Nantes Saint-Nazaire est un port énergétique. Importation de charbon, de gaz, de pétrole. En plus de la raffinerie de Donges, avec la centrale au gaz de Montoir et celle au charbon de Cordemais, c’est aussi un port de production d’électricité. Deuxième champ d’activités, les vracs de l’agrobusiness (céréales, engrais). « Problème, analyse Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime (Isemar) de Nantes Saint-Nazaire, sur ces deux socles pèsent beaucoup d’interrogations. Qui connaît l’avenir du modèle énergétique français, pétrole, charbon, gaz? Le gaz est en baisse. La fermeture de la raffinerie de Donges est un tabou légitime. Mais elle doit faire partie du schéma mental sur le long terme. D’une manière générale, il faut intégrer la possibilité de mort des activités portuaires de la même façon que certaines naissent comme les biocarburants, les énergies marines renouvelables ou le broyage de clinker. Les incertitudes de l’agrobusiness sur la façade atlantique existent aussi: sur les cultures d’exportation, sur l’élevage français, sur ses besoins en apports nutritifs. En tout état de cause, tous les ports de la façade atlantique y sont mis en concurrence. Le port ne peut négliger aucun des deux secteurs. Mais il doit surtout éviter d’y surinvestir. »
Paul Tourret distingue deux volets dans lesquels, à l’inverse, il peut résolument s’engager. Il y a le service à l’industrie, celle qui a besoin de mises à l’eau comme les « industries mécaniques de la mer » – construction et réparation navale, énergies marines renouvelables (éoliennes, hydroliennes) – et celle qui a besoin de la mer pour le transport (colis lourds, aéronautique, BTP, sable). Il répond par des services logistiques, met de l’huile dans le système. Ce service aux industries peut encore correspondre à la notion d’intérêt général ou de service public parce que les autorités portuaires et les collectivités locales doivent faire en sorte que ces activités industrielles fonctionnent. Il y a ensuite le port commerçant. Les acteurs de la mobilité des marchandises ont besoin de lieux de stockage et de moyens de desserte. C’est le port déjà du bois, de l’autoroute de la mer et des conteneurs, des entrepôts, de la logistique, de la distribution. « Là, Nantes Saint-Nazaire souffre de ne pas desservir un marché intérieur dense, comme Marseille ou Le Havre. Parce que le trafic routier de conteneurs n’est pas tenable, Le Havre a intérêt à satelliser le trafic maritime vers Nantes Saint-Nazaire pour desservir le centre-ouest de la France. Les 32 MEVP de Singapour n’existeraient pas sans les 3 MEVP de Jakarta. » L’approche du port doit être volontariste et cibler des acteurs spécialisés comme le bois ou la grande distribution. L’autorité portuaire ne doit pas rechigner sur les mesures d’accompagnement envers ces sociétés parce qu’aucun trafic ne s’impose de lui-même à Nantes Saint-Nazaire.
« Il y a par exemple le grand enjeu d’une filière froid pour l’importation d’Amérique du Sud ou des Antilles, de viande, de fruits et légumes et de poisson. » Un secteur auquel le port doit intéresser les bons acteurs pour construire les entrepôts qu’il faut, développer les services pointus. « Commerce ou services à l’industrie, on identifie bien les filières mais moins facilement les entreprises avec qui se lancer et développer. »
Port « nordique »
Paul Tourret dessine en filigrane un port « nordique » qui s’appuie sur des acteurs industriels et logistiques pour créer des activités à valeur ajoutée. « Le port n’est pas une infrastructure qui bétonne. On va sortir de ça. Mais un acteur de la chaîne de valeur de chaque filière. » Son modèle économique ne repose plus uniquement sur les droits de port des navires mais sur une part dans la chaîne de valeur créée. Estimation délicate à concrétiser dans un univers maritime compétitif. Mais incontournable.
Paul Tourret imagine un port opportuniste, saisissant les occasions d’investir mais le faisant de manière pragmatique, avec d’autres.
Parmi ses partenaires, il y a les collectivités locales. « Qu’elles entrent au capital? Ce serait un mode de coopération adapté à notre territoire. Mais la question centrale reste: pour quoi faire? Il faut répondre à des besoins spécifiques correspondant à l’intérêt général des territoires, comme le service aux industries ou les aménagements péri-portuaires. D’où ma proposition d’organiser le travail des ports en filiales spécialisées où les collectivités pourraient devenir actionnaires. Attention, au passage, pour répondre aux besoins des villes, à ne pas “griller” des espaces qui peuvent conserver un intérêt maritime à long terme. »