur la meilleure façon de ventiler les conteneurs.
Mais la prise de conscience nationale remonte au 2 janvier 2013, a expliqué la représentante du ministère du Travail, lorsque le quotidien Le Monde publie un article intitulé « Des millions de conteneurs maritimes hautement toxiques ». Le rapport de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail de 2011 n’avait pas été suffisant.
L’impulsion est donnée: visite sur place au Havre en janvier, analyse réalisée par la direction générale du Travail, accord du cabinet du ministre, création du groupe de travail interministériel en juillet 2013, nouvelles études sur la ventilation, etc. D’ici à la fin de l’année devrait donc sortir une circulaire d’information sur la nature des principaux gaz et leur VLE professionnelle et les activités professionnelles concernées (environ 200 000 travailleurs seraient en risque dont de nombreux intérimaires). Cette circulaire rappellera les réglementations applicables et formulera les premières « recommandations » de prévention et de protection. En clair, la machine administrative française s’ébranle sans nécessairement tenir compte de ce qui se pratique ailleurs, à Anvers, à Rotterdam ou à Hambourg. Or, les flux logistiques conteneurisés sont « sensibles » à la concentration des contrôles quelle que soit leur nature. Ainsi le professeur Baur a-t-il souligné que lorsque des médecins allemands ont voulu suivre sur le long terme les concentrations de gaz de fumigation introduits dans des conteneurs chargés de feux d’artifices chinois, au bout de quelques semaines, ces boîtes n’ont plus été déchargées à Hambourg mais ailleurs. En d’autres termes, ce dossier ne peut être correctement traité qu’avec un règlement européen (qui interdit une adaptation nationale) dont la stricte application sera assurée par un audit réalisé par une agence européenne. Sans oublier la nécessaire publication de ce contrôle communautaire. Les errements constatés dans le contrôle des navires par l’État du port avant les audits de l’Agence européenne de sécurité maritime doivent être pédagogiques. Les places portuaires nord-européennes sont en concurrence, y compris sur les contrôles de sécurité ou sanitaires. L’idée de diffuser le nom des importateurs est à étudier afin qu’ils fassent pression sur leurs fournisseurs.
Ce dossier est suffisemment important pour avoir été abordé lors de la dernière rencontre UE-Chine relative à la santé au travail, en septembre, a indiqué la représentante du ministère du Travail. En effet, si tous les exportateurs d’Extrême-Orient ou d’Amérique du Sud respectaient la réglementation internationale, douaniers, dockers, personnel des entrepôts, chauffeurs routiers, techniciens d’entretien, frigoristes et déménageurs seraient parfaitement informés de la présence de gaz toxiques et ne risqueraient pas leur santé.
Les solvants relargués par la marchandise
Il n’y a pas que les gaz volontairement introduits dans les conteneurs qui peuvent poser des problèmes par négligence de l’exportateur ou de celle de l’entreprise chargée de les fumiger. Les études allemandes et néerlandaises sur la fumigation ont également mis en évidence la présence d’autres gaz moins immédiatement toxiques mais préoccupants en matière de santé publique. En effet, certaines matières plastiques rejettent « naturellement » du toluène, du benzène et autres solvants plus ou moins cancérigènes ou mutagènes. Dans le milieu confiné qu’est un conteneur, ces produits chimiques s’accumulent et deviennent facilement mesurables. Il va sans dire mais encore en l’écrivant que même après ventilation, les marchandises concernées continuent à relarguer leurs solvants au domicile des consommateurs, autre espace plus ou moins confiné. Et là, il ne s’agit plus de protection du salarié sur son lieu de travail mais de santé publique. Un sujet d’autant plus sensible que le « cocktail » de solvants peut être redoutable. Le benzène est un cancérogène bien connu, ce que n’est pas le toluène. Mais par effet de synergie, le toluène augmente considérablement l’effet cancérogène du benzène.
Aucune étude ne semble exister sur les effets à court et long terme de ces « cocktails ».
Autre préoccupation de santé publique: lors de travaux de repassage de rideaux, deux salariés ont été intoxiqués par du dichloroéthylène, gaz de fumigation relâché par le textile, a rappelé le docteur Lucas, médecin du travail à Brest. Les rideaux pourraient fort bien avoir été directement mis à la vente. Aux Pays-Bas, 1 300 matelas relarguaient du solvant cancérogène.
Solution à Rotterdam
En moins de 15 mn, deux travailleurs portuaires de Rotterdam de moins de 40 ans sont devenus des handicapés lourds après avoir ouvert un conteneur, rappelle Jan De Jong, responsable syndical nommé codirecteur chargé de la prévention contre les gaz toxiques. À la suite d’une grande campagne de sensibilisation, les autorités des Pays-Bas procèdent à des études de toxicologie: 25 cas sont identifiés dont sept présentent des handicaps lourds. La difficulté médicale est d’établir un lien réel entre les différentes pathologies dont souffre le malade et son exposition professionnelle, car rares sont les cas (heureusement) où le travailleur portuaire perd connaissance quelques minutes après l’ouverture du conteneur. Il a fallu cent ans pour établir un lien réel entre les pathologies liées à la peinture et l’exposition aux solvants. Il faut éviter que cela ne se reproduise avec les gaz de fumigation, tonnait Jan De Jong. Toujours est-il que les autorités sanitaires néerlandaises ont établi un protocole strict de contrôle. Les flux de conteneurs sont divisés en trois: il y a celui pour lequel tout le monde sait que le conteneur a été fumigé. Le deuxième, le plus important, où l’on ne connaît pas le statut réel du conteneur. Des échantillons d’air ambiant sont alors systématiquement pris et analysés. Enfin, il y a les conteneurs « sains » toujours importés par les mêmes entreprises qui n’ont jamais posé de problème. Pour s’assurer que ce flux reste sans danger, des échantillons d’air ambiant sont analysés de façon aléatoire. Cette solution n’est pas pleinement satisfaisante, a estimé Jan De Jong, mais elle a le mérite d’exister.
L’état de l’art à Berlin
Les 22 et 23 mai, quinze exposés réalisés par des médecins allemands, américains, chinois, coréens, danois, français, italiens, néerlandais, norvégiens et suédois ont fait le point des connaissances relatives aux dangers potentiels des gaz utilisés dans la fumigation des conteneurs dans le cadre du 7e atelier de la société européenne de la médecine du travail et environnementale, EOM. Les présentations faites durant cet atelier intitulé how to handle imported containers safely sont téléchargeables sur le site