Pour parler du problème des taux de fret en Afrique, tous évoquent les mêmes chiffres, ceux du rapport 2012 de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) sur le transport maritime. Selon la Cnuced, les taux de fret sont de 3 % dans les pays de l’OCDE, de 8 % dans les pays asiatiques et entre 11 % et 13 % en Afrique subsaharienne, principalement en Afrique de l’Ouest et du centre.
Ce taux de fret, qui est le loyer du transport d’un port à un autre, payable par le chargeur au transporteur maritime, est la bête noire des chargeurs africains. « Depuis 1997 et la fin du système de négociation des taux de fret maritime entre l’Union des conseils des chargeurs africains (UCCA) et les conférences maritimes, aucune action significative n’est venue entraver la fixation unilatérale des taux de fret par les armateurs », explique N’Guessan N’Guessan, économiste et consultant en transport multimodal et logistique, basé à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
À l’UCCA justement, on réfléchit à des moyens de pressions, sans que des solutions concrètes n’aient pu encore être mises en œuvre. « Pour que nous puissions négocier avec les armateurs, nous devons former des spécialistes sur ces taux de fret, élaborer un référentiel des taux de fret et mettre en place un comité de suivi applicable pour l’Afrique de l’Ouest et du centre », estime Adamou Abdourahamane, le secrétaire général de l’UCCA, présent lors des journées des chargeurs africains de Brazzaville, en république du Congo, à la mi-novembre.
Autre point sur lequel les chargeurs africains veulent travailler: les textes de loi. « Nous évoluons sans vrai cadre juridique et réglementaire, ce qui nous empêche de négocier à force égale avec les fournisseurs et les clients. Et ce d’autant plus que les prix des produits d’exportations africaines (café, cacao, minerais), des produits importés et les tarifs des transports sont fixés à l’extérieur », rappelle Damas Kakoudja, le représentant Europe et Amériques du Conseil gabonais des chargeurs. En effet, s’il existe un code communautaire de la marine marchande en Afrique centrale, il n’y en a pas pour l’Afrique de l’Ouest.
Situation de monopole
En Afrique subsaharienne, et tout particulièrement en Afrique de l’Ouest et du centre, les transports maritimes sont en situation de monopole, ce qui complique la marge de négociation pour les chargeurs africains. « Ce n’est un secret pour personne que des positions dominantes, des monopoles, voire même des oligopoles se sont constitués doucement mais régulièrement sur les routes maritimes africaines, au niveau des armateurs, des Non Vessel Operating Common Carrier (NVOCC), des entrepreneurs de transport multimodal et des opérateurs de terminaux à conteneur », souligne N’Guessan N’Guessan. Une situation de monopole qui n’est pas près de disparaître tant que des pays d’Afrique de l’Ouest ou du centre ne posséderont pas leur propre flotte.
« Avec la libéralisation, toutes les compagnies maritimes africaines ont disparu, car nous n’avons pas pu résister à la concurrence. Il faut donc une réglementation forte, pour revenir à un armement national et régional », indique Demba Faye, directeur des études et de l’assistance aux chargeurs au sein du Conseil sénégalais des chargeurs. « C’est comme ça, c’est la loi de l’offre et de la demande, mais à court terme l’UCCA s’assemblera pour qu’on puisse renégocier les tarifs », espère Nadine Tamadaho, directrice générale du Conseil des chargeurs du Bénin.
Pour l’instant, pas de marges de manœuvres donc, et aux taux de fret s’ajoutent des surcoûts:
le Bunker Adjustment Factor (BAF), une surcharge tarifaire correspondant aux fluctuations du cours du pétrole brut, le Currency Adjustment Factor (CAF), qui, lui, correspond aux fluctuations du cours du dollar, le Terminal Handling Charge (THC), qui représente les frais de manutention lors du chargement et du déchargement, les charges de congestion portuaire et les surcoûts dit « de guerre », en cas d’instabilité politique.
Le rapport de 2012 de la Cnuced liste également bien d’autres problèmes en Afrique subsaharienne pour expliquer que les armateurs répercutent les coûts sur les chargeurs lorsqu’ils calculent les taux de fret. À savoir: une faible productivité, des taxes élevées, l’engorgement de nombreux ports, l’absence d’infrastructures de transport vers l’arrière-pays et l’incapacité des ports africains à accueillir des navires de gros tonnage, offrant ainsi des taux de fret plus compétitifs.
Au final, ce sont les consommateurs qui en payent le prix fort en voyant le tarif des biens de consommations augmenter, alors que les pays d’Afrique subsaharienne sont parmi les plus pauvres au monde.