Bien que les marins-pêcheurs ne soient pas le cœur de cible du JMM, leur consommation de drogues pourrait susciter des recherches sur les navires de commerce. Selon l’étude présentée par le docteur Thierry Lassière, du service de santé des Gens de mer de Bordeaux et portant sur 1 000 marins-pêcheurs d’Aquitaine et de Charente maritime, tout type de pêche confondue, il y a une forte surconsommation de cannabis et de cocaïne chez les jeunes de 20 à 25 ans par rapport à leurs homologues terriens. Plus le temps passé en mer est « long » (supérieur ou non à 24 h), plus la proportion de consommateurs augmente. Mais il y a plus étrange, car la consommation varie sensiblement selon le type de pêche: au filet, par exemple, 45 % de marins-pêcheurs embarqués plus de 24 heures ont été testés positifs au cannabis, contre 30,5 % pêchant au chalut. Même différentiel pour la cocaïne, 9,3 % au filet contre 5,3 % au chalut.
Par contre, pour un embarquement de moins de 24 heures, les différentiels sont bien moindres: pour le cannabis, 19,5 % au filet et 17,5 % au chalut. Et respectivement 3,2 % et 1,9 % pour la cocaïne.
Cette différence pourrait expliquer, poursuit le docteur Thierry Lassiège, par le fait que la pêche au filet permet de s’isoler la nuit et de consommer, alors qu’au chalut, le bateau est en opération toutes les trois heures. Un travail pénible à très pénible, souvent dangereux, sur de vieux bateaux, un isolement physique voire affectif sont autant de facteurs favorisant la prise de drogues, estime le médecin.
L’usage du cannabis est jugé « préoccupant », tout comme celui de la cocaïne, même si les prévalences sont bien moindres. Mais le risque d’addiction à cette dernière est bien supérieur. Les risques liés à la consommation d’alcool ne doivent pas être pour autant négligés, conclut le docteur. La prévention doit être globale, depuis le lycée jusqu’aux autorités de tutelle sans oublier les conditions de travail à bord.
Ces constatations renforcent celles évoquées lors des 2e Journées de la médecine des Gens de mer de 1996 (JMGM): plus un marin-pêcheur est exposé à l’angoisse de franchir une zone réputée dangereuse (passes de l’étang d’Arcachon), plus il consomme de drogues.
Tout ceci devrait susciter des interrogations sur le comportement d’un marin du commerce dans l’exercice de son métier plus ou moins à risques, et sujet à l’isolement. Sans oublier certains cadres sédentaires soumis à de fortes pressions professionnelles.
La SNCM ou le mythe de Sisyphe
Une représentante de la DRH de la SNCM a présenté la démarche de prévention de l’usage de substances psychoactives par les navigants, démarche mise en place avec l’aide de l’Association méditerranéenne de prévention et de traitement des addictions, Ampta. Cette action a été décidée à l’automne 2012 par le service de l’Armement avec pour objectif d’être mise en œuvre avant la saison 2013, malgré la « méfiance » du CHSCT navigants de la SNCM. Deux cent cinquante-huit navigants, soit environ 64 % des effectifs embarqués ont ainsi été sensibilisés à tout, tabac, alcool et cannabis. Mais pas aux effets délétères d’un turnover anxiogène de dirigeants.
Lors des 2e JMGM de 1996, il a été rappelé qu’après avoir constaté que trois inscrits maritimes marseillais travaillant pour une « compagnie de transports de passagers et de fret » avaient fait une overdose d’héroïne en 1990. À l’initiative d’un officier, ce transporteur avait mis en place en 1992 un comité de pilotage de lutte contre les toxicomanies, associant les bords, le SSGM et une association spécialisée. « Le changement fréquent d’équipes en place a contribué à une prévention chaotique de la toxicomanie », explique le docteur Didier Suzzoni, ancien médecin à bord des ferries de la SNCM. Il s’interroge également sur la façon de mesurer l’efficacité des actions de prévention.
Armateurs, syndicats, même combat
Un représentant de l’Association des armateurs de la Communauté européenne (Ecsa) et un de la Fédération européenne des travailleurs des transports ont présenté ensemble la boîte à outils mise en place pour lutter contre le harcèlement et l’intimidation à bord des navires de commerce. La vidéo « Dites non aux brimades, dites non au harcèlement! », des lignes directrices et un manuel de formation sont téléchargeables gratuitement en 15 langues sur les sites internet de chaque organisation. L’idée est ancienne. Elle remonte à 2002 lorsque les armateurs britanniques et le syndicat officiers Nautilus ont commencé à travailler sur le sujet. Le projet monte au niveau européen en 2003-2004 lorsque l’Ecsa et l’ETF s’en emparent. En 2010, une étude de Nautilus montre qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour enrayer ces comportements et mettre en valeur des bonnes pratiques. En outre, le nouvel environnement réglementaire (Convention sur le travail maritime de 2006) pousse à une réelle prise en compte du problème. Grâce aux contribuables européens qui financent, au nom du dialogue social, la gratuité de la mise à disposition des outils, ces derniers sont officiellement adoptés fin janvier 2014. La finalité étant de fournir aux compagnies maritimes des pistes pour les informer sur la façon de lutter efficacement contre le harcèlement et l’intimidation à bord. L’Ecsa et l’ETF s’emploient depuis à diffuser le plus largement possible la bonne parole. Il manque peut-être un outil de mesure de l’efficacité du système.
Les élèves sont contents de leur stage
Entre 2010 et 2013, une même cohorte d’élèves-officiers basés au Havre a accepté de répondre au même questionnaire après avoir effectué leur stage embarqué de 1re et de 3e année. Quatre-vingt-quatorze pourcent des stagiaires de 1re année ont apprécié leur embarquement et ont eu le sentiment d’avoir choisi la bonne orientation professionnelle. Ils ont vécu quelques moments difficiles mais « pas insurmontables ». Quatre-vingt-six pourcent des stagiaires de 3e année ont estimé que cet embarquement avait été plus profitable que celui de 1re année car ils disposaient de meilleures connaissances théoriques et une meilleure appréciation du métier et de ses difficultés. Ils ont cependant connu quelques moments « difficiles ».
Soixante-dix-sept pourcent des répondants en 1re année ont estimé n’avoir rencontré aucun problème d’intégration. Et 90 % des 3e année. Ce qui laisse penser que le passage de flambeau d’une génération à l’autre se réalise dans de bonnes conditions. « La difficulté à trouver de nouveaux embarquements en tracasse beaucoup », a cependant conclu le docteur Anne-Sylvie Beaucher, du SSGM du Havre.
Médicaments à usage hospitalier uniquement
La présentation sur le contenu d’une pharmacie de bord conformément à la division 217 et la discussion qui a suivi illustrent le sentiment que l’absorption de substances psychotropes illégales n’est pas une nécessité absolue pour produire des effets indésirables. En effet, cette pharmacie doit obligatoirement contenir des médicaments dits RUH, strictement réservés à un usage hospitalier. Dès lors, une compagnie maritime française ne peut légalement se les procurer, en France. Surtout quand une agence régionale de santé s’en mêle et rappelle à un pharmacien qu’il lui est strictement interdit de les délivrer. Une compagnie marseillaise a donc essayé de contacter directement cinq laboratoires fabriquant ces molécules RUH pour les obtenir. Surprise de ces derniers. Certains ont même préféré les envoyer en tant qu’échantillons gratuits faute d’avoir une procédure adaptée. Tout le monde est parfaitement conscient de cette situation. Sept médicaments RUH font l’objet de discussions entre ministères concernés pour tenter de trouver une solution autre que le système D, plus ou moins illégal. Si en France en particulier, et en Europe en général la situation a tendance à s’améliorer, explique-t-on, cela est moins sûr dans le reste du monde. Un médecin a cependant conseillé à un navire étranger faisant escale dans un port français de « planquer » la morphine de la pharmacie pour éviter que des douaniers ne tombent dessus.
Une certaine indifférence
Lors des 2e JMGM de 1996, le ministre de tutelle, Bernard Pons, avait honoré de sa présence la session consacrée à l’asbestose. En 2002, Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports, avait conclu la première journée de la 8e édition des JMGM. Heureux temps où l’on s’intéressait aux marins, pêche et commerce, autrement qu’en invoquant la sainte trinité: politique maritime intégrée. L’ancien directeur de la DAMGEM, Christian Serradji, peut revenir, il reste encore du travail de sensibilisation à faire. Le facteur humain n’est pas encore totalement pris en considération sur le site marseillais de l’École nationale supérieure maritime. Les écritoires instables de la grande salle de conférence ont fait encore trois nouvelles victimes parmi les participants, fin septembre.