La croisière s’affole: la « Cross Red » ne répond pas

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Le déroulement de l’exercice de santé publique Horizon 2012 réalisé début novembre 2012 fournit déjà un bon départ pour le scénario. L’idée était de simuler la prise en charge d’une urgence sanitaire survenant à bord d’un paquebot de 1 400 passagers et 600 membres d’équipage, tous « polyethniques », explique le docteur Jean-José Leussier, chargé de mission pour le règlement sanitaire international 2005 à l’agence régionale de santé (ARS) de la région Paca. Selon le scénario de l’exercice, dix personnes développent un syndrome fébrile allant jusqu’au vomissement. Quatre d’entre elles connaissent une aggravation rapide vers l’hémorragie entraînant une « souffrance polyviscérale ». Une en meurt cinq jours plus tard. Le premier malade est un steward grec, salarié de la compagnie, qui a été mordu par un rat durant son trekking en brousse dans le sud de l’Afrique centrale, une dizaine de jours après son retour. Sa prophylaxie anti-palu a été correctement conduite. Les objectifs sont d’évaluer l’application des règlements internationaux pour le signalement d’un « incident » grave sur une grande population confinée sur un navire et de tester les capacités de réaction du service médical du bord et des structures hospitalières à terre; ainsi que l’évacuation des malades et la prise en charge des bien-portants.

Faute de moyens financiers, il n’a pas été possible d’évaluer les processus de désinfection des locaux concernés, des matériels et des déchets médicaux. Filiale espagnole de la Royal Carribbean Cruise Line, Pullmantur Cruises a accepté de jouer le jeu. Elle contrôle une filiale française, Croisières de France, qui exploite notamment le paquebot Horizon, en escales régulières à Marseille.

Cross Med ou « Cross Red »?

L’exercice a mal commencé. En effet, le commandant ne savait pas qui prévenir, pensant que le « Cross Med » était une émanation de la « Croix rouge », explique, sérieusement, le Docteur Leussier. L’alerte a donc été donnée avec cinq heures de retard. Ce qui en dit long sur la qualité de la documentation d’un paquebot qui fréquente régulièrement Marseille, et de celle concernant la mise en œuvre du code ISM. La gravité des symptômes justifiait que l’on se pose la question de savoir si le navire devait rester au large ou être autorisé à accoster. Dans l’exercice, il vient à quai. Une équipe médicale d’évaluation dûment protégée monte à bord. Bonne surprise, l’équipage avait « très bien préparé » l’isolement des malades. Des sas d’habillage et de déshabillage étaient opérationnels. Le débarquement s’est moins bien passé car le flux de passagers supposés bien portants a croisé celui des personnes supposées malades ou risquant de l’être.

Fidèle à une certaine tradition administrative française, le représentant de l’ARS Paca n’a pas beaucoup développé le retour d’expérience de l’exercice. Il a cependant souligné que certaines des différentes administrations concernées n’avaient pas fait preuve d’une très grande bonne volonté, l’exercice n’étant pas obligatoire. Ce qui n’est pas sans rappeler le comportement de la préfecture des Bouches du Rhône lors de l’exercice antipollution organisé par la Préfecture maritime de Méditerranée en mai 2009. Horizon 2012 a cependant permis de se remémorer les procédures internationales d’alerte et de moderniser les textes français d’application, même si un décret de 2013 a déjà été retoqué.

Dans la séance réservée aux questions, un médecin de l’hôpital Nord de Marseille, structure notamment spécialisée dans les maladies infectieuses et tropicales, a souligné la très faible capacité d’accueil de malades devant être mis à l’isolement complet: six lits au total. Le déshabillage des équipes médicales portant un scaphandre de protection bactériologique est très compliqué et demande une réelle pratique. Plusieurs fois par jour, les chambres d’isolement doivent être désinfectées. Ce médecin se posait la question de savoir ce que l’on pourrait bien faire des « cas contact »: ces personnes, probablement nombreuses, ayant été en contact un certain temps (variable selon l’infection) avec un malade ou supposé malade et qui n’ont pas développé de symptôme au moment de leur examen.

Le Docteur Leussier a rappelé qu’au-delà d’une heure, il est difficile de supporter le port d’un scaphandre de protection bactériologique et que leurs fabricants sont actuellement à la limite de leurs capacités de production du fait des besoins liés au virus Ebola.

Le débat sur l’accostage ou non ainsi que sur le confinement à quai d’un paquebot présentant un risque infectieux a été animé. Mais à situation exceptionnelle, décision politique, a répondu en substance le représentant de l’ARS: il reviendrait au pouvoir politique de prendre les décisions exceptionnelles qui s’imposeront, comme la « neutrali- sation d’une partie du port ». À Marseille, la configuration du terminal croisière facilite le confinement des passagers, ce qui n’empêchera pas l’usage des téléphones portables. Les interviews en direct au journal télévisé de 20 h sont hautement probables.

Comportements à risques sanitaires

Selon les constatations faites, le médecin d’un paquebot étranger a une tendance naturelle à appeler un hôpital parlant sa langue maternelle, voire son armateur et non pas le Centre de consultation médicale maritime (CCMM), basé à Toulouse. Il est de pratique courante que l’agent de la compagnie organise l’accueil à quai d’un blessé ou d’un malade, sans que les autorités sanitaires en soient informées. Tant qu’il s’agit d’une foulure d’articulation, cela n’a aucune importance. Lorsqu’un simple ambulancier constate que le passager débarquant est dans un état préoccupant et qu’il appelle les Urgences pour qu’elles le prennent en charge, il en va tout autrement. Un cas de méningite a déjà été signalé par les Urgences de Marseille qui se sont adressées au CCMM pour obtenir des explications devant ce type de maladie. Personne n’était au courant.

Le Louise-Russ: de l’exercice à la réalité

Roulier de 174 m d’une capacité de 2 500 ml, immatriculé à Gibraltar, le Louise-Russ a été affrété par le ministère de la Défense pour transporter le matériel destiné aux forces françaises déployées dans l’opération Serval au Nord-Mali. Revenant de Dakar et se trouvant dans la zone de responsabilité française, il envoie, le 13 février 2013, une « demande d’assistance médicale » à son agent maritime (et non pas à « la Cross Red ») car huit de ses dix-sept navigants sont malades. Son agent informe son contact militaire à Toulon. L’alerte est lancée et le Cross Med contacte le roulier alors qu’il se trouve au large de Marseille, à 15 h 30. À 21 h 40, trois équipes médicales (deux militaires et une civile) montent à bord avec leurs équipements de protection, de prélèvement et de tests, le navire se trouvant en rade de Toulon. Finalement, ce sont 12 marins qui ont développé un syndrome viral pseudo-grippal bénin (dont certains depuis six jours), alors que tout ou presque avait été imaginé. Les analyses confirment le caractère bénin du syndrome et le navire est autorisé à se mettre à quai à la base navale de Toulon.

Les conclusions de cette vraie alerte sont les suivantes: la gestion de l’urgence par les services médicaux civils et militaires en coopération avec la préfecture maritime a bien fonctionné. Mais personne n’avait imaginé le cas d’un navire civil affrété par l’Armée, déclarant une urgence médicale. Pourtant, ce n’est pas le premier affrètement d’un navire étranger. Il a donc été décidé qu’une unité civile affrétée par la Défense, transportant du personnel et du matériel militaire, resterait soumise aux procédures civiles, à savoir le RSI 2005 accompagné de ses mesures d’application en cas de maladie suspectée. Ces navires doivent donc, 48 h avant leur arrivée dans un port militaire, envoyer une déclaration maritime de santé à la capitainerie du port pour obtenir leur « libre pratique ». Toute la chaîne de décision en a été informée. L’existence du Cross et du CCMM a également été rappelée à tous les services en contact avec l’armateur ou son navire.

Un élément de langage a été adopté: pour éviter d’affoler la population, il est déconseillé d’utiliser le terme « quarantaine » et conseillé de parler de « placement en observation à des fins de santé publique ». Tout est dans la nuance.

Radio coursive

Cette journée marseillaise a permis d’apprendre que l’une des plaintes d’un membre de la famille du commandant qui s’était suicidé après que son navire (le CMA-CGM-Lapérouse) a abordé un fluvio-maritime, a été finalement jugée recevable. Une enquête est donc en cours pour déterminer les raisons qui l’ont poussé à ce geste. Selon le rapport du BEAmer, l’abordage du Thèbe par le Lapérouse, en février 2011, n’a fait ni blessé, ni pollution. Les deux navires sont restés manœuvrant. Le travail des enquêteurs pourrait être grandement facilité par la lecture du rapport de la commission d’enquête (interne) sur le suicide du commandant dans le cadre du CHSCT navigants de CMA CGM. Cet officier a été laissé 49 jours sans nouvelle précise sur son sort.

La demande de CMA CGM – et acceptée par le service de santé des Gens de mer – de vérifier systématiquement, durant la visite médicale annuelle, si les navigants ont consommé ou non des substances psychotropes illégales, a été peu efficace. Au bout de quelques mois, elle a été rejetée car jugée totalement contraire à la déontologie médicale, répond une source officieuse.

Cela écrit, le médecin des Gens de mer a toute liberté de prescrire des tests de dépistage en cas de doute sur une éventuelle consommation, précise le Docteur Thierry Sauvage, récent chef du service de santé des Gens de mer (SSGM), mais la décision de prescrire ces tests ne peut pas dépendre de l’identité de l’employeur. Compte tenu de l’évolution de la société française, il est cependant très probablement que, dans les prochains mois, tous les navigants occupant des postes exigeant une grande vigilance soient obligés, lors de leur visite médicale, de subir un dépistage biologique de substances psychoactives, avec toutes les limites que ces tests présentent compte tenu de la rémanence très variable de ces produits dans les urines. Il est préférable que ce soit le SSGM qui s’occupe de dépistage plutôt qu’un laboratoire privé agissant sous ordre et pour compte de l’employeur.

Été agité au SSGM

Déclarée urgence sanitaire de portée internationale par l’OMS le 8 août, l’épidémie de la fièvre hémorragique virale Ebola a beaucoup occupé le service de santé des Gens de mer. Il lui a fallu produire rapidement des recommandations pratiques destinées aux équipages des navires français fréquentant le golfe de Guinée ou embarquant du personnel ayant séjourné dans la zone. C’est chose faite depuis le 18 août, même si la date indiquée par le site internet du ministère mentionne le 6 octobre. Les conseils sont téléchargeables sur le site www.developpement-durable.gouv.fr, rubrique Mer et littoral, sous-rubrique Métiers et gens de mer.

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