En principe, le retour des méthaniers, c’est pour 2017. Mais à l’heure des réflexions stratégiques, la chute du trafic gazier mine les esprits. Et si Nantes Saint-Nazaire perdait sa vocation énergétique, son principal fonds de commerce, celui qui représente encore 70 % de ses tonnages, plus de la moitié des revenus du port? Et si l’imprévisible dégringolade gazière annonçait la fin de la manne énergétique sur laquelle s’est bâti un port généraliste, diversifié? Et s’il fallait se résoudre en définitive à l’abaissement du niveau général des services portuaires?
Baisse gazière
Ce scénario catastrophe n’est pas d’actualité. Mais la baisse gazière n’a rien d’anecdotique. Entamée en 2010, elle s’est accélérée depuis 2011, diminuant le trafic chaque année de moitié. Il est passé, sur la période, de 4,9 Mt à 1 Mt en 2013, soit un navire par mois en moyenne. Pour le port, les recettes liées aux mouvements des navires plongent. La raison de cet effondrement continue de résider dans le détournement des marchés mondiaux du gaz vers le Japon depuis l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima. Mais aussi dans la concurrence du charbon des États-Unis vendu à bas prix à l’économie européenne. Les mouvements d’importation de gaz évitent Montoir mettant en évidence la grande fragilité, localement, des flux énergétiques. « Des investissements ont été réalisés. Des installations ont été bâties. Nous serions encore les rois si nous recevions deux ou trois méthaniers par mois. L’activité gazière continue mais dans la location de capacités de stockage. Le port n’en tire plus aucun profit. Quand, par ailleurs, la désindustrialisation tend à réduire l’ensemble des trafics, il y a urgence, pour survivre, à faire évoluer le modèle économique », s’alarme Francis Bertolotti, président du conseil de surveillance.
Au terminal méthanier, Elengy, filiale de GDF-Suez, rassure. Le gaz est annoncé de retour d’ici trois ou quatre ans. En attendant, les innovations se poursuivent. Le transbordement direct d’un méthanier à un autre, spécialité unique en Europe, promet du mouvement de navires. Autre atouts, le soutage de gaz naturel, l’accueil de méthaniers plus petits, le chargement de camions-citernes, Elengy sait faire. Consolation supplémentaire, les errements du moment ne sont dus à aucune désaffection du consommateur. Le GNL reste un produit d’avenir. Mais Francis Bertolotti n’est pas si sûr qu’il le soit pour le port. « La France n’a pas besoin des capacités gazières du terminal méthanier, sauf pour la sécurisation de ses approvisionnements. Nantes Saint-Nazaire pourrait donc revendiquer un statut de port de secours correspondant à des recettes spécifiques versées par l’État, mais je n’y crois pas. L’activité énergétique en général repose sur les choix de groupes mondiaux, qui ne nous avertissent pas des changements qu’ils opèrent et sur lesquels nous n’avons aucune prise. »
L’énergie n’est plus perçue comme un secteur fiable
Certains redoutent des baisses dans toutes les énergies fossiles. L’an dernier, les pertes sur deux grands trafics énergétiques sur trois y ont fait penser: 1,2 Mt sur le GNL, 0,8 Mt sur le pétrole. Alors que le trafic global du port est en recul pour la quatrième année consécutive avec un trafic global de 27,7 Mt, l’énergie n’est plus perçue comme un secteur fiable.
Faire « évoluer » les opérations de raffinage
La baisse de 13,6 % du pétrole brut ne résulte que d’un arrêt quinquennal de la raffinerie de Donges. Mais le p.-d.g. de Total, Christophe Margerie, vient de rappeler que son groupe perd beaucoup d’argent, de façon continue, dans le raffinage en France. Qu’il entend donc réduire ses capacités. Il ne parle pas de fermeture de site mais d’y faire évoluer les opérations de raffinage, d’engager des reconversions vers l’industrie. La raffinerie de Donges est en surcapacité. Elle peut traiter 11 Mt de brut par an mais n’en a importé que 7,7 Mt l’an dernier. Elle vient cependant de se donner une « feuille de route » jusqu’en 2016 pour « retrouver un haut niveau de performance et sécuriser l’économie de la raffinerie ». Cela passera par un nouvel arrêt technique en 2015. Mais la baisse de consommation de carburants est programmée. Christophe Margerie dit même la souhaiter, en mettant « tout en œuvre auprès des industriels comme des particuliers pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ». Point rassurant pour la raffinerie de Donges, l’attachement du groupe à la distribution de produits raffinés en France demeure. Or Donges dessert tout le grand Ouest. Total y a investi 100 M€ à Donges en 2013. La raffinerie, qui compte 700 salariés, continue d’embaucher.
La centrale thermique EDF de Cordemais, 430 salariés, affiche un optimisme identique. Un chantier de modernisation de 350 M€ démarre en mars 2015. Il durera deux ans. Turbines entièrement démontées, salle de contrôle à commandes numériques, nouvelle station de pompage dans la Loire, l’opération a pour objectif de prolonger au moins jusqu’en 2035 la vie de deux unités charbon entrées en services il y a trente ans. Si le charbon continue de jouer un rôle d’appoint et de sécurisation de la production électrique en France, cela passe encore par l’estuaire de la Loire. Même si cette modernisation restera sans effet sur l’économie portuaire puisque la centrale ne consommera pas une tonne de charbon supplémentaire.
Pour Pascal Viallard, de Sea Invest, et président du Montoir Bulk Terminal (MBT), ces modernisations peuvent néanmoins autoriser Nantes Saint-Nazaire à défendre sa vocation énergétique. Pariant sur la stabilité des volumes de charbon (la rentabilité proviendra d’une meilleure productivité), MBT investit cette année dans une seconde grue à 5 M€, après une première à 4,5 M€ en 2012. « Comme l’agroalimentaire, l’énergie réagit toujours aux événements climatiques et politiques mais elle est à évolution lente. Les aléas du moment dans le port de Nantes n’ont pas de cause locale. Au contraire, les investissements engagés, parfois colossaux, laissent penser qu’en cas de réduction des capacités énergétiques en France, nous pouvons figurer ici parmi les derniers. De plus, l’après-énergies fossiles a commencé. Mon voisin sur le port fabrique des agrocarburants. Dans deux ans, des éoliennes montées ici seront plantées en mer. La biomasse reste à explorer. L’avenir de l’énergétique ici n’est peut-être pas si noir. Il importe que le port continue de le développer et apporte les services dont il a besoin. »
Le port dépense 20 M€ pour installer en bord à quai deux usines Alstom de fabrication d’éoliennes. Un investissement incontournable pour Francis Bertolotti mais délicat pour l’équilibre financier du port. « Nous jouons notre rôle d’aménageur. Et nous avons été au cœur du lancement de la nouvelle filière, avec les industriels et les collectivités locales. Mais elle ne générera que très peu de trafics au regard de ce que nous avons perdu dans le gaz. Or, c’est ce qui importe pour l’équilibre financier du port telle que l’économie portuaire est organisée aujourd’hui. »
C’est ainsi que le port de Nantes Saint-Nazaire va mieux négocier à l’avenir ses autorisations d’occupation temporaire (AOT) et moins compter sur ses droits de ports. Cela vaudra aussi pour le secteur de l’énergie.